La croissance bleue est-elle compatible avec la sécurisation de la pêche artisanale durable?

Dans ce nouveau rapport, CAPE souligne six domaines de préoccupation qui démontrent à quel point la croissance bleue est incompatible avec le développement d'une pêche artisanale saine et durable et comment elle empêche l'avancement de la gouvernance responsable des régimes fonciers pour atteindre la sécurité alimentaire et éradiquer la pauvreté

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Comment BP fore dans l'un des plus grands récifs coralliens d’eau profonde du monde

BP a obtenu l'autorisation de commencer à forer à travers le plus grand récif de corail froid du monde, situé dans la mer au large de la Mauritanie. Et ce, en dépit d'une campagne menée par certains des plus grands biologistes marins du monde, qui décrivent l'étude d'impact environnemental et social de BP comme une imposture.

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La crise climatique dans les pêcheries africaines: l'UE doit mettre fin aux investissements dans les énergies fossiles

Avec une croissance alarmante des investissements dans le pétrole et le gaz offshore en Afrique, il est temps que l'UE accepte de réformer son partenariat énergétique Afrique-UE et s'engage à mettre fin à tout financement public des combustibles fossiles en Afrique.

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De la croissance bleue aux «biens communs bleues»

Notre nouveau rapport fournit une évaluation critique du programme de croissance bleue et expose les prémices d’une solution de remplacement, fondée sur le concept des «biens communs bleus».

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Madagascar approuve un accord de pêche de 10 ans avec un consortium chinois

Madagascar approuve un accord de pêche de 10 ans avec un consortium chinois

Début septembre, Hery Rajaonarimampianina, président de Madagascar, a assisté au Sommet de Beijing du Forum sur la coopération Chine-Afrique. Il a été annoncé lors de cette visite que les deux pays avaient finalisé un accord d'investissement de dix ans conclu entre l'Agence malgache pour le Développement économique et la Promotion des Entreprises et le consortium d'entreprises chinois Taihe Century Investments Developments Corporation. C'est un accord qui entre dans le cadre de l'initiative de l'économie bleue de Madagascar.

Les détails publiés de l'accord d'investissement restent limités. Selon des sources malgaches, le président a négocié l'accord sans consultation de l'administration, du parlement ou de la société civile, et les principaux partenaires de développement du pays, notamment la Banque mondiale et l'UE, n'étaient pas non plus au courant. Pourtant, ce que nous savons à ce jour suggère que l'accord d'investissement pourrait être problématique pour le pays, en particulier pour le secteur de la pêche artisanale.

UNE ÉCONOMIE BLEUE DURABLE?

Selon un communiqué de presse, l'accord de 10 ans s'accompagne d'une promesse d'investissement de la société Taihe pouvant atteindre 2,7 milliards USD. On ne sait pas exactement comment cet argent sera utilisé, bien qu'il soit décrit que les fonds iront à la construction d'infrastructures de pêche, au soutien de la gestion de la pêche et à la lutte contre la pêche INN. Une partie de l'investissement ira également à un projet de reboisement du bambou. En contrepartie, le consortium chinois sera autorisé à déployer jusqu'à 330 navires dans les pêcheries côtières. Le communiqué de presse affirme de manière audacieuse que l’accord verra à terme la création de 10 000 nouveaux emplois.

Un représentant d'un secteur de la pêche artisanale souligne que: «l'État est en train de dépouiller les pêcheurs côtiers de leur raison de vivre». Non seulement il est préoccupé par le nombre de bateaux, mais il souligne également que les 3 600 emplois promis à court terme ne représentent que 3% du nombre de pêcheurs artisanaux qui vivent de ces ressources halieutiques et qui éprouvent déjà de grandes difficultés à joindre les deux bouts. “Amener plusieurs centaines de navires entraînerait la disparition des 100 000 petits pêcheurs de l’île et de leurs familles! Cela va créer du chômage, de l’insécurité et un risque accru de conflits entre les communautés. Dépendant du type de bateaux qui viendraient, il faut craindre une dégradation des habitats des poissons, et une surexploitation. En effet, nous ne disposons que d’un ou deux bateaux garde côtes opérationnels”. Il craint également que cet accord ne profite qu’à une poignée de personnes, la corruption mettant en péril l’avenir de communautés de pêcheurs entières.

La signature de cet accord intervient également au moment où le pays se rapproche des élections présidentielles, en novembre. L'accord peut être une tentative de montrer au pays que le président, qui est candidat à sa réélection, apporte des investissements étrangers indispensables. Madagascar reste l'un des pays les plus pauvres du monde.

Pourtant, la nouvelle de l'accord a déjà suscité des protestations parmi les communautés de pêcheurs. On estime à environ 100 000 le nombre de personnes pratiquant la pêche artisanale dans le pays et la plupart des stocks de poissons ont été lourdement exploités pendant des années, notamment des crustacés et des poissons démersaux de haute valeur, également ciblés par des chalutiers semi-industriels et industriels étrangers. En effet, selon un examen des pêcheries menées par Smartfish en 2014, presque toutes les pêcheries commerciales ont été pleinement exploitées ou sont surexploitées. Des conflits entre les pêcheries artisanales locales et les chalutiers appartenant à des étrangers (et les fermes de crevettes) ont été signalés depuis de nombreuses années.

La question de savoir si les entreprises chinoises amèneront le plein quota de nouveaux bateaux reste incertaine, et personne ne sait avec certitude quels types de navires seront impliqués et quelles espèces seront ciblées. Néanmoins, un accord-cadre autorisant 330 navires représente un apport considérable à la capacité de pêche globale dans le secteur de la pêche.

Il est également peu probable que les 2,7 milliards USD se matérialisent intégralement. Des engagements similaires ont été pris lorsque la Mauritanie a consenti un investissement de 100 millions USD de la société d’État chinoise Poly HonDone en 2011. Ce contrat a été négocié par le président sans consultation, et l’accord d’investissement n’a été publié que par une fuite dans la presse. Bien que la société ait apporté son quota complet de 100 navires en Mauritanie, il n’existe pas de preuves que cet accord a créé de nouveaux emplois pour les locaux ou des investissements massifs dans les pêcheries locales. En effet, les informations sur les activités de la société chinoise restent étroitement surveillées par les autorités mauritaniennes, qui ont également accordé des dérogations pour que l'entreprise exporte du poisson sans la surveillance habituelle du gouvernement. C'est un exemple que ceux qui protestent contre le nouvel accord à Madagascar devraient examiner attentivement.

IMPLICATIONS POUR LES PARTENAIRES DE DÉVELOPPEMENT ET L'UE

Pour les partenaires au développement, qui ont fourni à Madagascar des millions au fil des ans pour améliorer la gestion de la pêche, l'annonce doit être profondément préoccupante. Des événements similaires ont eu lieu dans d'autres pays. Outre la Mauritanie, il y a quelques années, le président du Mozambique a conclu un investissement secret d'un milliard de dollars dans le secteur de la pêche au thon, ce qui a conduit ses partenaires au développement à suspendre temporairement l'aide au pays.

Pour l'UE, la situation à Madagascar est extrêmement sensible. L'aide au développement et les accords commerciaux ont été suspendus en 2009 en raison de la destitution inconstitutionnelle du président élu démocratiquement. Les sanctions ont été levées en 2014 et l'UE a par la suite engagé plus de 500 millions d'euros dans ce pays jusqu'en 2020, ainsi que des programmes de développement de la pêche, notamment Smartfish.

Parallèlement, la Commission européenne entame actuellement des négociations en vue du renouvellement de son accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable avec Madagascar. Le protocole d'accord précédent, couvrant la période 2014-2018, valait plus de 6 millions d'euros, dont près de la moitié était destinée à améliorer la gestion des pêches. Cependant, la finalisation d'un nouveau protocole devra être fondée sur la transparence totale du gouvernement malgache sur ses accords de pêche existants avec d'autres pays et entreprises étrangers.

Il est donc primordial que le gouvernement de Madagascar réponde aux appels à publier tous les détails de ce nouvel accord d'investissement, et que le Parlement, la société civile et les partenaires au développement aient la possibilité d'examiner cet accord avant de pouvoir progresser plus loin. Sans cet engagement, l'idée que les dirigeants du pays appuient une «économie bleue» durable doit être considérée comme douteuse.

Éviter la malédiction de la croissance bleue: un fonds Blue Commons?

La Banque mondiale et le Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies ont récemment publié un rapport sur le potentiel de l’économie bleue. À l’instar d’autres rapports et initiatives sur la croissance bleue, l’auteur du rapport a combiné son optimisme avec le potentiel de croissance des secteurs des océans et des zones côtières, tout en mettant en garde contre la possibilité que cette croissance ne soit pas durable. Le rapport décrit un certain nombre de secteurs clés de l’économie bleue, tels que la pêche, la biotechnologie marine, le tourisme côtier, le transport maritime et l’exploitation minière offshore et côtière. Conforme au point de vue actuel, le rapport a mis l’accent sur les mécanismes fondés sur le marché et sur les investisseurs privés pour aider à financer la transition vers une économie bleue durable dans les petits États insulaires en développement.

Il existe de nombreuses questions critiques concernant les visions existantes pour l'expansion de l'économie bleue. Dans notre article sur l’idée du «fonds commun», nous considérons l’une des lacunes dans les visions de l’économie bleue: comment les avantages économiques en sont-ils distribués? Il est clair qu'une partie de l'espoir attaché à la croissance bleue est son potentiel de développement, qui repose sur deux hypothèses. Premièrement, cela créera des emplois plus nombreux et de meilleure qualité dans les pays en développement côtiers et les petits États insulaires. Deuxièmement, la croissance bleue peut générer plus d’argent pour les gouvernements, ce qui leur permettra de dépenser davantage pour leurs citoyens. Ainsi, la Banque mondiale et d’autres encouragent les gouvernements clients à emprunter auprès d’investisseurs privés pour aider à financer la transition.

La question de l'utilisation de ces revenus est généralement négligée dans les rapports sur «l'économie bleue durable». Cependant, comme le suggère la littérature sur la «malédiction des ressources», les revenus des gouvernements provenant de la vente ou de la location de ressources naturelles ont souvent causé des problèmes majeurs et durables. Les pays qui dépendent largement de la richesse en ressources se caractérisent souvent par des niveaux d’inégalité, de corruption et de conflit civil supérieurs à la moyenne. Bon nombre des études de cas déprimantes illustrant la malédiction des ressources proviennent d'Afrique et des petits États insulaires. La croissance bleue pourrait-elle suivre les mêmes tendances inquiétantes?

L'IDÉE DU FONDS COMMUNES

La malédiction des ressources reste une idée contestée. Mais il est indéniable que dans de nombreux pays, les autorités ont un bilan désastreux en ce qui concerne l’utilisation des ressources naturelles pour des bénéfices durables, en particulier pour les plus marginalisés ou les plus démunis. En règle générale, les pires exemples proviennent de pays qui dépendent des revenus des mines et du pétrole. Mais ces problèmes peuvent se poser pour d’autres secteurs de l’économie bleue. Des recherches antérieures n'ont pas réussi à démontrer comment les millions de dollars reçus par certains gouvernements pour accroître l'accès de la pêche étrangère aux eaux intérieures et le commerce international du poisson ont en fait amélioré la vie de la plupart des citoyens. La façon dont les gouvernements gèrent les revenus publics tirés des «actifs bleus en bonne santé» devient donc essentielle pour toute vision de l’économie bleue.

Dans notre rapport, nous avons avancé l'idée - basée sur un mouvement international croissant - qu'une manière intéressante pour les gouvernements de gérer les loyers des ressources est d'éviter de les dépenser. Au lieu de cela, ce flux de revenus peut être utilisé comme une somme d’argent pour les investissements, les dividendes de cet investissement étant distribués de manière égale à chaque citoyen via un transfert monétaire inconditionnel permanent, mensuel ou annuel. Le concept est connu sous plusieurs titres et nous l'appelons ici «fonds communs de placement bleus». Les arguments en faveur de ces fonds ne sont pas uniquement basés sur des considérations économiques - l’idée du fonds émet un message fort sur les droits communs ou partagés que les personnes devraient avoir par rapport à la nature.

Les origines de l'idée du fonds commun

L'idée de créer un fonds permanent et de distribuer les revenus de ce fonds à tous les citoyens peut sembler radicale. Pourtant, la proposition de base a été faite par de nombreuses personnes, notamment des économistes de la Banque mondiale.

Thomas Paine, un militant politique britannique du XVIIIe siècle, qui a vécu aux États-Unis et en France, a été la première personne à développer ce concept. Paine a parlé ouvertement de nombreux sujets, y compris le colonialisme et l’esclavage, et il est considéré comme l’un des principaux intellectuels à avoir mené à la révolution américaine et à la naissance des droits humains internationaux. Vers la fin de sa vie, il se concentra sur les droits de propriété, consterné par la perte constante de terres communes et par la richesse énorme dont jouissaient les paysans privés. Il a proposé des prélèvements substantiels sur la propriété privée des terres, y compris un impôt important sur les successions. Il a recommandé de protéger les revenus qui en résultent contre l'ingérence politique. Il a donc envisagé un fonds national qui répartirait les revenus provenant des prélèvements fonciers entre les citoyens, en versant une pension mensuelle aux plus de 55 ans et un paiement unique tout le monde a 21 ans. Selon ses calculs, le Fonds pourrait apporter une contribution substantielle à la réduction des inégalités.

Paine a vu cela comme un «revenu minimum garanti», ce qui signifie que la richesse de «biens naturels», qui a été décernée par Dieu à tout le monde, devrait garantir que tous les citoyens aient suffisamment d'argent pour vivre décemment. Les paiements du Fonds n'étaient pas des actes de charité; ils représentaient les droits des gens. Aujourd'hui, le titre le plus connu est «revenu de base».

Les idées de Paine ont été relancées près de 80 ans plus tard, lorsque l’État américain d’Alaska a accepté de créer un fonds permanent basé sur les revenus tirés du pétrole. Depuis lors, 50% des intérêts du fonds sont versés à chaque citoyen alaskien à titre de contrôle annuel.

PRINCIPES D'UN FONDS BLEU COMMONS

L'idée d'un fonds bleu commun est déjà en partie opérationnelle. Des fonds souverains existent déjà dans de nombreux pays et la plupart ont été créés avec des paiements exceptionnels provenant des secteurs des ressources naturelles. Aux côtés du fonds de l'Alaska, le fonds pétrolier norvégien est probablement considéré comme le plus impressionnant. Dans les années 80, le parlement norvégien a décidé de créer un fonds indépendant, géré par un conseil d'administration. Le fonds investit à la fois dans des actifs nationaux et étrangers. Seuls les revenus de ce fonds sont alors mis à la disposition du gouvernement. La création du fonds a été une décision difficile, le gouvernement ayant perdu des revenus substantiels, en partie compensés par l’augmentation des niveaux de fiscalité directe. Mais au fil des ans, les actifs du fonds ont dépassé le billion de dollars. Pour cette raison, les Norvégiens sont parmi les personnes les plus riches de la planète. Les îles Shetlands ont fait quelque chose de similaire avec beaucoup de succès.

Aujourd'hui, il existe plus de 60 fonds souverains nationaux ou infranationaux, dont la majorité sont basés sur l'exploitation minière et le pétrole. En Afrique, des pays tels que la Mauritanie, le Botswana, le Ghana, le Nigéria, la Guinée équatoriale, Sao Tomé-et-Principe et l’Angola ont mis en place leurs variantes. Dans certains de ces pays, ces fonds utilisent déjà les revenus de l’économie bleue - principalement du pétrole et du gaz offshore. Pourtant, la gestion de ces fonds est controversée et certains ont été des échecs catastrophiques; manque de transparence et est très vulnérable à l'ingérence politique et à la corruption.

Comme nous le décrivons dans notre document, un fonds commun lié à l’économie bleue doit reposer sur plusieurs principes de base:

  • Il doit être basé sur l'idéal de propriété commune de toutes les ressources naturelles. La tendance dans de nombreux endroits est de vendre et de privatiser autant de nature que possible, afin de générer des bénéfices à court terme. Il y a un risque que cela caractérise la croissance bleue dans les pays en développement et les petits États insulaires, si ceux-ci augmentent leur dépendance vis-à-vis des investisseurs étrangers et suivent des «solutions» basées sur le marché.

  • Il doit s'appuyer sur l'idéal de «l'équité intergénérationnelle». Le soutien d'un grand nombre de personnes à un fonds commun repose sur l'objection selon laquelle une génération peut tirer profit de l'épuisement du capital naturel, privant ainsi les générations futures des mêmes possibilités. Le concept d'économie bleue durable doit expliquer comment cela sera évité. Le fonds commun fait partie de la solution, car il permet d'économiser les revenus des ressources à perpétuité, comme c'est le cas pour le fonds pétrolier norvégien. De nombreux fonds souverains n’ont pas suivi ce principe et ont donc été épuisés. En effet, certains ont servi de garantie pour accroître la dette de leur pays, notamment en Angola.

  • Il doit être indépendant. De nombreux problèmes avec les fonds souverains sont que les gouvernements ont trop facilement accès à l’argent. Bien que le fonds de l'Alaska soit le principal exemple d'un fonds commun basé sur des paiements en espèces universels, il s'agit également d'une étude de cas sur la manière dont ces fonds peuvent être utilisés abusivement; Les récents gouverneurs ont imposé des réductions d'impôts favorables aux entreprises, ce qui signifie que le budget de l'État dépend de plus en plus du fonds permanent. Sans débat public, les règles relatives à la répartition des intérêts du fonds entre le budget du gouvernement et le paiement universel ont également été assouplies. La part laissée aux citoyens de l'Alaska a diminué à moins d'un quart de ce qu'elle aurait pu être.

  • Les investissements et les intérêts du fonds doivent être transparents. Encore une fois, la Norvège est un exemple brillant. Des niveaux élevés de transparence ont assuré un débat public sur la manière dont les fonds pétroliers sont investis. Pour cette raison, le parlement norvégien a accepté de demander au conseil du fonds pétrolier de désinvestir dans des projets de charbon, ainsi que dans des entreprises forestières qui ne respectent pas les normes éthiques et écologiques. D'autres gestionnaires de fonds souverains existent dans un état de confidentialité, ce qui constitue un anathème pour le concept de fonds commun.

Les prélèvements pour un fonds commun?

L'idée d'un fonds commun doit être développée davantage. Un problème clé réside dans les redevances versées au fonds. Les paiements de redevances et les accords de partage des bénéfices sont les sources de revenus habituelles des fonds souverains basés sur les industries extractives - pétrole et mines. Pour de nombreux États côtiers et petits États insulaires, ces sources peuvent être appropriées. Il existe un argument distinct quant à savoir si les gouvernements devraient permettre la prospection de ces ressources, mais si nous admettons que les mines, le pétrole et le gaz continueront de faire partie de l’économie bleue, la création du fonds commun pourrait être la meilleure solution.

Au-delà de ces industries extractives lucratives, les prélèvements provenant de l’économie bleue pourraient provenir de toute exploitation commerciale des ressources océaniques et côtières. Cela inclurait la pêche, par exemple. Selon une idée de fonds commun, ce qui est considéré comme le paiement d’accès, qui est presque toujours payé au gouvernement, serait redirigé vers le fonds commun. Une redevance distincte serait payable pour les coûts de gestion du gouvernement.

Un fonds commun peut également inclure des prélèvements sur la pollution, selon l’idéal du «pollueur payeur». Plus précisément, une proposition de fonds commun vise à inclure les revenus provenant d'une «taxe sur le carbone». Cela peut coexister avec les paiements proposés pour le «stockage du carbone bleu», comme de nombreuses organisations (telles que la Banque mondiale et la FAO), mais une taxe sur le carbone est plus progressive car elle cible directement les entreprises produisant des émissions de carbone plus élevées. Il est plus simple d’administrer, étant donné que l’estimation du carbone stocké dans les habitats côtiers et océaniques est extrêmement complexe et coûteuse.

Bien entendu, un fonds commun pourrait évoluer au-delà de ces prélèvements; un pourcentage du droit d'entrée dans les parcs nationaux marins pourrait constituer un autre prélèvement, de même qu'une taxe de séjour. Le point essentiel, comme l’a envisagé Thomas Paine, est que nous devons reconnaître une propriété commune de la nature à toutes les personnes, présentes et futures, et qu’il est donc juste que le capital provenant de l’exploitation privée ou de l’utilisation de ces ressources partagées soit partagé équitablement. ainsi que. Sinon, notre capital naturel est le plus susceptible d'être une source de richesse privée croissante et inégale.

Obligation Bleue...Sauver Vos Poissons Ou Conduire Les Océans à la Faillite?

Pour sauver les océans et réformer les pêches non durables, il nous faut l'aide d''investisseurs privés – et ce à très grande échelle. C'est une idée dont beaucoup d'organisations internationales de conservation et de banques d'investissements ont fait la promotion, dont les choix du Crédit Suisse, qui accueille maintenant une conférence annuelle sur "la finance de conservation" depuis ses bureaux de New York.

Beaucoup de rapports ont été rédigés sur la possibilité pour des marchés de capitaux privés, dans le cadre de leurs affaires, de financer la conservation des océans et la réforme des pêches. Les arguments sont très simples : les gouvernements n'ont pas les ressources nécessaires pour financer la conservation, et les sources traditionnelles de financements additionnels  (par des donateurs ou des philanthropes) sont complètement inadéquates. La conservation et les réformes de la pêche devraient donc être plus ouvertes aux investisseurs privés- qui ont énormément d'argent. Investir dans la conservation et les réformes de la pêche est lucratif- les pêcheries durables accroissent la richesse potentielle des mers, et elles peuvent donc assurer aux investisseurs un bon retour sur investissement.

Il existe de nombreuses propositions pour déterminer comment attirer des millions de dollars pour la conservation des océans venus d'investisseurs privés. L'une d'elles est pour les gouvernements et les grandes entreprises d'émettre des obligations bleues. C'est en réalité une stratégie bien établie – La Banque Mondiale et la Banque Européenne d'Investissement ont commencé à émettre des "obligations vertes" en 2007/2008. 

Celles-ci lèvent des fonds de marchés financiers privés qui sont ensuite redistribués pour des projets et activités écologiques spécifiques. Le marché de l'obligation verte a remarquablement bien fonctionné : l'année dernière, les gouvernements, les banques multilatérales de développement et les grandes entreprises ont levé 130 milliards de dollars US d'obligations vertes- presque deux fois plus qu'en 2016.

Cette année, le concept « d'obligation bleue » est finalement devenu une réalité. Les Seychelles ont annoncé leur intention d'émettre la première obligation bleue au monde, avec l'aide de la Banque Mondiale et celle de la Branche Environnementale Globale des Nations Unies. L'obligation bleue des Seychelles sera probablement assez modeste – 15 à 20 millions de dollars US. Mais l'important c'est que les Seychelles sont utilisées comme une "preuve de la viabilité du concept". L'espoir est que d'autres états côtiers ou constitués de petites îles en voie de développement suivront son exemple. En effet, l'année dernière, les Fidji ont émis la première obligation verte nationale pour un petit état insulaire en voie de développement, et le Nigeria a aussi émis sa première obligation verte. NatureVest, une organisation basée aux Etats Unis mise en place par JP Morgan et The Nature Conservancy, avec pour but de lever des capitaux privés pour la conservation – pense qu'en 10 ans ils auront vendu un milliard de dollars US d'obligations bleues.

Les dangers du marché des obligations bleues?

Lever des fonds sur les marchés internationaux de capitaux pourrait finalement assurer l’aboutissement de la promesse des "trois gagnants" : bon pour l'environnement, bon pour les communautés les plus pauvres, et bon pour les investisseurs. Mais ce modèle est-il reproductible sans risques? Tant d'organisations soutiennent la finance de conservation en général, et spécifiquement le concept d'obligation verte ou bleue. Beaucoup de rapports décrivent combien celles-ci sont vitales si nous devons sauver la planète. Pourtant presque aucun d'entre eux ne considère ce qui pourrait mal tourner. Dans une publication de CAPE sur les obligations bleues, nous indiquions les raisons pour lesquelles le marché des obligations bleues n'est pas attractif pour les petits pêcheurs, et pourquoi les prétentions des obligations bleues sont à mettre en doute. 

Le crédit suisse et la première obligation thon

Le rapport comprend une étude de cas sur le Mozambique. Le Mozambique a levé 850 millions $US pour financer le lancement de son entreprise nationale de pêche thonière, considérés comme les premières "obligations thon" au monde. A première vue, ça n'a rien à voir avec des obligations bleues. Cependant, tout comme une obligation bleue, l'émetteur a prétendu que l'argent serait dépensé pour une pêche durable et que les fonds auraient un impact extrêmement positif sur l'économie nationale. Cette obligation a été financée et arrangée par le Crédit Suisse, en collaboration avec d'autres banques européennes et russes, dont certaines soutiennent aussi la finance de conservation et les obligations vertes. 

En fait, en 2013, - quand le Crédit Suisse finalisait l'arrangement pour les obligations thon du Mozambique, la banque travaillait avec le WWF et d'autres organisations de conservation sur des initiatives comme "50 en 10" et le Partenariat Mondial pour les Océans. C'est une banque qui était – et qui est toujours – au premier plan d'une campagne globale de levée de fonds éthiques pour sauver l'océan. 

Les obligations thon ont bel et bien conduit le Mozambique à la faillite. Elles ont aussi occasionné des millions de dollars de frais au bénéfice du Crédit Suisse et d'autres banques, entreprises de comptabilité et avocats. Les obligations thon ont été émises en secret et ont mené à toute une série de problèmes de corruption de haut niveau et des conflits d'intérêt. Les prévisions sur les obligations – envoyées aux investisseurs mais restées confidentielles, étaient trompeuses et elles ont massivement surévalué le résultat attendu. L'entreprise de pêche au thon mozambicaine et les navires coûteux qu'elle a achetés à la France ne génèrent pas assez de revenus pour rembourser les investisseurs ou payer ses travailleurs. Le Mozambique s'est révélé incapable de rembourser, et il s'efforce maintenant d'obtenir une caution du FMI. Chose étrange, le cas du Mozambique ne semble pas être discuté aux conférences annuelles du Crédit Suisse à New York, quand les réseaux de banquiers et d'organisations de conservation se rassemblent pour planifier la promotion des obligations bleues et d'autres instruments financiers innovateurs.

Le Mozambique est un exemple extrême des risques des "obligations souveraines" - par lesquelles les gouvernements lèvent des fonds sur les marchés internationaux de capitaux. Mais le Mozambique n'est pas le seul exemple. Ces dix dernières années, de plus en plus de gouvernements africains ont décidé de lever du cash sur les marchés obligataires. 

Avant 2006, seule l'Afrique du Sud l'avait fait. Mais rien que l'année dernière, des gouvernements africains ont accumulé 40 milliards $US en dettes obligataires ; ce qui signifie que les obligations sont devenues presque aussi importantes pour les gouvernements africains que l'aide au développement. Les Seychelles, le Ghana, la République Démocratique du Congo et le Mozambique ont été les premiers pays à faire défaut sur ces dettes, mais la préoccupation grandit du fait que d'autres vont suivre. 

Alors pourquoi devrions-nous nous préoccuper d'une croissance du marché des obligations bleues ? Notre rapport soulève les problèmes suivants :

Les pays peuvent facilement lever trop de fonds avec les obligations – ce qui mène à une dette impossible à rembourser.

C'est un risque qui est accru là où les évaluations des retombées économiques potentielles manquent de crédibilité. C'est un aspect qui caractérise la pêche, il existe maintenant de nombreux rapports qui prétendent que la richesse des océans est massivement sous-évaluée, et si les pays en voie de développement pouvaient imposer une meilleure gestion et s'occuper de la pêche illégale (et vendre des crédits carbone bleus) – alors les gouvernements pourraient gagner des millions de dollars de taxes supplémentaires et d'impôts. Le problème, cependant, est que ces projections sur l'énorme richesse potentielle des océans ont souvent été fondées sur des statistiques douteuses, et elles s'appuient sur un fantasme, selon lequel les gouvernements africains peuvent développer facilement leur « économie bleue » pour en faire une vache à lait durable qui financera ensuite leur développement en faveur des pauvres et de l'environnement.

De cette façon, des rapports exagérés et simplistes sur la richesse potentielle des océans pourraient facilement être utilisés dans les projets envoyés aux investisseurs, qui finiraient par croire que le gouvernement est dans une bonne position pour gagner assez d'argent pour payer ses dettes, quand il ne l'est clairement pas. En fait, décider quelle somme d'argent lever en obligations n'est pas toujours fondé sur les retombées économiques probables pour l'émetteur des obligations. Au Mozambique, le Crédit Suisse a originellement levé 500 millions $US pour l'entreprise de pêche au thon. Mais ils ont découvert qu'il y avait une forte demande parmi les investisseurs, alors 350 millions $US d'obligations supplémentaires ont été émis. L'affaire est bien pire que ça, le Crédit Suisse a fini par émettre 2 milliards $US en obligations pour le Mozambique, ce qui incluait la levée de fonds pour deux autres entreprises créées pour assurer la surveillance et le contrôle de la ZEE du pays. Aucune information n'était disponible pour convaincre les investisseurs que 2 milliards $US n'étaient pas un investissement viable , bien qu'étant donné que le gouvernement du Mozambique avait garanti les prêts, les investisseurs n'étaient probablement pas trop inquiets. 

Surévaluer les obligations signifie que le pays pourrait faire défaut sur le remboursement de sa dette, ce qui le conduit à être forcé à restructurer sa dette (comme c'est le cas au Ghana et au Mozambique), ce qui tend à menacer la fourniture de services pour les pauvres. Autrement -  et c'est une possibilité plus probable pour les obligations éthiques – le gouvernement fait confiance à d'autres sources de revenus pour compenser le manque à gagner. En Afrique, la plus grande source de devises étrangères à la disposition des gouvernements est de loin l'exportation de matières premières, comme le pétrole, le gaz et les ressources minières, ou le poisson. Les obligations bleues, comme avec les obligations vertes, pourraient ne pas être une dette très soutenable, du fait qu’il existe une pression pour promouvoir d'autres industries polluantes en compensation.  

Ce risque des obligations pourrait sembler similaire à d'autres formes d'emprunts d'état, comme les prêts à des conditions de faveur des banques de développement. Cependant, les obligations sont bien plus chères pour les pays en voie de développement -  ils ont des paiements de taux d'intérêt bien plus élevés, et aussi des frais bien plus hauts au bénéfice des patrons des banques. Malheureusement, la tendance à encourager les pays en voie de développement à lever plus d'argent sur les marchés de capitaux privés, une politique encouragée par tant d'agences d'aide souvent sous le prétexte « d'associer les finances privées et publiques », pourrait entraîner une réduction des prêts à des conditions de faveur et des aides.

Les obligations sont exposées à la corruption et à la fraude

La facilité avec laquelle les gouvernements peuvent lever trop d'argent par les obligations les rend vulnérables à la corruption. Ceci est aussi facilité par le manque de transparence qui semble être une caractéristique des obligations. Là encore, le Mozambique est peut-être le meilleur exemple, mais il y en a eu d'autres. La Tanzanie a levé 600 millions $US en 2013 en émettant une obligation souveraine. Pourtant, des investigations ont prouvé que la principale banque impliquée, la Standard Bank, a eu des collusions avec les autorités tanzaniennes pour augmenter les frais de banque liés à l'obligation, cet argent a ensuite été utilisé pour payer un pot de vin pour que le contrat lui soit accordé. 

Les obligations nationales ne sont normalement pas utilisées pour financer un projet spécifique, mais sont plutôt des sommes d'argent qui sont distribuées pour une sélection de projets fondée sur des critères d'éligibilité. Beaucoup de discrétion entoure l'usage des fonds. Les conflits d'intérêts et les ristournes sont donc des risques inhérents. En théorie, les obligations éthiques pourraient être émises avec des critères de responsabilité et de transparence plus élevés que les autres types d'obligations. En effet, les critères volontaires sur les obligations vertes mettent l'accent sur l'assurance que la façon dont les obligations ont été utilisées est dûment rapportée. Mais généralement les émetteurs d'obligations sont supposés le rapporter eux même, et il n'y a aucune obligation d'audit extérieur. 

La possibilité que les directeurs de banques et les gouvernements abusent des obligations bleues pour un gain personnel devrait être considérée comme un risque pour le marché émergent des obligations bleues. Le fait que le Crédit Suisse et d'autres banques européennes aient été convaincues de corruption liée aux obligations est une preuve supplémentaire. Pourtant ceci n'est mentionné dans aucun des outils de promotion pour la finance de conservation. Ce qui contraste avec les fonds fournis par les donateurs et les banques multilatérales, car ceux-ci ont tenté d'introduire des procédures et des gardes fous anti-corruption. Les marchés financiers privés sont bien plus relâchés sur cette question. C'est aussi vrai concernant les droits humains. Les donateurs et les banques multilatérales ont généralement des moyens d'exprimer leurs griefs et des mécanismes de protection sociale et environnementale. Ils peuvent ne pas très bien fonctionner dans certains cas, mais il n'existe pas de cadre de cette sorte pour les obligations, qu'elles soient éthiques ou non. 

Aligner la conservation des océans sur la "maximisation du profit". 

Un objectif explicite de la finance de conservation est de s'assurer que les investissements dans la conservation sont profitables. Pour les obligations bleues, les choix pour l'usage de l'argent sont donc susceptibles d'être influencés par la maximisation des profits. C'est inquiétant pour les groupes qui dépendent des océans mais qui ne génèrent pas beaucoup d'argent, comme les pêcheurs de subsistance ou les petits pêcheurs. Généralement les campagnes de promotion de la finance de conservation nous disent que les bénéfices de ces investissements seront bien partagés, et qu'ils auront un impact favorable sur les pauvres. Cela semble peu probable. 

Un problème fondamental posé par le fait de s’appuyer sur des marchés de capitaux privés pour financer la conservation est que la seule mesure de succès est l'argent. Les valeurs non-monétaires ne se traduisent pas bien dans des instruments financiers. La politique qui encourage les gouvernements des pays en voie de développement à lever des fonds sur des marchés de capitaux privés a été fortement critiquée car elle encourage la privatisation de biens publics et promeut les intérêts des multinationales, aux dépens des économies et des entreprises locales.   

Le spectre du "Blue washing"

Une des principales critiques des obligations vertes est qu’elles ne sont pas toujours très vertes. On ne sait pas encore très bien ce qu’est le bleu des obligations bleues mais on devrait s’assurer qu’il inclut la soutenabilité environnementale.

Les gouvernements et les grandes entreprises peuvent appeler leurs obligations comme bon leur semble. Cependant, les normes volontaires et les labels ont été partie intégrante de la croissance du marché des obligations vertes. Les critères sont vagues et encouragent les émetteurs d'obligations à payer une évaluation par des tiers qui démontrerait la «  couleur verte »  de la proposition. La vraie définition de « vert » reste ouverte à interprétation.

Quatre entreprises internationales ont cerné le marché en fournissant ces évaluations. C'est un système faible – les entreprises qui fournissent les évaluations et les labels ont un réel intérêt à fournir des évaluations favorables – comme cela mènera à plus d'affaires et à un meilleur niveau du marché. 

Un des dilemmes clés sur ces évaluations est de favoriser « l'effet de rebond ». Voici un exemple simple : un plan pour réduire la consommation d'énergie des transports permet des économies. Cependant, des transports moins chers signifient que les gens voyagent plus, ce qui signifie que l'impact net de l'investissement n'a pas réussi à réduire la consommation d'énergie et l’émission de carbone.

On pense que ces effets de rebond sur les projets financés par des obligations vertes sont communs, mais il se peut qu'il faille du temps pour les mesurer et les détecter. Les évaluations des obligations vertes par des tiers soulèvent souvent ces problèmes, mais ce n'est pas considéré comme suffisant pour donner à une obligation une évaluation négative. Nous avons donc des obligations vertes considérées comme telles par des tiers pour des compagnies pétrolières. 

Une faiblesse plus profonde du marché des obligations vertes est que l'accent est mis sur l'usage des fonds. Un risque majeur est que des gouvernements émettent des obligations vertes, mais qu'ils continuent à investir dans d'autres industries polluantes et à les promouvoir. Les évaluations des obligations vertes ne considèrent pas "la cohérence de la politique" , ce qui veut dire qu'un pays comme le Nigéria peut émettre une obligation verte tout en continuant à dépendre lourdement de l'exportation d'hydrocarbures. 

Le même problème se manifeste avec les investisseurs et les banques. Des institutions comme le Crédit Suisse ou JP Morgan font la promotion des obligations vertes avec enthousiasme, mais elles ont des investissements bien plus importants dans des obligations sales. La même chose s'est vérifiée pour le Groupe de la Banque Mondiale, qui a fait la promotion du marché des obligations vertes tout en générant plus de fonds pour l'installation de nouvelles centrales à charbon. 

Contrairement à d'autres types de financement, les obligations vertes manquent aussi de discipline. L'argent est fourni d'abord pour des investissements verts, mais il n'existe pas de moyen de rendre l'argent si l'impact de l'investissement s'est révélé décevant, même s'il y avait intérêt à attendre la fin des évaluations du projet, ce qui ne semble pas du tout être une caractéristique des obligations vertes.  

Un dilemme : s'occuper des risques du marché des obligations bleues

Les organisations qui s'inquiètent de ces risques présentés par la finance de conservation et la croissance des obligations bleues sont confrontées à un dilemme. Une approche pragmatique serait de mettre l'accent sur la limitation des risques, y compris en faisant campagne pour des directives volontaires plus fortes, des engagements de la part des banques à être transparentes, et pour que des garde-fous sociaux et environnementaux soient mis en place par les gouvernements et les institutions financières. Les organisations de la société civile pourraient aussi décider d'investir du temps et des ressources dans le contrôle des obligations bleues et pour mettre en place leur propres évaluations indépendantes.  

Mais limiter les risques sera chronophage et pourrait être un échec. En effet, la logique derrière le capital de conservation est douteuse. L'argument principal mis en avant, que les marchés financiers privés vont sauver la planète, n'est pas convaincant. 

Le "fossé du financement" est idéologique. L'incapacité des gouvernements à assurer que les écosystèmes marins soient utilisés de façon durable n'est pas simplement due à un manque de ressources et d'argent ; les principales causes presque partout sont de nature politique. Nous ne devrions pas imaginer que peut-être les gouvernements vont devenir des gardiens responsables des écosystèmes marins en s'assurant simplement qu'ils ont accès à plus d'argent par des instruments générateurs de dette.  En effet, étant donné ce que nous savons sur les marchés de la dette internationale en Afrique, leur faire davantage confiance va très probablement mener à un fossé financier grandissant pour les gouvernements africains. 

Les estimations du fossé financier pour la conservation sont aussi une manipulation. Il existe beaucoup de façons différentes de réussir des changements pour soutenir la pêche et la conservation marine durable, comme donner la priorité aux pêcheries à petite échelle durable plutôt que les autres grandes entreprises de pêche industrielle. Si le financement est un problème, alors d'autres sources de fonds plus durables devraient être encouragées, comme lever des impôts sur les industries polluantes, ou réduire les dépenses gouvernementales dans d'autres secteurs, comme l'armée. 

Mais il n'y a pas de raison de croire que la seule source de financement qui reste pour l'océan vient des marchés capitaux privés. Il y a aussi une bonne raison de croire que suivre ce chemin va fournir des bénéfices disproportionnés pour les secteurs les plus riches de la société. 

Enfin la finance de conservation requiert une foi aveugle dans le conte de fées que notre seule façon de garantir des écosystèmes marins durables est de faire de gros bénéfices dans ce processus, pour toujours. Le mouvement vers un usage durable des écosystèmes marins va aussi nécessiter des choix difficiles pour réduire la croissance et limiter la consommation. Malheureusement, il existe une possibilité distincte que la poussée pour augmenter le financement privé est occasionnée par une coalition d'organisations qui ont tous de gros intérêts ; les investisseurs qui cherchent à montrer leurs références sociales et environnementales, les ONG qui cherchent à accroître leur propre financement, les banques qui facturent des frais lucratifs, et les gouvernements à la recherche d'argent supplémentaire à court terme.

La stratégie de croissance bleue de la Commission Européenne est-elle un modèle pour l’Afrique ?

La croissance bleue est devenue une idée importante pour réformer la gouvernance des océans. La stratégie de croissance bleue de la Commission Européenne a été développée depuis 2011 et est présentée comme une source d'inspiration pour le soutien de l'UE à l'Afrique - pour libérer le vaste potentiel de richesse des mers. Cependant, cette vision reste peu attrayante pour les pêcheurs artisanaux et n'est pas alignée sur les Directives Volontaires pour la pêche durable à petite échelle. Une des principales raisons est que la définition de l'économie bleue utilisée par la CE a perdu son objectif de transformation, étant remplacée par quelque chose qui place la croissance et les profits au premier plan de la prise de décision.

Ce document fournit une évaluation critique de la stratégie de croissance bleue de l'UE. Il fait partie d'un projet conjoint entre CAPE, la Société Suédoise pour la Conservation de la Nature, Pain Pour le Monde et le CAOPA is Confédération Africaine des Organisations Professionnelles de Pêche artisanale qui examine comment les Directives volontaires peuvent être utilisées pour garantir que les politiques de pêche respectent et promeuvent la pêche artisanale durable

Une des principales barrières à la pêche durable : Le rôle des agents consignataires de pêche en Afrique

Les agents consignataires jouent un rôle crucial dans la facilitation des opérations de la pêche industrielle en Afrique. Tous les navires utilisent au moins un, sinon plusieurs agents. Et dans la plupart des pays, un navire de pêche battant pavillon étranger est légalement tenu d'utiliser un agent local. Dans les accords de pêche de l'UE avec les pays africains, l'utilisation d'un agent consignataire local est également obligatoire pour les opérateurs; c’est une clause dans la plupart des protocoles d'accords. Mais des experts du secteur et des opérateurs de pêche estiment que le rôle de nombreux agents consignataires pose problème – c’est une source de corruption considérable et de pratiques commerciales contraires à l'éthique. 

Si la corruption impliquant des agents consignataires et des autorités se limitait à quelques cas isolés, ce ne serait pas un grand problème. Mais il semble qu’en plusieurs endroits, ce type de corruption est considéré comme un mode de fonctionnement normal ; c’est comme ça que fonctionne la pêche. Nous souhaitons généralement que la prise de décision dans le domaine de la pêche repose sur des considérations relatives à la durabilité et au développement social et économique, y compris pour les politiques qui favorisent les pêches artisanales. Mais ce qui est décrit ici, c’est que pendant des décennies dans certains pays, la prise de décision a été motivée par les intérêts personnels de certains fonctionnaires et agents consignataires, dont la principale source de revenus est l’argent versé par des opérateurs étrangers aux agents consignataires, y compris pour des services surfacturés ou inutiles. Pour cette raison, des experts en matière de pêche estiment que les agents consignataires constituent, selon eux, l'une des menaces principales à la gestion responsable des pêches dans de nombreux pays africains.

Qui est et qu’est-ce qu’un agent consignataire

En Afrique de l'Ouest, l'histoire des agents consignataires de pêcheremonte au début des années 1980. Avec l'extension des eaux territoriales et l'intensification de la pêche industrielle, ce fut une année de croissance considérable du nombre de navires opérant dans les eaux africaines. Avant cette période, la pêche industrielle dans les eaux côtières africaines était dominée par des entreprises publiques de l'ex-Union soviétique, et des navires de pays européens opérant dans le cadre d'accords bilatéraux et privés. Ces accords d'accès avaient tendance à être négociés entre les gouvernements et, dans le cas de l'Union soviétique, impliquaient la mise en place de grandes initiatives de sociétés mixtes, et dont la rumeur disait qu’ils faisaient partie d’accords plus larges, de type militaire.

Ces changements intervenus dans les années 1980 sont arrivés alors que l'ajustement structurel provoquait des désastres, et que plusieurs pays côtiers étaient la proie de conflits civils. Des centaines de navires, dont un nombre croissant provenant d'Asie, opéraient donc dans des pays où les administrations ne fonctionnaient guère, à cause d’un manque de législation, de ressources et de lignes de communication. Il semblerait qu'une femme du Ghana ait été la première personne à y voir une opportunité commerciale. Elle était auparavant employée au Ghana en qualité de Secrétaire Permanente du Ministère de l'Agriculture. Après avoir noué des contacts personnels avec des compagnies de pêche asiatiques, elle a offert ses services pour aider ces entreprises à rencontrer les personnes compétentes dans d'autres pays d'Afrique de l'Ouest et est devenue la facilitatrice pour l’obtention de licences de pêche. Elle a poursuivi en créant une agence de consignataires travaillant dans toute la région, avec des bureaux dans plusieurs pays, dont le Libéria et la Guinée. Aujourd'hui, elle est considérée comme une femme d'affaires extrêmement prospère et est peut-être à l’origine de la vocation de nombreux autres agents inspirés par son succès.

Aujourd'hui, les agents consignataires de pêche peuvent fournir plusieurs services allant de la demande de licences, l’organisation des inspections de navires, le recrutement des équipages, l’organisation du ravitaillement, la réception et la transmission des informations du navire aux autorités, et même l'enlèvement des ordures des navires faisant escale au port. Certaines compagnies d'agents fournissent tous ces services aux navires de pêche, et d’autres sont des agents qui fournissent certains de ces services à une gamme de navires, pas seulement des navires de pêche. Mais il semble plus fréquent en Afrique que les opérateurs de pêche utilisent des agents différents pour différents services, et il y a des agents qui se spécialisent dans l'acquisition de licences de pêche. Même dans le cadre d'accords d'accès bilatéraux, les opérateurs individuels paieront un agent local pour préparer la documentation et récupérer la licence qui est à leur nom. Des opérateurs européens déclarent payer environ 1500 Euros par an aux agents pour ce service, bien que certains soient invités à payer beaucoup plus. Il ne fait aucun doute que les frais payés aux agents sont un coût considérable pour l'industrie, et une activité lucrative pour ces agents.

Les agents consignataires sont habituellement des citoyens locaux, bien qu'il existe des exemples d'étrangers qui travaillent également comme agents. Il y a quelques années, le consul espagnol en Guinée-Bissau était le contact commercial des navires de pêche espagnols, facilitant l’acquisition de licences et offrant des services diplomatiques. Dans certains pays, comme les Seychelles, les agents sont certifiés et reçoivent l’agrément officiel d’exercer. Mais il y a plusieurs pays où le statut juridique des agents est difficile à identifier. En effet, dans de nombreux pays, le secteur semble exister d'une manière relativement informelle. On signale que, par exemple, les navires de pêche néerlandais travaillant en Mauritanie utilisent le même agent local depuis des années, bien qu’il n'y ait pas de contrat formel entre eux et que tout soit fait sur base de la confiance. D'autres représentants de l'industrie confirment que le fait de travailler avec des agents sans contrats a été pratique courante, ce qui rend leurs responsabilités plutôt vagues.

Corruption institutionnalisée?

A première vue, il semblerait que les agents fournissent un service utile à la fois à l'industrie de la pêche et aux autorités locales. L'agent prépare la voie aux navires de pêche travaillant dans des pays réputés difficiles. Comme l'a expliqué un représentant de l'industrie de l’Europe : "travailler sans agent dans des pays comme l'Angola ou la Guinée serait impossible". Et pour les autorités locales, il s’agit d’une personne familière qui sert de contact pour les entreprises étrangères qui peuvent rarement venir au port, et qui ne peuvent pas être contactées facilement ou avec lesquelles il est peut-être difficile de discuter. Pour un grand nombre de navires de pêche étrangers, toutes les transactions avec les autorités de pêche locales sont ainsi réglées par leur agent - non seulement pour le payement des licences, mais aussi pour la transmission de leurs données sur les captures et les activités de pêche.

Mais il existe de sérieuses inquiétudes au sujet de cet arrangement. Un aspect concerne des conflits d'intérêts généralisés. De nombreux agents consignataires de pêche prospères sont soit des anciens employés du département des pêches ou des responsables politiques ou militaires. Il n'est pas non plus rare de rencontrer des agents de pêche qui sont des agents en fonction dans l'autorité de pêche ou le gouvernement. Par, un ancien directeur de la Commission du Thon de l'Océan Indien a été obligé de démissionner lorsqu'on a découvert qu'il avait créé une société d'agents de pêche offrant des services aux bateaux de pêche du thon des Seychelles. Lorsque les informations sur une enquête menée par Interpol dans un incident de piraterie impliquant des navires figurant dans son registre de consignataire avaient été rendues publiques, Il avait transféré la propriété de la société de consignation à son épouse dans le but de dissimuler qu’il était en même temps autorité de pêcheet agent consignataire.

Dans de nombreux pays, il est dit qu'il existe un arrangement de longue date selon lequel les frais payés aux agents de pêche par les propriétaires de navires sont partagés avec certains membres des autorités de pêche. Cela ne se fait pas de manière légale ou transparente, mais représente plutôt des pots-de-vin institutionnalisés. En effet, l'argent versé à certains cadres supérieurs du secteur de la pêche par des agents constituerait un revenu supplémentaire stable pour eux. Un expert au fait de la situation du secteur des pêches de l'Afrique de l'Ouest et qui s’est intéressé au travail des agents de pêche depuis des décennies estime que cela peut se comprendre compte tenu des très bas niveaux de salaire versés aux hauts responsables de l’administration de la pêche; le salaire mensuel que perçoit un directeur des pêches dans un des pays d’Afrique de l'Ouest est de plus ou moins 500 US dollars, d'autres pourraient percevoir encore moins.

Des problèmes persistants de détournement de licences de pêche dans certains pays africains ont été relevés. Il a été signalé dans des pays comme Sao Tomé-et-Principe, la Guinée-Bissau, la Tanzanie et le Mozambique, que dans le passé - et peut-être encore aujourd'hui - certains opérateurs paient les coûts de licence et l'argent des amendes directement sur les comptes personnels de certains hauts fonctionnaires. Cependant, il semble plus courant que les agents jouent un rôle d’intermédiaire dans ce type de détournement de fonds de l'État, et obtiennent également leur part.

Au Libéria, le scandale qui a été très médiatisé concernant des navires de pêche de l’UE et d’Asie pêchant avec des licences frauduleuses en 2014 impliquait également un agent consignataire local, qui était, là encore, un parent d'un haut fonctionnaire du gouvernement. Les personnes impliquées prétendent que le problème serait survenu du fait que l'agent n'a pas versé une part des droits de licence au ministre concerné cette année-là, comme il l'aurait fait pendant plusieurs années auparavant. Le ministre a demandé l'argent, et l'agent a demandé aux propriétaires de navires de payer une deuxième fois, ce qu'ils ont refusé de faire. La réponse du ministre fut de déclarer nulles et non avenues les licences, et d’affirmer qu'elles avaient été émises de façon irrégulière, ce qui n’était pas le cas.

Plus récemment, une autre arnaque a été découverte en Tanzanie, où il a été révélé que des agents travaillant avec des hauts fonctionnaires avaient vendu des licences à des navires étrangers, mais détourné les fonds vers des comptes bancaires privés. Une personne connaissant bien le secteur a déclaré que cette pratique avait été courante pendant des années et avait impliqué de très hauts cadres du ministère des Pêches.

Le point de vue de l’industrie

Il est possible que les propriétaires de navires de pêche ignorent totalement que l'argent versé aux agents consignataires est ensuite détourné vers les comptes bancaires privés de fonctionnaires. Mais cela est peu probable. En effet, une source ayant des contacts étroits avec les flottes de pêche thonièresprises dans le scandale des licences au Libéria a déclaré que l'industrie de la pêche avait été prévenue des implications juridiques si cette situation se présentait - ils payaient des millions d'Euros aux agents qu’ils savaient donner des dessous-de-table aux fonctionnaires. Cela les rendait complices de corruption, ce qui les mettrait en violation des lois de leur pays d'origine sur les paiements de pots-de-vin dans un pays étranger.

En raison de ces types de problèmes, depuis quelques années, les propriétaires de bateaux, du moins de l'UE, ont insisté pour que les paiements s’effectuent au trésor central. Cela a sans doute coupé une source lucrative de revenus pour les fonctionnaires corrompus. Pourtant, certains représentants de l'industrie croient que cela a résulté en des moyens plus novateurs de gagner de l'argent de façon illicite dans le secteur. En effet, certains pensent que les sommes obtenues par les agents consignataires pour d'autres services que l’obtention de licence ont augmenté alors que les paiements de droits de licence étaient effectués directement au trésor central.

Un exemple vient encore du Libéria, où la législation nationale exige maintenant que les navires soient soumis à des inspections annuelles pour obtenir l'autorisation de pêcher, à l’exemple de nombreux autres pays qui suivent des conseils dans le cadre de la lutte contre la pêche INN. Il incombe aux opérateurs de navire de payer les frais des inspecteurs. L'inspection moyenne devrait prendre environ une demi-journée. Mais les opérateurs de navires doivent organiser les inspections par l'intermédiaire de leur agent consignataire local, qui semble gonfler les coûts. Selon une source, les agents ont facturé les honoraires des inspecteurs du gouvernement pour quatre jours par inspection et ont déclaré que les propriétaires de bateaux doivent payer un tarif journalier de 300 Euros pour chaque inspecteur, en plus du payement de leurs vols, hébergement à l’hôtel et restauration. Les opérateurs de navires payeraient aux agents jusqu'à 5000 Euros par inspection.

Récemment, des opérateurs de navires espagnols et français se sont rendu compte qu'ils payaient le même agent, avec les mêmes inspecteurs pour les mêmes jours, de sorte que l'agent doublait au moins son revenu sans fournir la totalité du service requis. Il y a aussi un doute considérable sur le fait que les agents versent le montant total aux inspecteurs. Le point important est que les opérateurs n’ont aucun moyen de le vérifier, vu que les autorités ne rendent pas publiques les structures de coûts des inspections.

Une sphère d’influence croissante?

Au-delà des licences et des inspections, il existe également d'autres sources lucratives de revenus pour les agents et les représentants du gouvernement. Une source provient des règlements extrajudiciaires pour les infractions en matière de pêche. En d'autres termes, les propriétaires de navires accusés de crimes peuvent se retrouver à payer de l'argent à leurs agents pour sortir du pétrin. C'est à la fois une situation très vulnérable à l'extorsion contre les propriétaires de navires, et un moyen facile d'éviter les sanctions.

En 2009, par exemple, les autorités de Guinée-Bissau ont arrêté trois navires ; un pétrolier et deux navires de pêche appartenant à l'Espagne, pour ravitaillement sans autorisation. L'affaire concernant le pétrolier, Virginia G, avait duré pendant plusieurs années, et l'équipage retenu en captivité pendant 14 mois. Les propriétaires du pétrolier ont réfuté l’accusation selon laquelle le ravitaillement en carburant a été effectué dans les eaux territoriales de la Guinée-Bissau. L'affaire a été finalement portée devant le Tribunal international du droit de la mer. Les documents justificatifs de l'affaire présentés par les propriétaires de Virginia G montrent que le capitaine du pétrolier a parlé au propriétaire des navires de pêche le lendemain de l'arrestation. Les deux navires de pêche ont quitté le port ce jour après avoir été arrêtés à côté du pétrolier, et le capitaine du pétrolier a voulu savoir pourquoi. La raison était qu'ils avaient payé à leur agent local, le consul espagnol, 100 000 Euros, qui ont ensuite été transférés sur le compte privé d'un haut responsable de la sécurité.

Un agent prospère est souvent quelqu'un qui travaille en étroite collaboration avec les autorités gouvernementales ; il y a des gens qui croient que cela a donné lieu à des flux d'argent illicite entre agents et hauts fonctionnaires. Cependant, les relations entre les agents et les autorités de pêche ne sont pas toujours amicales. En Mauritanie, une affaire impliquant l'agent de la flotte de pêche hollandaise a été évoquée. Tout le monde savait qu’un haut cadre des pêches, chargé des inspections et des pénalités, empochait des sommes importantes d'argent provenant des pénalités. En fait, l'ampleur de ce détournement de fonds (une source pensait que c'était environ 10 millions d'Euros par an) a fait de lui un des hommes d'affaires les plus riches du pays, un proche allié du président et propriétaire de plusieurs entreprises, y compris dans l’industrie de la pêche. L'agent travaillant avec la flotte de pêche néerlandaise a écrit un article de journal révélant l'ampleur de cette corruption. En représailles, deux navires qui utilisaient l'agent ont été arrêtés sur la base d’une fausse charge, et il a été « recommandé » à la flotte de pêche néerlandaise de remplacer son agent par quelqu'un de proche du pouvoir politique. Un avocat local a alors contacté l'industrie de la pêche néerlandaise pour proposer le nom d'un agent de remplacement, qui veillerait également à ce que les chalutiers hollandais puissent contourner les lois nationales sur les restrictions de zones de pêche - un privilège illégal que d'autres navires d'origine non européenne ont apparemment accepté. Les Néerlandais ont refusé et continuent avec leur ancien agent.

Il y a d'autres rôles d'agents de pêche où l'on peut déceler un abus de pouvoir potentiel. Un domaine d'intérêt concerne le rôle des agents de pêche dans le recrutement de citoyens nationaux pour les équipages à bord des navires étrangers. Tous les navires qui doivent embaucher l'équipage local auront tendance à utiliser un agent pour cela, qui peut ne pas être le même utilisé pour obtenir des licences. Mais cette pratique est également préoccupante en ce sens qu’elle permet, en échange de pots-de-vin, de donner des emplois à des personnes qui ne sont pas bien formées. On constate aussi des abus dans les contrats de travail. Le rôle de ces agents dans les conflits du travail mérite une recherche plus approfondie, car ils peuventêtre des acteurs importants dans l'exploitation des équipages.

Les agents sont également utilisés dans certains pays pour collecter et distribuer des prises accessoires, lorsque des navires de pêche sont obligés de les débarquer. Mais il est difficile de trouver des informations relatives aux frais payés pour cela, et à la manière dont les agents exploitent et distribuent le poisson. Encore une fois, c'est un thème qui souligne l'influence croissante des agents, en l’absence d’une réglementation et une transparence adéquates.

La plus grande incidence?

Les histoires rapportées sur le rôle des agents consignataires dans la pêche en Afrique soulèvent de nombreuses craintes. En effet, un grand nombre de navires de pêche étrangers - peut-être la majorité dans plusieurs pays - obtiennent des licences de pêche par le biais d’agents impliqués dans une corruption systémique. L'industrie de la pêche est évidemment préoccupée par l'extorsion dont elle fait l’objet, et sans aucun doute beaucoup s'inquiètent des risques pour leur réputation. Mais le problème le plus important réside au niveau des implications pour une pêche responsable et durable.

Dans une situation similaire signalée en Mauritanie, un représentant de l'industrie de l'UE a déclaré qu'il n'est pas inhabituel d'être contacté par des agents offrant des licences à des conditions intéressantes, mais illégales. Comme noté plus haut, cela peut être de permettre à des bateaux de ne pas suivre la réglementation nationale, comme par exemple de pêcher dans des zones réservées à des embarcations artisanales ou semi industrielles. Au Gabon, par exemple, un agent a affirmé pouvoir offrir des licences qui autorisaient au navire industriel à utiliser en mer des navires de ravitaillement (‘supply’), bien que cela ait été interdit dans le cadre de l'accord de l'UE avec le pays. D'autres navires - pêchant grâce à des accords privés au Gabon – semblent avoir ce genre de licences fournies par l'agent. Parfois, ces offres proposées par les agents peuvent être des escroqueries, comme celle qui offrait récemment aux compagnies françaises de pêche thonière des licences pour les senneurs aux Maldives, alors que les Maldives ont interdit la technique de la senne. Mais il est clair qu'il existe des incitations pour les agents à fournir au secteur industriel des autorisations pour entreprendre une pêche non durable et dommageable, et aussi pour vendre beaucoup plus de licences que ce qui est durable.

Au Libéria, cette année, la décision du Président d’abroger une loi qui interdisait aux navires industriels de pêcher dans la zone de 6 milles marins de la côte était apparemment promue par l'agent des bateaux de pêche asiatiques ; l'agent était également un proche parent d'un haut fonctionnaire. Une modification de la loi rendra les opérations des bateaux, et donc la vente de licences à ces bateaux de pêche, beaucoup plus faciles et, en fait, l’agent avait déjà fait une promesse de faire modifier la loi, ce qui explique pourquoi ces entreprises asiatiques avaient déjà investi dans des installations terrestres pour transformer le poisson. Heureusement, il semble avoir eu une opposition aux souhaits de l'agent et de ses clients en raison de l'indignation généralisée à la proposition de modification de la règlementation de la pêche.

Lorsque les inspections des navires deviennent un moyen pour les agents et leurs relais au pouvoir de gagner des revenus, il est difficile que les inspecteurs fassent un travail honnête. Et là où les hauts fonctionnaires, sont de mèche avec les agents des navires, nous pouvons nous attendre à ce que ces navires bénéficient d’une certaine clémence quand il s'agit de violer les règles. Nous ne devons pas imaginer que tous les agents du secteur de la pêche en Afrique soient véreux, ni que ces problèmes sont spécifiques à l’Afrique, mais il semblerait que les agents consignataires y opèrent dans un environnement trouble et mal réglementé. Alors que certains opérateurs de navires se plaindront d'être volés, il y en aura d'autres à qui cela profitera.

La prétendue corruption entre agents et cadres supérieurs pourrait être une raison pour laquelle des gouvernements s’opposent aux réformes de la pêche, y compris en matière de transparence. Du moins, c'est le point de vue d'un expert expérimenté en matière de pêche travaillant sur certains des plus grands projets de donateurs du secteur des pêches en Afrique de l'Ouest. Selon cette personne, «si vous voulez comprendre pourquoi l'industrie de la pêche est si mal réglementée, et ce qui entraîne des décisions apparemment mauvaises, y compris la vente de trop nombreuses licences, vous devez comprendre le rôle des agents de pêche et le flux d’argent ». En effet, les informations relatives à ce que les pays africains gagnent de la pêche étrangère ne sont habituellement pas dévoilés. D’où  l'argument selon lequel les compagnies de pêche étrangères payent des droits de licence très bas. Ce que l’on cache est le montant réel payé par les navires à leurs agents consignataires, puis le montant qui va dans les poches des fonctionnaires, plutôt qu’au trésor central. Si on tient compte de cette information, la valeur de la pêche étrangère serait bien différente de ce que l’on pense habituellement. Et bien sûr, il y a une farouche opposition à faire quelque chose à ce sujet. Comme l'a déclaré cette source, « nous avons essayé d'organiser des réunions directement avec l'industrie de la pêche à ce sujet, mais le Ministre refuse de nous permettre de rencontrer l'industrie sans que les agents soient invités ».

Que peut-on faire?

Malheureusement, il y a peu de transparence sur les activités de ces agents de pêche et sur la corruption qui y est liée. Une très grande attention internationale est focalisée sur la pêche industrielle illégale en Afrique, considérés comme « pillant les océans », et les États africains sont souvent décrits comme disposant de peu de ressources et n'ayant aucune chance contre de puissantes compagnies étrangères.

Compte tenu de ce qui est allégué sur le rôle des agents consignataires dans le secteur, cet accent mis uniquement sur la lutte contre la pêche INN peut échouer à mener à une pêche durable. Une étude récente menée par l’Université de Colombie britannique a présenté un chiffre très élevé de la valeur de la pêche INN en Afrique de l'Ouest (deux milliards et demi de dollars !) et a exhorté les États africains à faire plus d’efforts pour capturer les navires de pêche illégaux afin de pouvoir gagner plus en termes d’amendes. En réalité, compte tenu du rôle des agents et la corruption systémique dans de nombreux pays, la pêche illégale peut ne pas constituer la plus grande menace pour les pêches durables et, sans réformes politiques, l'application de la loi contre la pêche INN isolément pourra être continuellement sapée par des intérêts personnels.

Face à cette réalité, certains acteurs insistent sur la transparence et le développement de lignes directrices ou de normes éthiques pour les agents consignataires. Une bonne partie de la corruption impliquant des agents pourrait être beaucoup moins facile si les informations sur les navires ayant des licences, les termes de leurs licences et les détails des paiements étaient rendus publics et accessibles. Là où les agents s’occupent d’autres services,  le coût de ces services devrait être publié par les autorités nationales - ce qui rendra beaucoup plus difficile le vol d’une partie de ces taxes par les agents et les fonctionnaires. Un exemple clair est celui des frais pour le traitement des licences. Un autre est la structure des frais pour les inspections des navires, y compris les taux d’indemnités journalières des inspecteurs.

Une autre idée est qu'il devrait avoir aussi un registre public d'agents. Le fait que, dans certains pays, les opérateurs de navires se tournent vers les autorités locales de pêche pour leur recommander des agents, peut faciliter certaines des relations corrompues entre ces autorités de pêche et les agents.

Des discussions plus poussées sur les normes éthiques pour les agents méritent d’être menées. Un simple point de départ serait de concevoir des règles concernant les conflits d'intérêts et les collusions entre consignataires et autorités, ce qui signifie qu’il est interdit aux fonctionnaires et à leurs familles d’occuper des fonctions d'agents. Cela n'empêcherait pas d'autres personnes qui servent en qualité d'agents qui veulent verser des pots-de-vin aux fonctionnaires, ce qui pourrait ne pas être totalement efficace. Mais il est également indéfendable de permettre à l'épouse ou au frère du ministre des pêches de servir en qualité d'agent privé pour les navires de pêche étrangers, et encore moins le directeur du service des pêches qui le fait lui-même.

D'autres idées pour réformer cette situation résident dans les modifications apportées au sein des autorités nationales de pêche. Ceux qui voient les salaires extrêmement bas versés aux fonctionnaires des pêches, ainsi que les bureaucraties lourdes comme cause principale du problème, souhaitent que les autorités de pêche soient privatisées ou transformées en organisations parapubliques (tel est le cas aux Seychelles), ce qui permettra donc de verser des salaires plus compétitifs, d'embaucher et licencier plus facilement le personnel.

Pourtant, un problème plus fondamental est de savoir si certains des services fournis par les agents sont en fait nécessaires ? Les agents sont devenus incontournables en partie à cause des faiblesses des autorités nationales de pêche. Mais cet état de choses semble être maintenu délibérément pour permettre l'abus de pouvoir.

La question de savoir pourquoi les opérateurs de navires doivent payer un agent pour traiter et retirer un permis de pêche n'est pas claire. L'autorité nationale de délivrance des licences devrait être en mesure de fournir un service électronique de délivrance de licence qui supprimerait le besoin d’un agent consignataire pour obtenir une licence . Par exemple, dans le cas des accords de pêche de l'UE, au lieu d’exiger les propriétaires de navires l’utilisation d’un agent local pour les services, y compris les licences, l'UE pourrait insister pour que les autorités compétentes fournissent ce service dans le cadre de l'accord.

On pourrait en dire autant des autres fonctions des agents - est-il nécessaire que des agents s’occupent d’organiser des inspections? Les autorités nationales pourraient-elles organiser cela et communiquer avec les propriétaires de navires eux-mêmes ? Pourquoi les agents sont-ils utilisés pour collecter des données de captures auprès des navires de pêche ? Si l'argument qui sous-tend l'utilisation des agents repose sur l'idée que le fait de travailler avec des gouvernements opaques et bureaucratiques est trop compliqué et prend du temps pour l'industrie, la réponse consiste à améliorer les services gouvernementaux et non à établir un secteur d'activité lucratif pour des intermédiaires bien connectés, mais finalement irresponsables qui semblent enclin à l'extorsion, à la corruption, aux détournements de fonds et aux conflits d'intérêts.

l'Eveil du FiTI...

Le 27 avril 2017, l’Initiative pour la Transparence des Pêches (FiTI) était officiellement lancée à Bali. C’était le résultat de deux années de consultations, dirigées par un groupe consultatif international, composé d’importantes ONG du domaine de la pêche, de gouvernements, de représentants de la pêche industrielle et de la pêche artisanale et d’organisations internationales, notamment la Banque Mondiale et la Banque Africaine de Développement. Le résultat principal du lancement fut le « standard de la FiTI » qui définit comment fonctionne la FiTI et les informations à publier par les pays qui mettent en œuvre l’initiative.

Lors du lancement, au moins quatre pays se sont engagés à mettre en œuvre la FiTI : la Mauritanie, les Seychelles, l’Indonésie et la République de Guinée. Des gouvernements de plusieurs autres pays ont également montré un intérêt. Le Conseil International de la FiTI regroupe des ONG (Greenpeace, Bread for the World, Oceana, WWF, etc.) et des représentants des gouvernements des quatre pays pilotes qui mettent en œuvre l’initiative ainsi que de la Suède. Il a été plus difficile de trouver des représentants de l’industrie pour le Conseil International de la FiTI, et jusque-là, il n’y a qu’un seul engagement du côté industriel, celui de la flotte de pêche russe. Cependant, une chose positive est que la moitié des sièges disponibles pour les représentants de l’industrie sera réservée au secteur de la pêche artisanale, et la CAOPA est d’ores et déjà confirmée comme membre du conseil d’administration de la FiTI, ainsi que le représentant des pêcheurs traditionnels d’Indonésie.

 

Développement du standard de la FiTI

Le fait que la FiTI soit parvenu à décoller montre qu’il existe un large consensus comme quoi le manque de transparence est un problème considérable dans les pêcheries. Cela a été un point clé du plaidoyer de nombreuses ONG travaillant sur les réformes nécessaires dans la pêche, ainsi qu’une question soulevée depuis longtemps par les organisations de pêche artisanale. Bien qu'il y ait un certain désaccord concernant jusqu’où la transparence doit aller, et sur ce qui constitue une information sensible sur le plan commercial, des organisations intergouvernementales, comme la Commission européenne, ainsi que des représentants du secteur de la pêche industrielle commencent aussi à montrer un intérêt pour l’initiative.

Au départ, la FiTI se préoccupait surtout de l’amélioration de la transparence sur la question de savoir qui a le droit de pêcher, ce qui est payé pour ce droit et ce qui est pêché. Toutefois, ceci était considéré très restrictif, et une grande partie du travail du groupe consultatif international était de re-réfléchir sur le type d’informations à prendre en compte par la FiTI et pourquoi. A la suite de ce processus, le standard de la FiTI comprend maintenant 12 éléments de rapport. Ce sont des domaines thématiques sur lesquels il est demandé aux pays de publier les informations. Les 12 conditions sont: 

1. La création d’un registre public des lois, règlementations nationales en matière de pêche et de documents de politique officiels.

2. La publication d’un résumé de lois et de décrets sur les régimes fonciers applicables aux pêches. 

3. La publication de tous les accords d’accès à la pêche étrangère ainsi que les études sur les impacts environnementaux, sociaux et économiques de ces accords. 

4. La publication de rapports nationaux sur la situation des stocks de poissons.

5. La publication d’un registre en ligne à jour des bateau industriels autorisés à pêcher, ainsi que les informations sur leurs paiements et captures enregistrées (agrégées pour chaque état) et les études sur les impacts sociaux, économiques et environnementaux.

6. La publication d’information sur le secteur artisanal, y compris le nombre de pêcheurs, leurs capture et transferts financiers à l’état et   toutes les études sur les impacts sociaux et économiques de ce secteur.

7. La publication d’informations sur le secteur post-capture et le commerce du poisson.

8. La publication d’informations sur les efforts d’application de la loi, y compris une description des efforts de s’y conformer par les pêcheurs et un registre des infractions et protections du secteur.

9. La publication d’informations sur les normes du travail du secteur de la pêche et des efforts faits pour les appliquer.

10. La diffusion d’informations sur les transferts gouvernementaux et les subventions accordées au secteur de la pêche. 

11. La publication d’informations sur l’assistance officielle pour le développement concernant les projets du secteur public relatifs à la pêche et à la conservation marine.

12. Des informations sur le statut du pays concernant la transparence dans la propriété effective.

Au départ, il était envisagé que la mise en œuvre de la FiTI impliquerait la production d’un rapport national détaillé avec toutes les informations et données requises concernant ces 12 éléments. Certains domaines thématiques seraient rapportés chaque année, d’autres tous les deux ans. Vers la fin de la phase conceptuelle de la FiTI, on s’est rendu compte que l’idée de faire produire des rapports substantiels annuellement par les pays n’était pas judicieuse. Cette idée n’était pas seulement considérée coûteuse mais un aspect plus important était qu’elle pourrait saper d’autres efforts de compilation et de publication de données relatives au secteur de la pêche. Maintenant, l’accent est mis sur la publication par les gouvernements des informations directement sur leurs propres sites web, et non par le biais d’un rapport de la FiTI. Le rôle de la FiTI sera principalement de contrôler la validité de cette information publique. L’ambition de la FiTI est donc de voir les autorités publiques améliorer leur approche en matière de fourniture d’informations crédibles, plutôt que de produire de longs rapports techniques indépendants.

Une des premières critiques à l’encontre de la FiTI est qu’elle mettait un fardeau disproportionné sur les pays en développement, parce que beaucoup d’entre eux ont des capacités limitées en matière de collecte et de publication de données. Une préoccupation était que cela rendrait la FiTI irréalisable pour les pays pauvres, y compris ceux ayant de substantielles pêches artisanales. Par conséquent, le standard de la FiTI insiste maintenant sur l’idée d’« amélioration progressive ». Il est attendu des pays la publication, de manière accessible, des informations dont ils disposent. Au cas où ils ne disposent pas des informations requises dans le cadre du standard de la FiTI, ils ont l’obligation de développer des plans, et de donner des délais, pour la collecte et la publication de ces informations. L’incapacité d’obtenir les informations demandées par la FiTI n’empêche donc pas les pays d’obtenir un « statut conforme », tant qu’ils sont honnêtes sur leur manque de données et conviennent d’un plan et d’un délai d’amélioration de la situation.

Comment la FiTI essaie d’améliorer les informations en matière de pêche au niveau national

Il est communément admis que la transparence est un élément nécessaire de la gestion responsable de la pêche, et il existe trois principaux moyens par lesquels les travaux de la FiTI pourraient avoir un impact positif.

Premièrement, la FiTI se bat pour faire connaître des données qui ont été autrement cachées du public. C’est ce à quoi la plupart des gens pensent en termes d’initiative de transparence. Par exemple, dans de nombreux pays, les informations sur les navires de pêche autorisés, les accords d’accès et les captures globales sont considérés confidentiels, ou au moins les autorités n’estiment pas qu’il est nécessaire de rendre ces informations publiques. 

Deuxièmement, la FiTI essaie de vérifier si l’information disponible dans le domaine public est fiable et complète. La FiTI exige une évaluation externe de l’information par un consultant indépendant, ainsi qu’une vérification supplémentaire des résultats par un groupe national multi-acteurs, composé d’OSC, de représentants du secteur de l’industrie et du gouvernement. Ainsi, la FiTI ne vise pas seulement à lever le voile de la confidentialité, mais aussi à fournir une crédibilité renforcée des données détenues par les autorités publiques.

Troisièmement, la FiTI projette de faire connaître les sujets pour lesquels les autorités publiques ne collectent pas les informations et cela nécessite que le groupe national multi-acteurs s’accorde sur la façon dont ce manque d’information sera comblé. Ainsi, la FiTI donne l’occasion aux pays de faire le point des connaissances existantes dans le secteur de la pêche, et développer des plans nationaux d’amélioration de ces connaissances.

Ces trois aspects de la FiTI doivent faire l’objet d’une même considération. Dans certains pays, la plus importante contribution de la FiTI sera de clarifier les domaines où les données déjà publiées contiennent des erreurs, et dans d’autres cas, la contribution consistera à exposer et lutter contre les approches restrictives à la collecte des données à publier. 

Comment les informations de la FiTI soutiennent les efforts de réforme de la gouvernance internationale des pêches

La FiTI a un objectif restreint d’accroitre la disponibilité et la crédibilité des informations sur la pêche. Elle n’essaie pas de s’impliquer dans un autre plaidoyer, comme celui de faire des commentaires sur l’effectivité de la gestion de la pêche ou la durabilité de la pêche. C’est, par essence, un exercice de contrôle des faits. Néanmoins, la FiTI a été développée afin de soutenir plusieurs autres efforts de réforme de gouvernance internationale de la pêche. Ceci inclut par exemple :

  1. En demandant aux autorités nationales de publier les études les plus récentes sur la situation des stocks de poissons, ainsi que les informations sur les captures et les rejets, l’objectif de la FiTI est de contribuer aux débats nationaux sur la pertinence des politiques et pratiques pour atteindre la pêche durable.
  2. La FiTI oblige les pays mettant en œuvre l’initiative à publier les informations sur les accords d’accès à la pêche, notamment la publication de toute étude sur les impacts sociaux, économiques et environnementaux de ces accords. Cette mesure a déjà été prise par l’UE, et est demandée par un nombre croissant d’organisations régionales de gestion des pêches, mais rencontre l’opposition de la plupart des autres principales nations de pêche et des pays côtiers engagés dans les accords d’accès à la pêche. Pour l’UE, la FiTI contribuera à établir des “règles du jeu équitables” alors qu’elle pourrait de manière plus importante conduire à des débats nationaux plus accrus sur les accords de pêche avec d’autres pays étrangers et leurs effets au sens large, notamment sur la pêche artisanale et la sécurité alimentaire.
  3. La FiTI soutient les efforts internationaux de lutte contre la pêche illégale et les niveaux de la pêche légale non viables. Elle exige aux pays de publier des listes détaillées de navires titulaires d’une licence de pêche, ainsi que des informations sur les poursuites et les ressources utilisées pour l’application de la loi. Il est généralement reconnu que le manque de transparence a facilité la fraude et la corruption dans le secteur de la pêche. Cette liste de navires autorisés à pêcher contribuera par ailleurs à soutenir les efforts de la FAO visant à établir un registre mondial des navires de pêche.
  4. La FiTI demande la publication de dispositions relatives aux régimes fonciers, y compris la description de la façon dont les autorités nationales garantissent la codification et la protection des droits de la pêche artisanale. De cette façon, la FiTI soutient la mise en œuvre des directives internationales sur la Gouvernance Responsable des régimes fonciers. 
  5. La FiTI demande aux gouvernements de collecter et de publier diverses informations sur le secteur de la pêche artisanale, y compris les informations sur leurs contributions sociales, économiques et sur la sécurité alimentaire. Si ces informations ne sont pas disponibles, alors, les pays doivent convenir d’un délai pour la collecte et la publication de ces informations. La FiTI soutient alors la mise en œuvre des lignes directrices de la FAO sur la sécurisation des pêches artisanales durables dans le cadre de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la pauvreté. 
  6. La FiTI demande aux pays participant à la mise en œuvre de l’initiative de publier les informations sur les efforts nationaux de collecte d’informations sur la propriété effective des navires de pêche. Dans le cours terme, cela ne signifie pas que les pays produiront des listes complètes des propriétaires réels, mais cela vise à galvaniser la prise de conscience internationale et le soutien à la transparence de la propriété effective.
  7. L’inclusion de l’information sur les normes du travail du secteur de la pêche soutient les efforts internationaux d’abolition de l’esclavage et de la traite des êtres humains, et peut être utilisée pour mieux plaider pour la promotion de la ratification de la convention de l’OIT sur le travail dans le secteur de la pêche. 
  8. La demande faite aux pays de publier les informations sur les transferts gouvernementaux en faveur du secteur de la pêche appuie les efforts internationaux, y compris à travers l’OMC, visant à faire prendre conscience de l’ampleur et de l’impact des subventions en matière de pêche, et a pour objectif de stimuler les débats à l’échelon national sur la contribution des subventions visant au renforcement des capacités de la pêche non durable, ainsi que la distribution de subventions entre différents secteurs de la pêche, comme entre la grande pêche et la pêche artisanale.  
  9. La demande faite aux pays de collecter et de publier les informations sur les projets de développement du secteur de la pêche vient en appui aux efforts internationaux d’accroissement de l’effectivité de l’aide, et félicite l’Initiative Internationale pour la Transparence de l’Aide. 

La FiTI aura-t-elle un impact durable sur la gouvernance de la pêche ?

La principale supposition de la FiTI est que l’accès croissant du public à l’information renforcera la participation active aux débats au niveau national sur les réformes de la pêche, et laisse entrevoir la perspective de la responsabilité des autorités publiques.    

Une question majeure est de savoir s’il y a la possibilité, au niveau national, d’entreprendre des analyses complémentaires de l’information produite. Un risque est que la FiTI peut réussir à collecter l’information publique, mais le manque d’intérêt ou de possibilité d’exploiter cette information n’entrainera pas de changement positif dans la gouvernance de la pêche. Ceci a besoin d’être évalué, parce que la FiTI est mise en œuvre dans différents pays. Le risque peut être exagéré, car la demande de transparence accrue a été prévalente depuis plusieurs années, y compris parmi les organisations environnementales et les groupes travaillant sur les droits de la pêche artisanale. Néanmoins, pour augmenter l’impact que la FiTI aura sur la gouvernance de la pêche il faudra soutenir les groupes locaux et les chercheurs, notamment les journalistes, pour exploiter davantage les données fournies par les gouvernements participant à la FiTI.

En fin de compte, toutefois, le succès de la FiTI pour aider à atteindre des réformes de gouvernance durable repose sur la supposition que la transparence peut conduire à la responsabilité. Si les nouvelles informations soutiennent les recommandations de politique ou révèlent des cas d’abus de pouvoir, de fraude ou de corruption, rien de cela ne conduira au changement si les autorités publiques ou le secteur privé subissent peu de pression de la part de leurs citoyens et de la communauté internationale pour les amener à faire des réformes.

Dans ces cas, le risque couru par la FiTI est qu’elle offrira aux gouvernements et aux compagnies une respectabilité de façade, tant qu’elle permet une poursuite de l’activité inchangée. Cette menace prévaut surtout dans les pays dirigés par des gouvernements autoritaires, avec des moyens limités de participation au processus de prise de décision et des bas niveaux de liberté individuelle et de la presse.  Il est par conséquent crucial que ceux qui sont engagés dans la FiTI, y compris au niveau international, promeuvent davantage d’efforts pour comprendre, et faire face aux formes d’oppression, d’autoritarisme, de manque de liberté individuelle et de la presse qui minent la bonne gouvernance de la pêche.

Deux autres questions affecteront également la question de savoir si la FiTI a des impacts durables sur la gouvernance de la pêche. 

Aborder l’accès à l’information comme un droit

Le standard de la FiTI n’essaie pas d’encourager les autorités nationales à légiférer sur l’accès à l’information. En fait, la critique d’autres initiatives de transparence existantes est qu’elles traitent la liberté d’information et de participation comme un geste volontaire, plutôt qu’un droit. Il serait beaucoup mieux si les pays adoptaient des lois qui garantissent aux citoyens le droit d’accès à l’information et le droit de participer à la prise de décision. Dans le long terme, cela peut être vu comme une approche plus forte, autrement, les acquis obtenus par la FiTI seraient de courte durée, car ils dépendent de la bonne volonté des autorités et des partenaires de la pêche étrangère.  

Cette contrainte de la FiTI reste importante, et sans doute, elle devrait faire plus pour promouvoir l’accès à l’information comme un droit. La Convention d’Aahrus de l’Union Européenne fournit un des exemples les plus frappants, et forme la base des lignes directrices de Bali des NU portant établissement de lois et institutions relatives à l’accès à l’information, la participation et l’accès à la justice. C’était peut-être une occasion manquée de ne pas lier les lignes directrices de Bali au lancement de la FiTI, qui ont eu lieu dans la même ville. En définitive le but de la FiTI devrait être de s’assurer que les pays intervenant dans la mise en œuvre adoptent une législation similaire à la Convention d’Aahrus, dans le cas contraire, leur engagement en faveur de la transparence peut être précaire et sujet à caution. 

Faire le commerce sur la base du statut conforme

Une autre question qui se pose avec la FiTI est la prise en compte des pays étiquetés comme étant « conformes » au standard. Pour certains, cela peut être vu comme une dimension attractive de la FiTI. Comme de nombreux pays s’inscrivent, d’autres seront contraints d’en faire autant, avec pour résultat final une amélioration graduelle de la transparence dans un plus grand nombre de pays. Une logique similaire est utilisée pour d’autres initiatives volontaires internationales, comme l’éco-étiquetage. Ces pêcheries qui peuvent prouver des références environnementales à travers des systèmes de certification volontaire, sont récompensées par des accès au marché plus sécurisés, ce qui signifie que celles qui ne le font pas sont obligées de s’engager dans ces efforts d’éco-étiquetage si elles veulent maintenir leur part d’accès au marché ou l’accroître.  

La préoccupation pour ces pays qui décident de ne pas participer à la FiTI est que cette décision peut être vue négativement par d’autres et cela pourrait influencer les décisions sur l’accès au financement des donateurs étrangers, ou même la négociation d’accords commerciaux. Un pays peut avoir des motifs valables pour lesquels il ne veut pas faire partie de la FiTI, tels que le manque de ressources ou simplement que le pays pense qu’il arrive à améliorer l’engagement civique sans avoir besoin d’une initiative internationale.  En fait, lors du lancement de la FiTI à Bali, le chef de l’Agence de la Pêche du Forum des Iles du Pacifique a exprimé les doutes de ses Etats membres sur la FiTI.  

En outre, l’obtention du statut de pays conforme ne signifie pas qu’un pays est plus transparent qu’un autre qui n’est pas partie de l’initiative, de même, l’obtention de l’écolabel ne signifie pas qu’une industrie de pêche est mieux gérée qu’une qui n’en a pas. Cela s’applique particulièrement à la FiTI, étant donné que la décision d’insister sur l’« amélioration progressive » signifie qu’un pays peut, pour un temps, être conforme sans publier beaucoup d’informations. Peut-être beaucoup moins d’informations qu’un pays qui n’est pas partie de la FiTI.

Le dilemme ici est que la transparence est importante, et qu’une pression internationale doit s’exercer sur les pays pour les amener à opérer des réformes. En effet, Lack of transparency in the fisheries is a well recognized and widespread problem andprogress to improve this has been very slow in many countries.

Les accords d’accès à la pêche publique ne devraient pas être passés avec des pays qui gèrent la pêche de manière très opaque, et cela serait justifié pour favoriser les investissements dans des pays où la pêche est gérée plus ouvertement. Mais le risque est de promouvoir la FiTI comme un moyen valide d’aider à influencer ces décisions. Si cela est le cas, la FiTI pourrait être vue, surtout par les gouvernements des pays en développement, comme une obligation coûteuse.

Le FiTI est un mécanisme visant à aider les pays à améliorer et à communiquer leur engagement pour une pêche responsable. Toutefois, l'obtention d'un statut ‘conforme’ au FiTI ne doit pas être pris comme signifiant qu'un pays est nécessairement plus transparent que d'autres. Plus important encore, cela ne signifie pas non plus que le pays gère nécessairement ses pêcheries de manière responsable. La FiTI ne fournit pas cette analyse.

Le statut d'un pays adhérant au FiTI ne devrait donc pas être utilisé pour justifier des décisions commerciales et d'investissement. Certains des pays impliqués dans l'initiative espèrent sans doute que ce sera le cas. Cela serait une source de préoccupation, en particulier pour les pays qui pourraient avoir des raisons légitimes de ne pas s'engager dans l'initiative

Aller de l’avant avec la FiTI 

La FiTI fournit un moyen pratique visant à améliorer la disponibilité et la fiabilité d’informations sur la pêche. La FiTI comble ainsi un fossé dans les efforts de réforme de la pêche internationale, vu qu’aucune autre initiative n’existe qui aborde la question de la transparence de manière concertée.  

Il y a des opportunités dans l’utilisation des données provenant de la FiTI pour promouvoir les efforts des réformes en matière de pêche, et le cas échéant, faire la pression pour plus de responsabilité des autorités nationales et du secteur privé. Cela dépend en grande partie de la manière dont les citoyens et les parties prenantes réagiront aux informations fournies grâce à la FiTI, et la mesure dans laquelle les pays participants adhéreront à l’idéal d’« amélioration progressive » et de participation multi-acteurs. Dans plusieurs contextes, le succès de la FiTI sera alors influencé par les ressources et la capacité des organisations de la société civile, des organisations de pêche et des journalistes à promouvoir et à s’engager dans les débats publics et aux processus de prise de décision. En fin de compte, l’impact de la FiTI dépendra de la volonté de ceux qui ont le pouvoir d’écouter et d’agir sur les recommandations de la société civile et du secteur de la pêche. Toutefois, une menace à la crédibilité de la FiTI est le processus de sa mise en œuvre dans les pays où les gouvernements continuent de limiter les libertés individuelles et de la presse et la participation réelle à la prise de décision. La FiTI ne doit pas être autorisée à doter ces gouvernements d’un statut de légitimité.

Pêche à petite échelle : entre le marteau et l’enclume ?

Au cours des cinq dernières années, "l’Economie Bleue" a émergé comme un nouveau concept de la gouvernance globale des océans. Ce concept remonte habituellement au Sommet de Rio+20 de la Terre de 2012. Il était prôné comme étant complémentaire à l’économie verte, mettant à la fois l’accent sur la nécessité de lutter contre la dégradation de l’environnement et la progression vers une économie plus durable qui soutient la réduction de la pauvreté. (Voir le document de réflexion des Nations Unies sur l’économie bleue). 

Depuis Rio+20, de nombreux gouvernements et organisations internationales ont adopté des programmes et politiques d’économie verte. Certains l’appliquent seulement aux océans, tandis que d’autres adoptent une perspective plus large et voient l’économie bleue comme intégrant également les écosystèmes d’eau douce. Etant donné que l’économie bleue gagne en popularité, il a commencé à être utilisé de manière interchangeable avec le concept de ‘croissance bleue’. La relation qui existe entre les deux peut porter à confusion, bien que comme l’indique la FAO :

Les partisans de la 'Croissance bleue' préfèrent cette terminologie à celle d’« Economie bleue», pour soulignerle besoin de croissance, car le concept d’«économie verte», a subi des critiques dans certains milieux de développement en particulier son accent précoce sur la conservation et la protection de l'environnement au détriment de la croissance économique et du développement social.

Un des premiers programmes de croissance bleue a été lancé par l’UE en 2012. Il se caractérise par la fourniture de ressources et de recherche pour soutenir cinq secteurs de croissance, notamment le tourisme côtier, l’exploitation minière offshore, l’énergie bleue, la biotechnologie marine et l’aquaculture. L’UE pense que ce sont des secteurs ayant plus de potentiel de générer de la valeur ajoutée et des emplois. Bien que d’autres sources de financement de l’UE soutiennent la pêche, le secteur de la pêche est largement absent de la stratégie de croissance bleue de l’UE. 

Cette situation contraste avec l’Initiative de Croissance Bleue lancée par la FAO en 2013, qui est mise en œuvre dans 10 pays en développement en Afrique et en Asie. Elle met un accent particulier sur le secteur de la pêche à petite échelle. Elle se recoupe avec la stratégie de l’UE en matière d’aquaculture, mais est différente de celle-ci en ce sens qu’elle met l’accent sur les paiements des services liés aux écosystèmes, notamment le 'carbone bleu'.   

En Afrique, la Croissance Bleue est devenue de plus en plus importante en tant que cadre global de travail de l’Union Africaine sur les habitats marins et d’eau douce soutenu et promu par la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique. Une stratégie de Croissance Bleue est également en train d’être développée par des pays et organisations inter gouvernementales de l’océan indien occidental. Toutefois, la direction que prendront les stratégies propres de l’Afrique en matière de croissance bleue n’est pas encore clairement définie ; suivra-t-elle l’approche de l’UE ou celle de la FAO. Néanmoins, il est clair que nous assistons à un regain d’intérêt et d’activités pour faire de la ‘Croissance Bleue’ une réalité. 

Du point de vue des communautés de pêche à petite échelle en Afrique, une question majeure est de savoir comment la ‘Croissance Bleue’ les affectera? La Croissance Bleue est-elle compatible avec d’autres engagements internationaux sur les réformes de pêche, tels que les ‘directives de la FAO sur la sécurisation de la petite pêche durable’ et les directives volontaires sur la gouvernance responsable de la tenure des terres, de la pêche et des forêts’ ?

Croissance bleue : Un nouveau paradigme ?

La manière dont le concept d’économie bleue et de Croissance Bleue est présenté suggère une nouvelle réflexion essentielle sur la manière dont les gouvernements gèrent les écosystèmes marins. Le concept est présenté comme un ‘changement de paradigme’. L’Union Africaine considère la Croissance Bleue comme étant la 'Nouvelle frontière de la Renaissance Africaine'.

Cela n’est pas nécessairement le cas. Le concept d’économie bleue présenté principalement à Rio+20 comme moyen de garantir l’importance des océans, a été particulièrement souligné dans l’accord final notamment pour les petits Etats insulaires, étant donné que leur économie dépend dans une grande mesure des écosystèmes marins.

L’idée des pays qui gèrent les océans d’une manière qui équilibre l’activité économique à la durabilité environnementale est le message global transmis dans le concept d’économie bleue, mais les moyens ou outils de sa mise en œuvre ne représentent pas d’énorme changement comparativement à ce qui est connu depuis plusieurs années. Par exemple, une des principales politiques de la croissance bleue est que les autorités s’assurent que la gouvernance marine est abordée de manière intégrée, comprenant et renforçant ainsi les interactions entre différents utilisateurs et groupes d’intérêt. Dans les stratégies de croissance bleue, cette situation est souvent qualifiée de Gestion Intégrée des Mers, et est essentiellement la même que la Planification Spatiale Marine (PSM) qui a été développée depuis au moins le début des années 2000, la PSM est définie comme un ‘processus de politique publique d’allocation d’espace marin sur le temps dans le but d’atteindre les objectifs écologiques, économiques et sociaux qui sont définis par un processus politique’. 

Toutefois, il y a des aspects qui marquent l’émergence du concept du concept de croissance bleue comme en fait un changement de mentalité sur les océans. Au cours des cinq dernières années environ, des rapports et présentations sur l’économie bleue sont devenus très alarmants, sur les taux désastreux de dégâts causés à l’écosystème, notamment des dégâts causés par le changement climatique, la pollution et la surpêche. Toutefois, ils sont devenus très optimistes – sur l’immense richesse économique contenue dans les océans. Un grand nombre de nouvelles études sur l’économie bleue prétendent qu’elle est plus précieuse qu’on ne l’imagine.  

WWF a fait la une avec une étude en 2015, qui déclarait que les océans contribuaient à hauteur de 2,5 billions de dollars par an à l’économie mondiale. Un des messages de cette étude était que si l’économie bleue était considérée comme un pays, elle aurait la 7e plus grande économie du monde. De même, l’OCDE a publié un rapport relevant la valeur immense de l’économie de l’océan, qui a trouvé que l’océan valait 1,5 billions de dollars. Le secteur du pétrole et du gaz était de loin le secteur le plus important.  

Une déclaration commune autour de cette littérature est que les autorités et les investisseurs ont négligé l’économie bleue parce qu’ils n’apprécient pas à sa juste valeur la richesse économique en jeu ; c’est la raison pour laquelle les océans sont menacés et sous-performant. Pour rendre la cause plus attrayante, les estimations de la valeur potentielle de l’économie bleue prennent en compte les secteurs comme l’exploitation minière et la navigation, qui n’ont absolument aucun intérêt ou besoin d’habitats et d’écosystèmes océaniques sains. 

La croissance bleue est par conséquent basée sur l’argument selon lequel les océans peuvent être sauvés si nous comprenons combien d’argent nous pouvons tirer de cette activité. Par exemple, la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique écrit :

"En comprenant mieux les énormes opportunités émergeant de l’investissement et du réinvestissement dans les espaces aquatiques et marins de l’Afrique, l’équilibre peut basculer de la pêche illégale, la dégradation et l’épuisement vers un paradigme de développement bleu durable, qui sert l’Afrique d’aujourd’hui et de demain. Si l’économie bleue de l’Afrique est bien exploitée et gérée, elle peut constituer une source principale de richesse et propulser les fortunes du continent".

Cependant, cette compréhension étriquée de l’économie bleue ou croissance bleue, qui consiste à considérer seulement les profits économiques, a beaucoup plus à faire avec la commercialisation des océans qu’elle en a de la nouvelle réflexion politique. Cela soulève des questions préoccupantes sur la capacité des stratégies de la croissance bleue de reconnaitre et de surmonter les problèmes persistants qui ont conduit l’économie bleue dans une position périlleuse.

La valeur de l’économie bleue comme profits

L’idée selon laquelle le potentiel de richesse des écosystèmes doit être apprécié pour les protéger a été populaire pendant un certain temps, bien qu’elle ne tienne pas compte du fait que la dégradation de notre environnement a été surtout causée par la cupidité et la maximisation du profit, le rôle complice des gouvernements n’a pas été dû à la méconnaissance de l’argent en jeu. Néanmoins, cela a conduit à une documentation intéressante sur la manière dont les ‘services écosystémiques’ peuvent être mesurés. En d’autres termes, comment pouvons-nous mettre une valeur sur les avantages que tirent les populations de l’environnement et de la nature, qui couvrent plusieurs dimensions, allant des profits, à la nourriture, aux emplois, aux loisirs et au bien-être culturel et spirituel. Le sujet devient plus controversé lorsque ces évaluations des valeurs déterminent la manière dont la nature et l’environnement devraient être dimensionnées et allouées ; qui a la priorité d’y avoir accès et de l’exploiter. 

Les stratégies de croissance bleue, notamment l’initiative de croissance bleue de la FAO, est définie pour aider les pays à comprendre la valeur de leur économie bleue, qui devrait influencer à terme les débats sur la politique nationale et sous régionale. Cette situation est traitée comme un défi technique, pour lequel la valorisation des services écosystémiques peut être utilisée par les décideurs pour faire le bon choix.  

L'aspect inquiétant de la croissance bleue est la manière dont la valeur est si souvent simplifiée pour signifier les bénéfices et l’ensemble des emplois créés, comme le montrent les projets de l'UE sur la croissance bleue, mais aussi dans d'autres projets africains (bien que souvent par des consultants européens). Bien qu’ils soient des facteurs importants, les deux nécessitent d'autres questions ; de quelle façon est répartie la richesse, quelle est la qualité des emplois, etc. Mais il est tout aussi important, de tenir compte d'une série d'autres aspects, notamment le fait que la richesse publique n'est pas la même que la richesse privée, et, en matière d’écosystèmes partagés, les deux peuvent avoir une relation contrastée ; une plage qui est librement utilisée par tout le monde ne produit pas de richesse dans la comptabilité économique traditionnelle, alors qu'elle aurait produit de la richesse si elle était vendue à un promoteur. Plusieurs dimensions permettant de comprendre la valeur dans l'économie bleue qui vont au-delà des bénéfices et des emplois existent, comme l'explique le présent rapport sur les valeurs culturelles et sociales des habitats marins.

Une approche basée sur les profits peut ne pas être bénéfique à la promotion de la pêche artisanale durable, bien que son profil en termes de création d’emplois la place en bonne position.    Pourtant, un environnement politique où l'accent est mis sur la maximisation des fortunes provenant de l'économie bleue ne semble pas compatible avec la promotion de la pêche de subsistance et de petite échelle et des systèmes de production alimentaire, en particulier lorsque les pêcheurs font face à la concurrence provenant des aménagements immobiliers, du tourisme et de l'exploitation minière off-shore pour la terre et l'accès à la mer.

En fait, lorsque nous examinons la stratégie de croissance bleue de l’UE, l’accent est entièrement mis sur les secteurs ayant une importance économique majeure – l’exploitation minière, la biotechnologie marine, le tourisme, l'énergie bleue et l'aquaculture. La pêche n'est pas considérée comme une « perspective de croissance », elle est de ce fait exclue. C'est un précédent inquiétant pour les stratégies de croissance bleue dans d'autres régions, surtout que l'UE semble favoriser cette approche dans la manière dont elle envisage ses relations futures avec les pays en développement. [Lien].

L'approche de la FAO est tout à fait différente, car elle part du principe selon lequel la priorité devrait être donnée à la pêche artisanale. Un enjeu clé est la question de savoir si cette position peut être défendue lorsque les gouvernements nationaux examineront leurs priorités en matière de croissance bleue.

La marchandisation de la nature : le carbone bleu

La valorisation des services liés aux écosystèmes est un élément central de la perspective de la croissance bleue, en particulier par la FAO et ses partenaires dans l’Initiative de la Croissance Bleue. L’on assiste à une énorme croissance des études qui cherchent à mettre une valeur monétaire sur les avantages des écosystèmes. Malgré le désaccord sur la façon dont cela se mène et ce que l’on entend par valeur, l'évaluation des services écosystémiques peut être un outil utile pour les pêcheurs et les communautés côtières. Par exemple, le World Resources Institute, un promoteur de ces outils, souligne le cas de Belize où une évaluation économique des récifs coralliens a montré les coûts élevés du chalutage industriel de fond et les avantages cumulatifs que les communautés côtières locales obtiendraient si cette activité n’avait pas lieu. L'évaluation était jugée essentielle pour convaincre les autorités nationales d'interdire la pêche au chalut de fond.

Cependant, l'évaluation du service lié aux écosystèmes conduit inévitablement à la marchandisation des habitats des océans. C'est-à-dire que les services écosystémiques fournis par les océans et les habitats marins sont chiffrés, afin qu'ils puissent être payés, rendant ainsi les océans plus rentables. Les fonctions des écosystèmes marins, telles que la capacité des herbiers marins à stocker du carbone, sont appelées « classes d’actifs ». Ce jargon du secteur bancaire et financier définit de plus en plus les stratégies de croissance bleue.

Le marketing de cette idée suggère qu’il peut se faire d’une manière qui accroît les bénéfices tout en conservant simultanément la nature et en promouvant les intérêts des communautés défavorisées qui dépendent de ces services écosystémiques. C'est une caractéristique de la plupart des programmes internationaux en matière d'économie bleue et de croissance bleue. Le programme phare de croissance bleue de la FAO, ainsi que les travaux de la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique, et les programmes de nombreuses grandes ONG internationales en matière d'environnement, décrivent tous comment les paiements à effectuer pour les services écosystémiques peuvent être utilisés comme moyen de préserver les océans et lutter contre le changement climatique.

L'exemple le plus tangible semble être le développement ultérieur d'initiatives qui visent à conserver des habitats tels que les forêts de mangrove et les herbiers marins par le payement des grandes quantités de carbone qu'ils stockent. L'idée est que cette fonction de stockage de carbone peut être évaluée, puis vendue, généralement à travers un dispositif de compensation. Déjà, en 2011, encouragées par l'UICN, de nombreuses organisations internationales et sociétés multinationales, notamment du secteur pétrolier, ont collaboré à l'établissement de l'Initiative Carbone Bleu. 

On ignore la mesure dont les stratégies de croissance bleues réussiront à établir des marchés de services écosystémiques bleus. Les mêmes stratégies ont été utilisées pendant de nombreuses années dans d'autres écosystèmes, tels que les forêts. La demande d'achat de crédits de carbone et d'autres produits similaires a été faible. Les prix n'ont jamais augmenté au point de permettre à ces marchés d’avoir un impact global. C'est une des raisons du scepticisme concernant le paiement des services liés aux écosystèmes. Cependant, il y a également ceux qui voient en la marchandisation des services écosystémiques, des risques considérables pour les communautés côtières et la pêche à petite échelle.

La manière dont le paiement des services écosystémiques fonctionne nécessite invariablement des sociétés externes, des cabinets de conseil et des organismes de certification. Très peu de moyens existent dans les pays en développement, et en particulier dans les communautés rurales pauvres où le carbone est stocké, pour établir des évaluations complexes, satisfaire les organismes internationaux de certification, et ensuite avoir les réseaux et les ressources nécessaires pour vendre les services écosystémiques. Ainsi, les projets de production de produits écosystémiques, tels que le carbone bleu, sont gérés par des entreprises étrangères ou des ONG.

Bien qu'il y ait des études de cas apparemment positives, il y a eu une résistance considérable à ce nouveau secteur d'activité parmi les communautés rurales et les ONG travaillant avec les peuples autochtones. Parmi les plaintes figurent des dispositifs de partage des avantages extrêmement injustes et le fait que le processus de valorisation des services liés aux écosystèmes incite systématiquement les acteurs étatiques ou privés à prendre le contrôle des terres dont dépendaient par ailleurs des groupes moins puissants. Une des observations portées à ces innovations est qu'elles soulèvent des questions difficiles concernant ceux qui sont les propriétaires légitimes des services écosystémiques et, par conséquent, qui peut revendiquer le droit de les vendre ? En outre, la création d'une nouvelle valeur marchande des services écosystémiques peut constituer un développement précaire pour ceux qui ont des droits d'utilisation informels ou non sécurisés. Ceci est une caractéristique de nombreux États côtiers des pays en développement, ce qui a conduit à la demande de directives sur la gouvernance responsable de la tenure. Comme le décrit Winnie Overbeek, qui écrit pour le World Rainforest Movement: 

"Les communautés sont absentes de tout le matériel de publicité du " Carbone bleu "... Les initiatives du " Carbone bleu "... imposées du sommet à la base ont tendance à entraver profondément la vie de ces communautés et à causer plus de problèmes que d'avantages ... [elles] impliquent nécessairement l'imposition d’une série de restrictions sur le mode de vie des communautés et la perte de contrôle sur leurs territoires, afin de convaincre les marchés financiers que le carbone - converti en "actifs" papier ou "titres" environnementaux - reste "correctement stocké" dans les forêts."

On ignore comment le carbone bleu sera payé, bien qu'il soit tout à fait possible que les crédits de carbone bleu soient vendus sur des « marchés de contreparties ». Toutefois, permettre aux entreprises, et peut-être même aux pays, d'acheter du carbone stocké dans des endroits comme les forêts ou les mangroves, afin de pouvoir produire du carbone équivalent provenant de la combustion de combustibles fossiles, est manifestement inacceptable et en contradiction avec la perspective de l'économie bleue. Comme le poursuit Overbeek:

"L'accent mis sur les projets de démonstration et de recherche consistant à mettre les mangroves sur les marchés du carbone mondial ne fait que remettre à plus tard les transformations structurelles nécessaires du modèle de production et de consommation basé sur la combustion de combustibles fossiles. Ces changements sont essentiels pour permettre à l'humanité de maintenir le réchauffement climatique dans certaines limites, afin d'assurer la survie future des mangroves et des écosystèmes côtiers en général et celle des communautés qui en dépendent. En ne proposant pas ces changements, la nouvelle tendance du " Carbone bleu" est une autre fausse solution à la crise climatique, ainsi qu'un moyen de maintenir et de renforcer le pouvoir des entreprises et des marchés financiers, tout en cachant leur responsabilité en matière de destruction majeure de l'environnement et en proposant à ces entreprises et à ces marchés de devenir une partie de la prétendue solution".

La commercialisation des environnements par la valorisation des services écosystémiques est par conséquent un autre aspect de mise en cause des stratégies de croissance bleu par la petite pêche et les communautés côtières. Comment la valorisation des services écosystémiques profite-t-elle à l'économie bleue, autre que l'offre des débouchés économiques accrus ? Quelles sont les garanties de protection des droits des populations côtières ?

Rendre durables les océans par la croissance

Dans la commercialisation de la croissance bleue, il est rare de réfléchir sur les tensions entre la croissance économique perpétuelle et l’utilisation durable des écosystèmes fragiles, qui, comme le témoignent de nombreux rapports sur l’économie bleue, ont atteint déjà leur point de rupture en matière de pollution, de dégradation d’habitats, d’acidification d’océans et de surpêche. Il est étonnant qu’aujourd’hui, le ‘discours’ le plus dominant sur la protection des océans de l’exploitation insoutenable fait fortement l’éloge des opportunités de le faire dans un sens qui peut augmenter considérablement les fortunes des gouvernements et du secteur privé. 

Le marketing de la croissance bleue est déjà critiqué pour l'incohérence des politiques. La stratégie de croissance bleue de l'UE, par exemple, favorise la recherche et l'investissement pour l'expansion de l'exploitation minière en haute mer, ce qui, de l’avis de plusieurs organisations, pourrait ne pas être compatible avec le maintien des écosystèmes marins ou le concept de l'économie bleue. Un rapport sur la relation entre la stratégie de croissance bleue de l'UE et la pêche à petite échelle a fait ressortir que, bien que cette stratégie soit susceptible d'accroître la valeur ajoutée à l'économie européenne, il y aura des coûts environnementaux croissants, susceptibles d'avoir un impact négatif sur les écosystèmes côtiers et ce qui aurait pour conséquence de menacer la pêche.

Par conséquent, l'augmentation de la croissance et la réalisation d'une économie bleue peuvent devenir des objectifs contradictoires. Cette situation n’est trop souvent pas prise en compte lorsque les architectes de la croissance bleue parlent de scénarios « gagnant-gagnant » faciles. Force est de constater que l'économie bleue mondiale ne peut pas continuer de croître sans stresser et épuiser davantage les écosystèmes marins. Pour la pêche de subsistance et à petite échelle, la promesse de la croissance bleue doit alors être abordée avec prudence. Il convient de reconnaître que la croissance bleue aura des coûts. Si nous voulons limiter ces coûts, en particulier pour les plus marginalisés et vulnérables, la croissance devra être restreinte dans certains secteurs de l'économie bleue. 

Négocier la croissance bleue pour la pêche à petite échelle africaine

Il existe de nombreux aspects attrayants du mouvement international vers une économie bleue contenus dans les propositions de croissance bleue. Malgré les contradictions inhérentes et le risque d'incohérence en matière de politique, il semble y avoir une prise de conscience accrue des conséquences des écosystèmes dégradés sur la société et les entreprises. Cela réaffirme la nécessité de placer les réformes de la pêche dans un contexte plus large ; de changement climatique, de la pollution et de la concurrence croissante pour l'accès aux océans. La question de la pêche ne peut être abordée isolément.

Pour la pêche artisanale, il est capital de s'engager avec le projet de réalisation de la croissance bleue. Cependant, il existe un certain nombre de problèmes qui pourraient aider la petite pêche à influencer la croissance bleue afin de minimiser les risques inhérents et les contradictions.

  1. Selon la perspective de la croissance bleue promue par la FAO et d'autres partenaires dans l’Initiative de la Croissance Bleue, il est essentiel que la pêche à petite échelle et le commerce après la pêche soient placés à l'avant-garde des stratégies de croissance bleue. L'approche de l'UE est préoccupante en ce sens qu’elle met l'accent sur les secteurs de grande valeur et de haute technologie, ce qui exclut le secteur de la pêche. L'UE doit reconnaître cette limite dans son projet de promotion de la croissance bleue dans les pays en développement.
  2. L'approche de la création et de l'évaluation de la croissance bleue doit aller au-delà de la considération de la valeur uniquement en termes de bénéfices et d'emplois et de durabilité uniquement dans le domaine de l’environnement. La discussion sur la croissance bleue doit tenir compte des dimensions sociales, sanitaires et culturelles. Encore une fois, l'UE donne un mauvais exemple ici, et il y a une tendance pour les autres à l'avant-garde des stratégies de croissance bleues à en faire autant.
  3. La perspective de croissance bleue pourrait être positive car elle devrait forcer une discussion plus large sur la cohérence des politiques. Identifier et débattre de la cohérence des politiques dans les stratégies de croissance bleue est essentiel pour la petite pêche dans les pays en développement. Les priorités d'investissement des gouvernements et des donateurs internationaux dans les secteurs de l'économie bleue, tels que le tourisme, le pétrole et le gaz et l'aquaculture offshore continueront de menacer la pêche sauvage, en particulier dans les zones côtières où le nombre de pêcheurs à petite échelle est élevé. Ces menaces ont des dimensions multiples ; elles contribuent notamment au changement climatique, à l’augmentation de la pollution et à la diminution de l'espace réservé à la pêche en mer et sur terre. Les stratégies de croissance bleue doivent identifier et prendre des mesures pour limiter cette incohérence en matière de politique, et insister sur le fait que la croissance bleue ne peut pas être un simple scénario gagnant-gagnant. 
  4. La croissance bleue annonce la perspective d’une attention plus soutenue à l'aménagement de l'espace marin et de la gestion maritime intégrée. Cette approche multipartite de gouvernance des écosystèmes partagés est primordiale et a été pratiquement absente dans de nombreux pays en développement. Cependant, l'expérience internationale montre que cela ne peut être atteint que s'il existe de solides droits politiques et civils, tels que l'accès à l'information, la liberté d'expression, une participation significative et l'accès à la justice. Ceux-ci ne sont pas présents dans de nombreux pays où la croissance bleue est préconisée. En outre, il faut reconnaître que les acteurs locaux et étrangers de l'économie bleue ont un accès inégal aux ressources et des capacités largement différentes pour influencer la prise de décision. En conséquence, la pêche à petite échelle peut être désavantagée dans les processus de planification nationale et régionale.  Les stratégies de croissance bleues doivent donc répondre aux préoccupations liées aux droits humains nécessaires et aux réformes liées à la gouvernance avant qu'il y ait une croissance substantielle des investissements. [À cet égard, la croissance bleue doit reconnaître les exigences pour les autorités nationales de réaliser et de protéger les droits civils et politiques prévus par les directives volontaires sur la gouvernance responsable de la tenure, les directives volontaires sur la sécurisation de la petite pêche durable et les directives de Bali relatives à l'accès à l'information, la participation et l'accès à la justice en matière d'environnement. Pour l'UE, les stratégies de croissance bleues promues dans la dimension extérieure de la politique commune de la pêche doivent reconnaître que ces obligations sont contenues dans la Convention d'Aarhus.

Des informations impartiales doivent être fournies au secteur de la petite pêche et aux communautés côtières sur le mode de paiement des services liés aux écosystèmes qui est mis en place pour la croissance bleue ainsi que les risques et les opportunités présentés par ces systèmes. L'établissement d'une valeur monétaire pour les bénéfices qu’offrent les habitats marins dont dépendent les pêcheurs depuis des générations, dans l'intention de demander aux autres de payer ces avantages, est une idée complexe. Cela soulève des questions difficiles sur les propriétaires des services écosystémiques, les droits des pêcheurs et d'autres groupes sur ces produits, et sur la manière de répartir les avantages de ces payements. La question du carbone bleu doit être débattue plus largement, et la discussion ne peut être menée par ceux qui ont un intérêt direct dans ces systèmes.

 

Renforcer les Droits Politiques dans la Peche: L'importance des Directives de Bali

Beaucoup de problèmes dans la pêche sont de nature politique. Comme pour toutes les ressources naturelles, l'exploitation et le commerce équitable et durable du poisson dépend dans une large mesure de l'existence de droits civils et politiques, et pas juste de l’existence de droits de propriété, comme certains le croient. Les droits politiques assurent que les citoyens ont accès à l'information, qu’ils peuvent participer à l’élaboration des lois et des politiques et qu’il existe un état de droit qui fait que les puissants ont des comptes à rendre, et qui protège les plus faibles des abus et discriminations. L’exercice de ces droits politiques par le citoyen crée la responsabilité démocratique, qui doit être exercée à l’échelle des états et, de plus en plus, au niveau international.

Il ne fait aucun doute que les organisations travaillant dans le domaine de la pêche estiment ces droits essentiels. Pourtant, un grand nombre d’efforts de réforme des politiques dans la pêche et d’avis de ces organisations oublient cet aspect, ce qui conduit dans certains cas à avancer dans la mauvaise direction, en prônant le transfert de pouvoirs et de compétences à des organisations non représentatives, et qui n’ont pas d’obligation de rendre des comptes: la nécessité de renforcer le contrôle démocratique a été éclipsée par d'autres priorités et idées. Ce qui est inquiétant, c’est que bon nombre des principales organisations travaillant dans la pêche font la promotion de telles politiques, qui sont dangereuses dans la mesure où les droits civils et politiques en sont absents ou faiblement défendus.

Considérons, par exemple, l'appel croissant, au niveau international, pour renforcer l'application de la loi nationale et internationale afin de lutter contre la pêche INN. Cela peut conduire à des violations des droits de l'homme et à des manipulations par des élites politiques ou des compagnies dans les pays et régions où l'état de droit est faible et il y a des niveaux élevés de corruption. Les acteurs non étatiques, y compris des mercenaires, sont également aujourd’hui habilités pour fournir des services privés pour faire la police dans les pêcheries, ce qui pourrait diminuer la transparence et la responsabilité plus loin. Des dangers semblables peuvent être soulevées par rapport à l' approche axée sur la richesse qui est promue par des experts pour les réformes dans le secteur de la pêche, ainsi que les efforts connexes par les principales ONG environnementales internationales pour accroître l'investissement privé et les droits de propriété de pêche aux fins de conservation marine dans les pays en développement. Une grande partie des inquiétudes vis-à-vis de ces politiques, c’est le fait que le pouvoir et les responsabilités sont retirés aux citoyens locaux – des réformes bien intentionnées peuvent être dangereuses quand les droits politiques et civiques sont absents ou faiblement défendus.

Dans ce contexte, il est important de donner plus de visibilité et d’appui aux initiatives qui visent à renforcer les droits politiques dans le secteur de la pêche. Des efforts conséquents dans ce sens ont été accomplis dans le cadre de deux récentes Directives internationales préparés par la FAO – les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts et les Directives volontaires visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l'éradication de la pauvreté. Ce sont les textes, nous l’espérons, vont gagner en importance dans les efforts pour protéger l'environnement et les communautés de pêche marginalisées des abus de pouvoir par certaines élites politiques et entreprises.

Toutefois, un autre accord international, qui vise les mêmes objectifs, reste largement méconnu des organisations travaillant dans le secteur des pêches: les Directives de Bali, finalisées en 2010. Elles ont été développées afin d'étendre les principes de la Convention d'Aarhus de l'Europe à d'autres pays non-signataires de cette Convention. Les Directives de Bali donnent des détails sur les questions de droits politiques telles qu’abordées dans les autres Directives de la FAO, et pourraient dès lors être un complément utile pour les débats politiques et le plaidoyer dans la pêche.

Les directives de Bali : qu’est-ce que c’est?

L'histoire des Directives de Bali remonte au sommet de la Terre tenu à Rio en 1992, où plus de 170 gouvernements souscrivent à une déclaration sur l'environnement et le développement. Le Principe 10 de cette déclaration est depuis lors devenu un point critique pour les campagnes sur la justice et la responsabilité en matière d'environnement:

"La meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient. Au niveau national, chaque individu doit avoir dûment accès aux informations relatives à l’environnement que détiennent les autorités publiques, y compris aux informations relatives aux substances et activités dangereuses dans leurs collectivités, et avoir la possibilité de participer aux processus de prise de décision. Les États doivent faciliter et encourager la sensibilisation et la participation du public en mettant les informations à la disposition de celui-ci. Un accès effectif à des actions judiciaires et administratives, notamment des réparations et des recours, doit être assuré. "

Au milieu des années 90, un certain nombre de pays européens ont rédigé un texte législatif pour fournir un cadre juridique à la mise en œuvre de ce principe. Il a été finalisé en 1998 dans la ville danoise d'Aarhus et a été appelé par la suite la Convention d'Aarhus. Son nom complet est la Convention sur l'accès à l'Information, la Participation du Public au processus décisionnel et l'accès à la Justice en matière d'Environnement.

Il y a maintenant 47 Parties à la Convention d’Aarhus, y compris tous les pays européens, l'Union européenne et plusieurs pays d'Asie centrale. La Suisse a été le dernier pays européen majeur à devenir partie, par la ratification de la Convention en 2014. Bien qu'elle soit principalement une Convention européenne, elle a été établie comme étant ouverte à d’autres pays. La Convention d'Aarhus a trois piliers, qui peuvent se résumer brièvement comme suit:

  • Sur l'accès à l'information:

La Convention d'Aarhus prévoit des règles strictes pour fournir aux citoyens des informations liées à l'environnement. Elle traite de l'accès à l'information comme étant un droit et contient un cadre juridique établissant les raisons légitimes pour lesquelles les pouvoirs publics peuvent refuser de rendre une information publique. Toutefois, la Convention explique que les motifs pour refuser de communiquer les informations devraient être traités de manière restrictive; seulement dans des cas exceptionnels les gouvernements peuvent garder une information confidentielle. Cette approche est guidée par la clause de l’« intérêt public » – les informations devraient être communiquées au public lorsqu'il y a un intérêt public évident à cette fin. Des délais doivent également être prévus lorsque les pouvoirs publics répondent aux demandes d’informations. La Convention stipule aussi que toute personne qui demande des informations n'a pas à justifier pourquoi elle le fait. La Convention décrit également les responsabilités des gouvernements pour établir des systèmes de compilation régulière des informations, de publication des informations sur les activités qui influencent l'environnement. Les états doivent également s'assurer qu’il y ait des ressources suffisantes permettant de rassembler et de diffuser cette information.

  • Sur l'accès à la prise de décision:

La Convention d'Aarhus donne des indications sur la responsabilité des États pour assurer une participation précoce et active des citoyens dans les processus décisionnels. Elle prévoit des règles pour assurer que le public soit informé à temps des décisions influençant l'environnement afin que leur contribution puisse être donnée avant que les décisions finales soient prises. Les Citoyens devraient également être autorisés à se livrer à l'examen des lois qui touchent l'environnement et à contribuer au développement de nouvelles lois.

  • Sur l'accès à la justice:

Le troisième pilier de la Convention oblige les États à faire en sorte que les citoyens aient accès à un tribunal ou à un autre organe indépendant et impartial permettant de contester des décisions du gouvernement et de demander justice, y compris en ce qui concerne l'accès à l'information et la participation au processus décisionnel. Elle décrit plus loin l'importance de garantir un accès aussi facile que possible aux tribunaux. La Convention prévoit également la responsabilité des gouvernements afin d'assurer des formations et le renforcement des capacités de l'appareil judiciaire dans les matières relatives à l'environnement.

Un Comité de conformité de la Convention d'Aarhus a été créé en 2002 pour fournir des conseils aux Parties concernant sa mise en œuvre, et faire des recommandations concernant les plaintes soumises par les autres parties et les membres du public pour des cas de non-conformité.

Un aspect quelque peu négligé de la Convention, c’est que les Parties s'engagent à promouvoir les principes de la Convention dans leurs relations avec d'autres pays. C'est quelque chose à considérer lorsque les pays européens accordent une aide au développement pour la pêche ou signent des accords commerciaux ou accords de pêche avec les pays tiers.

Sur base de la Convention d’Aarhus, le PNUE a mis au point des directives pour aider les Etats non-signataires à adopter une législation similaire. Cela a conduit aux Directives pour l'élaboration d'une législation nationale sur l'accès à l'information, la participation du public et l'accès à la justice en matière d'environnement, officiellement adoptées par le Conseil d'administration du PNUE à Bali en 2010.

Le PNUE, en partenariat avec d'autres organisations, a entrepris plusieurs activités visant à promouvoir ces Directives: rencontres de haut niveau, recherche, sensibilisation, programmes de renforcement des capacités. Un récent rapport de tous ces efforts met en évidence un certain nombre de changements positifs, en particulier en Amérique du Sud, ainsi que dans certains pays d'Asie et d'Afrique. Peut-être un des signes les plus prometteurs est venu en 2012 quand 19 pays d'Amérique du Sud et des Caraïbes ont signé une déclaration commune sur leur intention de mettre en œuvre le Principe 10 de la déclaration de Rio. Nous espérons que cet engagement conduise à un instrument juridique régional en Amérique du Sud et dans les Caraïbes similaire à la Convention d'Aarhus.

Pourquoi les Directives de Bali sont importantes pour la pêche?

Jusqu'à présent les efforts faits pour promouvoir et appliquer les directives de Bali n'ont que peu impliqué les communautés de pêcheurs et organisations travaillant dans la pêche, et ces Directives, ainsi la Convention d'Aarhus sont méconnues dans ce secteur. Cependant, la Convention d'Aarhus est bel et bien applicable au secteur de la pêche: CAPE a d’ailleurs utilisé la Convention d'Aarhus pour convaincre la Commission européenne de publier des évaluations précédemment confidentielles sur des accords de pêche de l'Union européenne en 2011.

Ceux qui participent au plaidoyer pour l'amélioration de la gouvernance des pêches devraient faire davantage pour mieux comprendre et utiliser les Directives de Bali. L'une des raisons, c’est que le secteur de la pêche peut être victime de son repli sur soi – il est rare de voir des alliances entre la pêche et des campagnes et luttes semblables dans d’autres secteurs – les Directives volontaires de la FAO sur le régime foncier était une exception bienvenue, car elle fait le lien entre agriculture, pêche et sylviculture, en soulignant que les problèmes fonciers et d’occupation territoriale sont communs à ces trois secteurs. Mais ce n'est pas le cas en général, et la pêche est souvent abordée de façon isolée, maladroitement coincée entre les questions relatives au commerce, à l'agriculture ou à l'environnement. Collaborer avec les organisations qui travaillent sur les Directives de Bali permettrait de garantir que les pêches et les écosystèmes marins soient pris en compte dans les travaux visant à mettre en place des législations nationales et régionales similaires à ce qui a été fait grâce à la Convention d'Aarhus. Une telle collaboration pourrait aider à renforcer les réseaux entre les groupes de la société civile travaillant dans différents secteurs, sur des réformes législatives qui s'appliqueraient à tous les secteurs visant l’exploitation de ressources naturelles.

Toutefois, la raison la plus importante pour s’intéresser aux Directives de Bali est que celles-ci sont plus détaillées et plus complètes que beaucoup d'autres initiatives et accords dans le domaine de la pêche, qui font référence à la nécessité d'accéder aux informations (ou à la transparence), à l'importance de la participation du public et à la nécessité d'un accès à la justice, mais qui restent vagues sur la façon dont ces droits sont interprétés et peuvent être transposés dans la législation.

Les Directives de Bali s'inspirent sur la Convention d'Aarhus, qui non seulement donne des détails assez complets dans son texte sur la mise en œuvre et l'interprétation des droits politiques, mais a aussi généré une jurisprudence abondante et développé des organes forts pour soutenir et mettre en œuvre la Convention.

Par exemple, les deux directives de la FAO qui parlent de la nécessité de transparence dans la pêche fournissent peu d'indications sur la façon dont les administrations doivent interpréter la question de la confidentialité et dans quelles circonstances les citoyens ont le droit d'interjeter appel. Ces directives de la FAO sont également vagues sur les règles et procédures nécessaires à la réalisation de l'accès à l'information, et ne contiennent pas de détails précisant comment l'accès à la justice doit fonctionner dans la pratique. Ces questions sont précisées dans les Directives de Bali.

De même, d’autres accords internationaux ou stratégies de réforme en matière de pêche sont très superficiels sur la question des droits politiques. Le Plan d'Action International visant à Prévenir, à Contrecarrer et à Éliminer la Pêche Illicite, Non déclarée et Non réglementée de 2001 fait référence à la nécessité pour les États d’améliorer le partage de l'information, mais rappelle aussi la nécessité de respecter la confidentialité. Elle n'explique pas comment les États doivent interpréter cela...

Un langage similaire est utilisé dans la stratégie panafricaine de réforme des pêches et de l'aquaculture de 2014, où le manque de transparence est mis en évidence comme étant un problème dans les pêches africaines, la recommandation étant que les États africains doivent améliorer le partage de l’information tout en respectant les règles existantes sur la confidentialité de cette information. Cette formulation ambiguë laisse beaucoup trop de place à interprétation et ne contribue guère à mettre en place des réformes allant dans le sens d’une plus grande démocratie.

 Il y a également d’autres exemples, dans le domaine de la pêche, d’initiatives qui échouent à lier des réformes sur le partage de l'information ou la participation citoyenne avec la mise en place d’institutions efficaces pour l'accès à la justice – or, sans accès à la justice, les autres droits politiques sont faibles. Il s'agit là d'une faiblesse potentielle des initiatives pour la transparence, telles que l'Initiative de Transparence de l'Industrie de la Pêche (FiTI).

Il est bon que les gouvernements et les entreprises discutent de la nécessité de publier plus d'informations sur la pêche, mais les effets sur l’amélioration de la durabilité et de l’équité de l’exploitation et du commerce du poisson resteront négligeables si les citoyens ne disposent pas d'une protection juridique, ou des moyens de contribuer et de contester les décisions politiques prises. En effet, un aspect central de la Convention d'Arhus, qui est clairement repris dans les Directives de Bali, c’est la nature interdépendante des droits politiques – le droit d’accès à l'information est dénué de sens si les citoyens n'ont pas de droits d’accès à la prise de décision et l’effectivité de ces deux droits dépend de l'accès à la justice.

Il nous manque donc un cadre solide pour faire avancer les droits politiques dans le domaine de la pêche, si nous nous limitons aux accords et initiatives existants. Les Directives de Bali, en conjonction avec la jurisprudence de la Convention d'Aarhus, offrent une solution par les détails qu’elles donnent pour la mise en œuvre des droits politiques, d’une manière qui reconnaît l’interdépendance de ces droits politiques. Les Directives de Bali devraient également devenir un point de référence pour évaluer la force des initiatives existantes dans le domaine de la pêche, qui visent notamment à renforcer la transparence, et un point focal pour les activités de plaidoyer visant à promouvoir des réformes législatives pour une exploitation et un commerce durable et équitable des ressources halieutiques.

Une Banque Suisse Et Les Millions d’une Compagnie De Peche Thoniere Au Mozambique

En 2013, au Mozambique, une compagnie de pêche thonière a reçu 850 millions de dollars d’investissements afin d'acheter 24 bateaux de pêche et 6 bateaux de patrouille. Il s'agit d'un investissement énorme pour une seule entreprise de pêche - de loin le plus gros investissement du continent.

Les premiers communiqués de presse par les représentants du gouvernement et de la société ont annoncé que la compagnie allait faire au moins 200 millions de dollars de bénéfices chaque année, tout en offrant des milliers d'emplois et du poisson de haute qualité pour les marchés locaux. Deux ans plus tard, la situation est alarmante – l'entreprise fonctionne à perte, et l'État doit payer pour ses mauvaises créances. Il y a de nombreuses inquiétudes sur la façon dont les 850 millions ont été effectivement dépensés, en particulier sur les navires de patrouille achetés avec cet argent, armés de canons et de mitrailleuses, ainsi que sur l'impact écologique de cette nouvelle société de pêche. Certains bailleurs de fonds internationaux travaillant au Mozambique ont menacé de mettre fin à toute aide au pays vu la corruption potentielle qui entoure cette affaire, mais d’autres, comme la Banque mondiale et NORAD, ont continué à donner des millions de dollars d'aide supplémentaire au Mozambique pour améliorer les capacités de gestion des pêches.


En 2014, le Crédit Suisse et le WWF-Suisse ont publié un rapport sur la nécessité d'attirer des investissements accrus dans la conservation de l'océan, en particulier dans les pays en développement. C'est un exemple de la façon dont plusieurs ONG environnementales internationales ont fait campagne auprès des banques pour l'accroissement des investissements privés dans les pêcheries. Le rapport a également fait écho d’autres documents politiques produits par la Banque mondiale, sur la nécessité d'adopter une approche basée sur la richesse : les gouvernements africains doivent se concentrer sur la maximisation des rentes de la pêche, ce qui pourrait débloquer des milliards de dollars de bénéfices. D'aucuns ont fait valoir que cet avis est basé sur les statistiques erronées et ne tient pas compte du fait que le secteur le plus important pour les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire reste la pêche artisanale, pour qui une politique de maximisation de la rente pour l'État représente un danger.

En même temps que le Crédit Suisse travaillait avec le WWF sur cette vision pour des investissements accrus aider pour sauver les pêcheries africaines, la Banque Suisse travaillait également avec le gouvernement du Mozambique pour aider à financer le plus grand investissement dans une société de pêche africaine, "EMATUM". Le Crédit Suisse a accepté d'acheter 500 millions de dollars de dette qu'ils ont ensuite "ré-emballée" pour la vendre à des investisseurs grâce à un système d’Euro bons. Les dividendes offerts aux investisseurs étaient excellents - 8,5 % de bénéfice d'ici à 2020, et les bons étaient assortis d’une garantie du gouvernement du Mozambique. Le Crédit Suisse a vendu les bons en quelques semaines, ce qui a encouragé le gouvernement du Mozambique à approcher la Banque russe VTL pour vendre 350 autres millions de dollars de dette, ce qui porte l'investissement total dans la société EMATUM à 850 millions de dollars. Les bons de VTL se sont vendus en quelques semaines.

La justification du EMATUM

C’est une opinion communément répandue que, que pour profiter pleinement de ses ressources halieutiques, les pays africains doivent développer leurs capacités de pêche et de transformation du poisson. De nombreux États africains vendent simplement des licences à des flottes de pêche lointaine qui "payer, pêchent et partent". La valeur ajoutée est donc estimée minime, d’autant plus qu'il existe des frais considérables (souvent sous-estimés) pour les pays côtiers afin de gérer ces bateaux étrangers, ce qui dans certains cas est couvert par l'aide au développement. Le renforcement des capacités de pêche locales reste une ambition mise en exergue par les ministres africains dans leur stratégie de réforme de la pêche et l'aquaculture, publiée en 2014.

L'argument du développement de la pêche locale commerciale pour le thon a été utilisé pour justifier le financement d’EMATUM. En 2013, l'ancien Ministre des Pêches du Mozambique a expliqué à son Parlement qu’EMATUM reposait sur une étude de faisabilité prudente et qu’il était prévu que l'entreprise génère 200 millions de dollars par an. Cela signifierait qu’EMATUM augmenterait considérablement la valeur ajoutée de la pêche thonière à l'économie, qui était d’à peu près 4 millions de dollars par an provenant de la vente de licences aux entreprises étrangères, dont aucune ne débarque ses prises au Mozambique. EMATUM allait devenir un des plus grandes compagnies thonières mondiales, employant et formant des milliers de citoyens mozambicains et offrant à beaucoup d'autres du thon à un prix abordable. Ainsi que le dit le directeur de EMATUM au journal China Daily Journal en 2014 :

L'année dernière il y avait 130 navires exerçant la pêche dans nos eaux, et un seul du Mozambique. Cela nous a donné une indication de la valeur que pourrait atteindre notre secteur de pêche thonière. Le Mozambique est membre de la Commission des Thons de l'Océan Indien (CTOI), et nous risquions de perdre notre quota de pêche de thon, si nous ne développions pas une industrie durable. Les études de viabilité que nous avions faites indiquaient que nous pourrions gagner environ 200 millions de dollars par an, si nous mettions en place une flotte de 20 navires. Sur cette base, un plan stratégique a été approuvé par le gouvernement en juillet dernier pour établir une flotte nationale thonière. Malgré une côte longue de 2 800 kilomètres et d'énormes ressources marines, nous avons encore des défis du point de vue de la sécurité alimentaire. Alors pourquoi ne pas se lancer dans un projet aussi ambitieux ? Un projet qui nous permettrait non seulement de pêcher, mais aussi de créer une chaîne de valeur du thon, avec un effet multiplicateur sur notre économie. Notre défi est d’amener sur la table des Mozambicains la meilleure qualité au monde de thon, en créant la marque: 'Fait au Mozambique'

EMATUM est une entreprise privée, même si ces trois principaux actionnaires sont tous des organismes gouvernementaux – l'Agence pour l’Intelligence et la Sécurité, la société nationale de pêche du gouvernement, Emopesca, et l'Institut National pour la Gestion des entreprises d’Etat. Les 850 millions de dollars collectés via le Crédit Suisse et VTL devaient servir à acheter 30 navires – 24 bateaux de pêche (21 palangriers et 3 chalutiers) et 6 patrouilleurs. Il n'y a pas eu d’appel d’offres pour la construction des bateaux et le contrat a été octroyé à une entreprise française de Cherbourg.

Environ 300 millions dollars ont été affectés à l'achat des navires, et les 550 millions de dollars restants pour "l’équipement radar, les communications par satellite, les installations terrestres, le transfert de technologie, les droits de licence, la formation, les coûts de gestion et les frais pour le paiement des intérêts sur le prêt pour la première année", a expliqué l'ancien Ministre de la Pêche en 2013.

Le prospectus envoyé aux investisseurs sur EMATUM était très court – il tenait sur 3 pages. Il demeure strictement confidentiel (le Crédit Suisse a refusé de nous en donner une copie). Il n'y a aucune autre information ou analyse disponible dans le domaine public sur cet investissement. S’il y avait quelque doute quant à la capacité d’EMATUM de rembourser cet argent, les investisseurs avaient l'assurance donnée par le gouvernement, un pays qui a fait des découvertes de gaz de mer important. Comme le journal l'Economiste l’a souligné en Novembre 2013, les investisseurs étaient probablement au courant de ce qu’EMATUM était un placement à risques, mais ils "savent qu’il existe des réserves énormes de gaz au large des côtes du Mozambique, qui finiront par rapporter beaucoup de devises étrangères, même si le thon n'en rapporte pas".

Afin de pouvoir émettre de la dette pour financer EMATUM, le gouvernement a du contourner ses propres règles sur l'emprunt. La Loi sur le Budget 2013 au Mozambique fixer la limite maximale de garanties gouvernementales en remboursement de dettes à seulement 6 millions de dollars, et des garde fous sont en place, y compris un organisme de surveillance parlementaire, afin d'approuver les nouvelles dettes publiques. EMATUM a établi pour 850 millions de dollars de dettes garanties par le gouvernement, sans qu’il y ait aucune implication parlementaire. A lui seul, ce deal a fait augmenter la dette totale du pays de près de 60 %, alors que le pays est déjà parmi les plus endettés au monde.

Un investissement voué au naufrage ?

En partant avec une dette de 850millions de dollars, ainsi que des niveaux élevés d'intérêt à payer, il faudrait la compagnie fasse des gains spectaculaires pour rester à flot. Le Ministre de la pêche du Mozambique a rassuré le Parlement fin 2013, expliquant que les "risques fiscaux ont été pris en compte" et qu'il n'y avait aucun risque que l'entreprise fasse défaut pour ses remboursements. Cette déclaration semble négliger les doutes quant à la quantité de thon et d’autres poissons disponibles pour les activités de pêche de cette compagnie, et quant à la capacité pour une nouvelle société n'ayant une expérience ni dans la pêche, ni dans les conserves de poisson, ni dans le commerce avec les marchés étrangers, de faire des bénéfices.

En Mai 2015, la société a publié ses comptes pour les deux années précédentes, montrant qu'elle fonctionnait à perte. En 2014, la perte était de presque 25 millions de dollars. Cela a été expliqué  par le fait que seulement 9 bateaux avaient été fournis en 2014; 15 autres étaient en route, y compris les trois chalutiers qui approvisionneraient les bateaux en appât. Cependant, les activités de pêche avaient aussi rencontré moins de succès que prévu, avec les premières sorties de pêche "expérimentale" se soldant par un coût de 3 millions de dollars pour la compagnie. Il y a également eu le taux de change avec le dollar qui a aggravé les choses. Le Président de la société reste optimiste quant à l'avenir, disant récemment que la compagnie était toujours en bonne voie pour faire un bénéfice annuel de 200 millions de dollars, mais, malheureusement, tout cela sans doute devra servir à rembourser les prêts.

Face à la pression montante des investisseurs, le nouveau gouvernement élu en 2014 a dû prendre davantage de responsabilités pour le remboursement des dettes. Une première action a été de faire absorber 350 millions de dollars par la dette souveraine du gouvernement, montant qui a ensuite été porté à 500 millions de dollars, laissant EMATUM avec une obligation de rembourser seulement 350 millions de dollars. En 2015, le gouvernement a annoncé son intention de restructurer la dette – prolongeant les délais de remboursement- et de négocier un taux d'intérêt inférieur. Suite à cette annonce, la valeur des actions d’EMATUM a dégringolé.

Allégations de corruption?

Si EMATUM nécessite des apports massifs de fonds publics pour être sauvée, elle génère aussi des questions croissantes – pourquoi une compagnie de pêche privée devrait recevoir ces grandes quantités de fonds publics dans un pays qui connaît des niveaux très élevés de sous-développement et de pauvreté? Et si la société produit des bénéfices importants dans une décennie ou deux, cela va-t-il vraiment bénéficier aux citoyens mozambicains, ou surtout aux actionnaires et aux dirigeants de l'entreprise? L'effet multiplicateur n'est peut-être pas très évident, surtout si l'énorme dette causée par EMATUM absorbe des fonds qui auraient pu être utilisés pour combattre la pauvreté de façon plus évidente.

Plusieurs autres aspects de cette affaire ont inquiété les investisseurs et partenaires du Mozambique. Six des bateaux commandés étaient des bateaux de patrouille, destinés à assurer la surveillance et lutter contre la pêche illégale et la piraterie en mer. Les patrouilleurs fournis par une société française sont du type "HSI 32 interceptors", et un rapport de la compagnie indique qu’ils sont fournis avec un canon et deux mitrailleuses. Cela a causé une certaine anxiété concernant EMATUM car certains redoutent que les investisseurs aient sans le savoir financé l’achat d’armement, ce qui donnera à cette compagnie de pêche privée le contrôle de 6 bateaux équipés de matériel militaire, - plus que la capacité totale de la marine nationale du pays.

Mais, peut-être de façon plus significative encore, il y a eu une anxiété considérable concernant l'utilisation des 850 millions de dollars. La publication Africa Confidential a fourni un suivi régulier de cette histoire, et a récemment décrit que l'affaire est bien connue au Mozambique pour avoir canalisé "des centaines de millions de dollars dans les poches des individus près du sommet du parti et l'Etat".

Des politiciens de l'opposition ont décrit EMATUM comme le plus grand scandale financier dans le pays depuis l'indépendance. Des appels ont été lancés pour l'arrestation de l'ancien Président et Ministre des Finances, bien qu’ils soient tous deux protégés d'enquêtes gouvernementales par leur immunité.

La réponse des partenaires et donateurs étrangers

Etrangement, en dépit des grands montants d'aide au développement et d'années de travail pour améliorer la gestion de la pêche au Mozambique, le lancement d’EMATUM a été annoncé dans la presse sans discussion préalable avec les donateurs étrangers.

La plupart des partenaires et donateurs étrangers travaillent ensemble au Mozambique à travers un groupe connu sous le nom de G19. Ils ont publié une déclaration en 2013 disant que s'il y n'avait pas d'amélioration de la transparence concernant EMATUM, ils pourraient retirer tous les fonds d'aide pour le pays. Ceci, pour une courte période, a ressemblé à une confrontation importante entre le gouvernement et les bailleurs de fonds étrangers, qui ont non seulement fait du Mozambique l'un des pays du monde les plus dépendants de l'aide extérieure, mais qui ont aussi fourni plus d'argent pour le développement de la pêche au Mozambique que dans n'importe quel autre pays en Afrique.

De toute évidence, la transparence a fait défaut dans EMATUM, et les problèmes qui lui sont associés se sont aggravés depuis 2013. Alors, comment ont réagi les bailleurs de fonds étrangers ?

En 2014, on a signalé que des engagements d'aide totale par le G19 avaient été réduits, mais pour 2015, il semble que l’aide ait continué et même légèrement augmenté par rapport à 2013. Cependant certains donateurs, dont la Norvège, ont décidé de mettre fin à leur contribution au budget central et ciblent plus d'aides dans les projets. Cela peut avoir été une réaction à l’affaire EMATUM. Mais dans l'ensemble, les menaces des donateurs ont été levées. En fait, la Banque mondiale a récemment approuvé un autre investissement important dans la pêche du Mozambique – un prêt de 37 millions pour aider à améliorer la gestion des pêches. Et, en 2014, la Norvège a donné des fonds supplémentaires de près de 30 millions de dollars pour des projets de pêche, principalement mis en œuvre par le gouvernement, y compris mettant l'accent sur l'arrêt de la pêche illégale, pour lequel nous imaginons que la contribution des six patrouilleurs bien armés de EMATUM sera vitale.

Dans le même temps, le Mozambique a réussi à attirer davantage d'investissements pour étendre la pêche commerciale thonière. En août 2015, une compagnie chinoise a annoncé avoir signé un accord pour construire 9 thoniers en Chine, qui seraient utilisés pour pêcher dans la Province de Nampula au Mozambique. Le gouvernement au Mozambique a aussi annoncé progresser vers un nouvel accord pour l'accès d’au moins 15 thoniers japonais. Pendant ce temps, le Mozambique et l'UE négocient un nouvel accord de partenariat de pêche pour le thon.

La Chine a également annoncé 120 millions de dollars d'investissement pour la modernisation du port de Beira. Le directeur de EMATUM décrit cela comme stratégique pour ses affaires, et décrit la Chine comme un marché clé pour leur thon :

"La Chine a un potentiel énorme pour nous... Si la moitié de la population consommait notre thon, il ne faudrait pas exporter vers les autres marchés. Nous pêchons le thon avec seulement 24 navires, mais nous ne devrions pas arrêter là – il y a une énorme opportunité pour la croissance, donc notre capacité peut augmenter beaucoup »

Avec de telles déclarations, il sera important de voir dans quelle mesure EMATUM reste fidèle à ses objectifs d'approvisionnement des mozambicains en thon de haute qualité.

Défis de durabilité

L'attention du public a été essentiellement tournée vers le montage financier qui entoure EMATUM, et très peu de choses ont été dites sur son impact environnemental – un sujet important pour un pays où la biodiversité marine connaît une baisse inquiétante. Il fut un temps où ses crevettes – pêchées surtout par le biais de sociétés mixtes entre des sociétés de Mozambique et des entreprises étrangères – étaient le principal produit d'exportation du pays, mais cela a diminué considérablement au cours des dix dernières années, en raison de l'incapacité de l'Etat à arrêter la surpêche.

L'impact des activités d’EMATUM sur les ressources halieutiques est difficile à prévoir. Les rapports de la CTOI suggèrent que les thons migrant dans les eaux du Mozambique peuvent être pêchés dans des limites durables, mais la situation dépend dans une large mesure de la capacité de contrôler l'effort de pêche dans la région. L'addition de 24 bateaux de pêche commerciale supplémentaires est un élément important. Mais mettre l'accent uniquement sur le thon peut se révéler trompeur. Les palangriers opérant au Mozambique ont ciblé historiquement bien plus de requins et d’espadons que de thons – par exemple, le thon représente seulement 13% des captures des palangriers de l’UE au Mozambique, les requins et espadons composant la majorité des captures restantes. Il est donc fort probable qu’EMATUM fera de même. En fait, Africa Confidential rapporte que les premiers débarquements effectués par EMATUM étaient dominés par les captures de requins, pas de thons.

Des données scientifiques fiables sur le statut de ces espèces de poissons sont limitées, mais de nombreux témoignages (voir ici pour un exemple de graphique) montrent que les populations de requins au large du Mozambique ont été décimées par la surpêche pour approvisionner les marchés étrangers en ailerons de requin. Si EMATUM participe à ce type d’exploitation des requins considérée comme insoutenable, la compagnie aura à affronter les critiques internationales. Mais réguler l’impact environnemental des bateaux d’EMATUM sera un grand défi : les 6 navires de patrouille d’EMATUM contrôleront ils bien les propres bateaux de la compagnie ? Le gouvernement réglementera t’il l'entreprise efficacement, imposant des amendes et des sanctions, étant donné les intérêts directs de l’Etat dans cette compagnie, qui recherche désespérément une viabilité financière?

Quelles leçons à tirer?

Le cas de EMATUM est remarquable, et les coûts pourraient être élevés, qui devront être payés par les citoyens et les partenaires au développement, tout en ouvrant potentiellement un nouveau chapitre dans le déclin de la biodiversité marine dans la région. Nous pourrions voir la saga EMATUM comme un cas isolé, mais il y a des leçons plus larges à en tirer.

Tout d’abord, EMATUM illustre les risques liés aux politiques des Etats africains de développement d’une capacité de pêche nationale, en particulier pour la pêche au thon. Pour de nombreux États africains, la pêche au thon commerciale, capitalistique, ne produira peut être pas des avantages importants pour l'économie au sens large, en particulier lorsque les coûts de gestion responsable des pêches sont pris en compte, et du fait que la main-d'œuvre employée dans cette pêche est relativement restreinte. Peut-être une plus grande opportunité pour les États côtiers consiste à se concentrer davantage sur le côté du traitement des produits, ce qui peut produire plus de possibilités d'emploi. Le directeur des pêches au Mozambique a mis en évidence ces aspects par le biais de la récente déclaration de Maputo, qui contient plusieurs bonnes propositions sur la façon de mieux gérer la pêche hauturière étrangère dans la région pour augmenter la valeur qui revient aux États côtiers. EMATUM va à l’encontre de telles pensées politiques et tout semble indiquer que cette compagnie a été créée avec un minimum de consultation des experts de pêches.

En second lieu, EMATUM nous fournit un exemple inquiétant de l’approche adoptée pour accroître les investissements dans la pêche en Afrique. CAPE a déjà mis en garde sur la financiarisation de la conservation des ressources halieutiques. EMATUM est un exemple frappant de la façon dont les investissements peuvent être contradictoires avec les objectifs de conservation, y compris de la part d’une banque qui a manifesté un intérêt considérable dans le financement de la conservation des océans. Le Crédit Suisse s’est-il soucié un seul instant de l'impact environnemental et sur le développement lorsqu’il a organisé le financement de EMATUM? Le WWF, qui a un partenariat avec le Crédit Suisse et possède un bureau au Mozambique, serait bien placé pour condamner le rôle du Crédit Suisse et d'autres investisseurs dans cette saga.

Enfin, il y a une leçon fondamentale pour les débats sur les politiques de pêche, ainsi que sur le rôle de l’aide au développement. Le cas d’EMATUM est un recul majeur dans un pays qui a reçu le plus d'aide au développement pour la pêche en Afrique et avait montré des progrès en matière de politique de pêche responsable. Cela met en évidence un problème important de l'aide dans le secteur de la pêche – il y a trop d'attention sur des projets technocratiques et de soutien. L’aide à la pêche continue d'exister dans une bulle déconnectée de considérations plus larges en matière d'économie politique, y compris la question de la corruption, qui reste en grande partie hors de l'ordre du jour des discussions entre partenaires donateurs et gouvernements des États côtiers en Afrique. EMATUM devrait servir d'avertissement que les réformes politiques constituent un élément essentiel pour le développement de la pêche. Les stratégies de réforme des politiques de pêche et de l’aide au développement doivent remédier au manque de transparence, de participation et de supervision de la pêche. En d'autres termes, des réformes politiques destinées à améliorer la responsabilité démocratique sont tout aussi nécessaires comme les réformes technocratiques conçues pour améliorer les connaissances scientifiques ou les bénéfices tirés des ressources halieutiques. 

Progrès avec l'Initiative de Transparence des pêches?

Dans un blog précédent, nous avons rendu compte du lancement du FiTI (Initiative pour la Transparence des pêches). Bien que l'idée d'un « ITIE » pour la pêche soit discutée depuis un certain temps, la demande d’une initiative concrète est venue du gouvernement de la République Islamique de Mauritanie. La Mauritanie finance donc la plateforme pour la gouvernance Humboldt-Viadrina afin de concevoir une telle initiative qui puisse recueillir un soutien international. Le choix de la Humboldt-Viadrina vient du fait qu'un de ses fondateurs, Peter Eigen, a été le président fondateur de l'ITIE et de Transparency International.

La première réunion du groupe consultatif international pour la mise en place de l'Initiative de Transparence des Pêches s'est tenue à Berlin le 24 juillet et a réuni un peu plus de 30 personnes. Il y avait des représentants du gouvernement du Costa Rica, de l’Indonésie, de la Mauritanie et des Seychelles, ainsi que des représentants de la société allemande pour la coopération internationale (GIZ), la Banque mondiale et la Banque africaine de développement. Les représentants du secteur pêche incluaient des représentants des flottes de pêche lointaine européenne (Cepesca, PFA) et de la pêche artisanale africaine (CAOPA). La société civile comprenait des représentants de Pain pour le Monde, ICSF, Greenpeace, Oceana, WWF, EJF et CAPE. Malheureusement, aucun représentants des gouvernements de pays de pêche lointaine, comme l'UE, la Russie ou la Chine, n'ont assisté à cette première rencontre.

Le FiTI est une initiative multipartite qui s'inspire, dans sa conception, de l'ITIE. Le FiTI sera une initiative mondiale, mise en oeuvre dans chaque pays participant. Elle mettra en place un comité multipartite international avec une représentation égale des gouvernements, du secteur de la pêche et de la société civile. Il établira les principes, les critères de transparence et les lignes directrices procédurales – quelles informations doivent être publiées et sous quelle forme. Des comités multipartites dans chaque pays vérifieront les informations publiées par le FiTI, sur base annuelle.

S'il réussit, le FiTI pourrait fournir des informations importantes et crédibles sur les pêches, qui seront publiées chaque année sous forme de rapports FiTI. Décider quelles informations doivent figurer dans ces rapports a été un objectif important de la réunion – si la transparence doit aider à améliorer la gestion de la pêche, quelles informations doivent être incluses?

Le FiTI répondra-t’il à nos préoccupations initiales?

Dans notre premier blog sur le FiTI, nous exprimions quelques inquiétudes : comment fonctionnerait une telle initiative multipartite? Comment la pêche artisanale serait incluse et affectée? Le FiTI évitera-il de se focaliser sur la lutte contre la pêche INN? Et surtout, le FiTI aura-t’il un impact positif sur le développement et la sécurité alimentaire, ou bien deviendra-t’il simplement un exercice de relations publiques pour les pays et les entreprises de pêche industrielle?

Ces préoccupations, de CAPE et d'autres, sur les initiatives de transparence ont été reconnues par l’équipe du FITI et discutées au cours de cette première réunion du groupe consultatif. Un rapport plus détaillé va être publié sur la réunion de Berlin, mais je pense qu'il est utile de déjà souligner certains résultats positifs :

1) il a été considéré important de relier le FiTI avec d'autres engagements globaux et documents politiques sur la pêche. Cela inclut, par exemple, le Code de Conduite de la FAO pour une pêche responsable, la politique commune de la pêche de l'Union européenne et ses règlements connexes. Plus important encore, le FiTI pourrait aider à mettre en œuvre les recommandations sur la transparence et la gouvernance participative contenues dans deux directives volontaires de la FAO - Les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts, et les Directives visant à garantir des pêches artisanales durables. Je pense que cet aspect est critique, car cela signifie que le FiTI s’inscrit en complémentarité des initiatives existantes dans les pêcheries et ne cherche pas à mettre en place quelque chose d’entièrement nouveau, déconnecté des réalisations et des engagements existants. Ces directives de la FAO ont été mises au point après de nombreuses années de consultations, notamment avec les organisations de pêche artisanale, donc le FiTI leur sera familier et sera fondé sur des bases solides.

2) il y a eu une forte demande d'incorporer la pêche artisanale dans cette initiative. La notion de « secteur de la pêche » ne doit pas se concentrer uniquement sur le secteur de la pêche commerciale ou industrielle. C'est positif, car de cette manière, le FiTI pourrait contribuer à souligner la nécessaire collecte de données sur la pêche artisanale et peut améliorer la prise de conscience de l'importance de la pêche artisanale. L'inclusion du secteur de la pêche artisanale dans la structure de gouvernance du FiTI a aussi été considérée comme essentielle. Des organisations telles que la CAOPA en Afrique de l'Ouest auront l'occasion de jouer un rôle de premier plan, quelque chose qui fait souvent défaut dans les "partenariats" mondiaux concernant la pêche et la conservation de l'océan.

3) l'importance pour le FiTI de prendre en considération la question du genre a été soulevée. Cela est essentiel compte tenu du rôle des femmes dans le secteur, notamment dans la pêche artisanale, et le fait que souvent, les femmes sont sous-représentées dans les données sur la pêche ou dans les débats concernant les politique des pêches. Le FiTI est élaboré pour s'assurer que les données récoltées prennent en compte cette dimension et que les femmes dans la pêche soient fortement représentées dans la gouvernance même du FiTI.

4) il y a eu un intéressant échange de vues sur le fait que l’objectif d’améliorer la transparence est de rendre la gouvernance participative. Il faut cependant continuer la discussion et la réflexion sur ce que la transparence peut et ne peut pas faire. Ce qui est ressorti de nos premiers échanges, c’est qu'améliorer le partage d'information peut être bénéfique à des réformes pour une gouvernance démocratique – la transparence n'est pas une fin en soi. Le FiTI est peu susceptible de devenir un moyen de «surveillance» des bateaux de pêche, visant simplement à aider à attraper les «méchants». Il semble plutôt qu’il se développera comme un outil d'information pour alimenter les débats au niveau national sur la pêche, sa contribution à l'emploi et à la sécurité alimentaire et sur l'efficacité de la gestion des pêches.

5) Les efforts visant à accroître le partage de l'information et la participation dans les débats de politiques de pêche ne peuvent se concentrer simplement sur ce que font les pêcheurs et les gouvernements. Il existe d'autres acteurs importants qui influencent le développement des pêches, dont beaucoup ne sont pas toujours transparents et responsables. Ceux-là incluent les bailleurs de fonds, les investisseurs privés, les ONG et les scientifiques. La nécessité pour ces autres acteurs du développement des pêches d’être transparents a été soulignée par plusieurs participants.

6) Enfin, il a été mentionné que l'idéal de transparence repose sur la capacité des citoyens et des organisations à recueillir des informations et à leur donner un sens. La transparence est souvent considérée, à tort, comme une tâche simple – obtenir que des données soient publiées par les gouvernements et les entreprises, en pensant que les citoyens utiliseront ces informations pour améliorer la situation. Le problème, cependant, est que certaines données que nous espérons voir publiées par le FiTI peuvent ne pas exister, et les parties prenantes peuvent ne pas être en mesure de réellement en faire quelque chose, ou de leur donner un sens. Il est peu probable que le FiTI soit chargé de renforcer les capacités d’utiliser les informations publiées, mais il devra identifier les besoins et les méthodologies requises pour générer des données sous une forme accessible au public, et il devra identifier des moyens concrets pour aider les destinataires de l'information à utiliser cette information, y compris les communautés côtières, les parlementaires, journalistes, chercheurs etc

Pour l'avenir

Il reste beaucoup de travail à faire pour finaliser la conception du FiTI. La réunion du groupe consultatif a été un premier pas dans cette direction et n'avait d’autre ambition que le partage d'idées. L'objectif est d'avoir quelque chose de plus complet à présenter lors d'une réunion internationale qui se tiendra en Mauritanie le 14 décembre 2015. Il y aura une autre réunion du groupe consultatif avant cette date.

De grands défis attendent le FiTI, en particulier finaliser les critères de transparence. Il y a un équilibre à trouver entre la liste de tout ce que les gens veulent voir inclus en matière d’informations à publier, et s'assurer, d’autre part, que le FiTI reste quelque chose de faisable. Il devra y avoir un compromis, qui est essentiel pour une initiative fondée sur un idéal de participation. Certains pourront penser que le FiTI est trop étroit, alors que d'autres pourront se sentir mal à l'aise avec le niveau de divulgation d’information exigé d'eux. Il a également été recommandé à Berlin que le développement de ces critères de transparence puisse comporter un élément «d’amélioration progressive », de façon à ce que la portée du FiTI puisse être affinée et couvrir des éléments supplémentaires. Ce sera intéressant de prendre part à ce processus.

Cependant, le plus grand défi du FiTI sera d’obtenir le soutien politique nécessaire. La réunion du groupe consultatif a rassemblé un ensemble important de parties prenantes, mais il en faudra beaucoup plus, et il n'est pas certain que toutes les personnes présentes aient déjà décidé de l'opportunité de soutenir ou non le FiTi. Pour l’instant, on perçoit un engagement croissant de certains gouvernements et de certaines compagnies de pêche pour plus de transparence et de reddition de comptes, mais les progrès concrets sont lents.

Ceux qui travaillent sur le FiTI auront donc besoin de convaincre plus de gouvernements, de professionnels du secteur de la pêche et d’ONG qui travaillent au niveau local et au niveau international. Il est à espérer que le fait que le FiTI sera un outil conçu pour mettre en œuvre les engagements de transparence contenus dans diverses politiques et directives internationales et régionales aidera dans ce processus. Le FiTI peut combler une lacune importante.

Mais pour garantir la réussite du FiTI, la tâche la plus importante n'est pas de convaincre les gens de signer. Le plus important maintenant, c’est de poursuivre un débat sérieux sur la nécessité d’engager des réformes politiques dans les pêches, avec la transparence et la gouvernance participative comme composantes essentielles. Il reste un manque de discussion sur cet enjeu.

C'est pourtant ce qui pourrait rendre le FiTI attrayant pour plus de gens – d’en faire un point d'entrée pour discuter un plus grand ensemble de questions qui nécessitent une combinaison d'initiatives. Si le FiTI peut produire de façon continuelle des informations crédibles qui sont restées invisibles ou confidentielles jusqu'à maintenant, alors j'espère que ce sera un catalyseur pour des changements positifs de comportements et d’attitudes. À tout le moins, le FiTI devrait aider à fournir des informations à plus de personnes, leur donnant par la même occasion des possibilités de débattre des décisions politiques sur la pêche dans leurs pays. Et on se demandera alors pourquoi il a fallu si longtemps pour le faire. 

Revue du rapport de la Banque Mondiale "Le commerce de services dans la pêche: Perspectives émergentes sur les accords de pêche étrangers"

En Décembre 2014, la Banque mondiale a publié un nouveau rapport sur les modalités d'accès aux pêcheries, intitulé "Le commerce de services dans la pêche : perspectives émergentes sur les accords de pêche étrangers". Ce rapport a l’ambition de fournir une nouvelle réflexion sur la façon dont les accords de pêche d'accès peuvent être améliorés au profit des pays en développement. Il est présenté comme un rapport important, représentant plusieurs années de travail de la plupart des spécialistes de la pêche attachés à la Banque.

Bien qu'il existe une vaste littérature sur les accords de pêche, un nouveau rapport sur ce thème est le bienvenu. Beaucoup de questions cruciales restent en suspens. La nature des investissements dans la pêche et les activités des entreprises de pêche étrangères dans les pays en développement évoluent dans un contexte d'instabilité financière, de diminution des ressources et, dans certains endroits, d’une plus grande concurrence avec les pêcheurs locaux en mer et sur les marchés de produits de la pêche. Dans quelle mesure ces accords de pêche permettent-ils de faire progresser le bien-être et la sécurité alimentaire des communautés de pêcheurs et des citoyens dans les pays en développement? C’est un thème important dans les débats sur la pêche.

Cependant, ce dernier rapport est décevant. Il n’offre pas de nouvelles données empiriques sur les modalités d'accès aux pêcheries ni sur leurs impacts. Plus interpellant encore, ce rapport contient de nombreuses hypothèses contestables et des conseils discutables en matière de politique, sans parvenir à aborder certains des défis politiques les plus importants.

Ci-dessous, nous examinons brièvement ce rapport de la Banque afin d'encourager une réflexion plus critique sur les options politiques qu’il promeut. Sept points nous semblent clés dans ce rapport:

1] Une compréhension limitée de l'économie politique des accords de pêche d’accès

Bien que le rapport se présente comme voulant comprendre les coûts et bénéfices des accords de pêche d'accès, il n’offre aucune perspective sur ce point. Au lieu de cela, le rapport tente d'expliquer les facteurs qui déterminent les choix faits par les Etats et par ceux qu'il appelle les "fournisseurs de services pour la capture et le traitement du poisson" - à savoir les compagnies de pêche.

Cela conduit à une description de la ‘théorie de l'agent principal’ (principle agent theory), par laquelle la négociation d'accords de pêche d'accès est le résultat de la négociation concurrentielle entre ‘le principal’ (l'Etat qui possède la ressource) et ‘l'agent’ (la société qui fournit un service pour exploiter la ressource pour l'Etat). Ce faisant, le rapport propose un modèle abstrait qui offre un aperçu insuffisant de ce qui contribue effectivement à informer les décisions et les comportements des partenaires dans les accords de pêche d'accès.

Tout au long du rapport, l'accent est mis sur les responsabilités des institutions des pays hôtes, élément clé pour comprendre les résultats décevants des accords de pêche d'accès, mais rien n’est dit sur les comportements des entreprises étrangères, leurs investisseurs et les gouvernements de leurs Etats, et comment ces acteurs étrangers influencent les institutions qui régissent la pêche dans les pays en développement.

Le rapport ne répond pas à la question fondamentale de la façon dont les coûts et les avantages sont distribués dans les accords de pêche, qui sont les gagnants et les perdants, quel rôle jouent les pouvoirs en place, voire les conflits d'intérêts, et qui ont une influence sur le résultat de ces accords.

2] Les dangers du fondamentalisme de marché

Le rapport avance l'idée que les pays hôtes ne peuvent conclure des accords de pêche efficaces que s’ils pensent comme des acteurs économiques, uniquement déterminés à maximiser la rente perçue de leurs ressources.

Cette approche implique d’octroyer des droits de propriété sûrs aux entreprises de pêche étrangères – "les fournisseurs de services" tels qu’ils sont dénommés dans le rapport -, et d’assurer que les décisions sont prises sur base de la loi de "l'avantage comparatif" - il devient logique de donner accès d’abord aux entreprises étrangères si les entreprises nationales de pêche ne peuvent pas offrir de meilleurs conditions commerciales. Le rapport met en garde contre des décisions irrationnelles, comme la promotion d'une pêche locale, lorsque le pays peut tirer plus de revenus des opérations des compagnies étrangères de pêche.

Les auteurs ont une foi inébranlable dans le marché de la concurrence, où les Etats doivent choisir de donner des droits d’accès de pêche aux entreprises uniquement sur base de la maximisation du profit. Le rapport n’offre aucune réflexion sur les dangers de ce genre de recommandation politique. Pourtant, la recherche de la seule maximisation du profit peut conduire à un scénario du genre "the winner takes all" (le gagnant remporte toute la mise), qui aura inévitablement des impacts négatifs sur les petits pêcheurs, même lorsqu’ils peuvent offrir de meilleurs résultats en termes social et environnemental.

Le rapport réitère également l'avis que les pays en développement devraient envisager de travailler ensemble pour accroître leur pouvoir de négociation, sans réflexion sur les raisons qui peuvent les empêcher de le faire, ni sur comment les entreprises de pêche étrangère tentent parfois de saper toute action collective.

Nous ne pouvons pas comprendre la dynamique des accords de pêche d'accès sans prendre en considération le fait que l'instabilité financière du secteur et la recherche de la maximisation du profit peuvent conduire à des pratiques non durables, qui appauvrissent les ressources, et sans tenir compte du bien-être social.

3] Une compréhension étroite de la "richesse"

Selon ce rapport, la richesse tirée de la pêche provient de la «valeur d'échange», soit des bénéfices privés et la rente perçue par l'Etat. Pourtant, la richesse dérivant de l’exploitation des ressources naturelles inclut également des "valeurs d'usage", c’est-à-dire des bénéfices publics qui n’impliquent pas l'accumulation de bénéfices économiques par les opérateurs.

Les économistes ont de tous temps été intéressés par les tensions existant entre ‘valeur d'échange’ et ‘valeur d'usage’, entre ‘richesses privées’ et ‘richesse publique’. Une augmentation de la ‘valeur d'échange’ de la nature se fait souvent au détriment des ‘valeurs d'usage’ : ce qui est bon pour l'accumulation du capital privé est souvent préjudiciable à la richesse de la société et de l'environnement (conceptualisé à l’origine dans le ‘Paradoxe de Lauderdale’).

Le rapport reconnaît que la pêche a d'autres intérêts que d'être seulement une source de liquidités : dans une note de bas de page, les auteurs disent que la pêche est liée aussi à la santé, mais on nous dit qu’il est plus important de se concentrer sur la composante ‘richesse’.

En raison de cette vision étroite de la richesse, le rapport est incapable de discuter la gamme complète des avantages et des coûts qui découlent du secteur de la pêche, ni des arbitrages complexes entre les revenus des Etats, les intérêts des entreprises étrangères, la sécurité alimentaire, du bien-être des communautés locales, etc. En fin de compte, cela signifie que l'étude ne commente pas la question fondamentale, à savoir si les accords de pêche d’accès oeuvrent pour le développement.

4] L’échec du questionnement du lien entre croissance et richesse

L'une des hypothèses clés du rapport est que la valeur de la pêche réside dans la rente qu'elle peut fournir aux Etats, rente ensuite réinvestie dans l'économie nationale au bénéfice de tous. Le rapport dit que l'accent mis sur la mise en place de politiques qui aident les pêcheurs est trop réducteur, car il exclut le rôle important que la pêche peut jouer dans le développement macro-économique des pays en développement.

Ce qui sous-tend cette recommandation, c’est la croyance que les améliorations du PIB nationales garantissent l'amélioration du développement humain : "le fait que la protection sociale dépend d’une croissance économique soutenue est bien établi à la fois théoriquement et empiriquement" (p. 2).

Pourtant, dans de nombreux pays, les coûts liés à la gestion des pêcheries sont élevés, et ces coûts augmentent en fonction des demandes croissantes placées sur les pays hôtes pour qu’ils développent une meilleure recherche scientifique, une meilleure surveillance des navires de pêche, ec. Pour cette raison, la pêche commerciale dans de nombreux pays en développement n’offre pas à l’Etat un flux potentiel de revenus qui peuvent avoir un impact positif significatif sur la croissance nationale.

En outre, certains des Etats qui reçoivent des revenus de la pêche commerciale qui peuvent contribuer aux budgets nationaux ont un bilan désastreux pour ce qui est de l'utilisation, au bénéfice de leurs citoyens, des rentes perçues de l’exploitation des ressources naturelles. La Banque ne fournit aucun commentaire sur cet aspect non plus - comment les revenus provenant de la négociation de services des pêches pour la capture et la transformation sont utilisées par les Etats? Sauf s’il y a un effort important en matière de gouvernance pour assurer que ces revenus sont bien utilisés, ces recommandations-clés faites par la Banque ne sont qu’un vœu pieux.

A l’heure actuelle, dans de nombreux pays en développement, la valeur de la pêche en termes de ‘bien être social’ a peu à voir avec les revenus découlant d'accords de pêche d'accès entre leurs gouvernements et les entreprises étrangères. La valeur évidente réside dans la pêche en tant qu’activité qui procure un revenu direct et contribue à la sécurité alimentaire.

5] Le traitement superficiel des réformes démocratiques

Le rapport souligne la nécessité de transparence dans la réforme de la gestion des accords de pêche. Ce point est le bienvenu ; il s’agit là d’une recommandation qui a été faite depuis des décennies par la société civile et les organisations de la pêche artisanale.

Le rapport mentionne l'idée d'une initiative pour la pêche fondée sur une initiative de transparence qui existe pour l'exploitation minière (ITIE), mais ne précise pas comment cela pourrait fonctionner dans la pratique. Il recommande également que les pêcheurs artisans soient représentés dans le processus de prise de décision lorsque les gouvernements négocient un accès de pêche à des sociétés étrangères.

S’en tenir à mentionner ces objectifs généraux ne fait pas avancer les réformes politiques dans les pêcheries. Le rapport est loin d'offrir un quelconque nouvel aperçu des obstacles auxquels font face la société civile et les organisations de pêche artisanale pour être informées et se faire entendre sur les questions de gouvernance des pêches.

Nous devons améliorer notre compréhension des raisons pour lesquelles les accords de pêches restent confidentiels dans de nombreux pays - est-ce lié aux intérêts économiques des investisseurs, des "prestataires de services", des gouvernements hôtes ?

En outre, compte tenu de la puissance d’influence de la Banque mondiale sur les réformes de la pêche dans les pays en développement, il est nécessaire d'examiner ce qui est fait par la Banque mondiale et par les autres bailleurs de fonds pour promouvoir la transparence. Ainsi, l'UE promeut la transparence dans les accords de pêche avec les pays en développement, et ce rapport aurait pu discuter et mettre en évidence la nécessité pour les autres nations de pêche lointaine de suivre le même chemin.

6] Une approche des droits humains ‘pour la forme’

Le rapport contient une brève section sur les droits humains, en soulignant d’abord les dangers de l'application des droits humains aux conditions de travail car cela peut fausser la liberté des marchés, puis en suggérant que plus d'informations et de données sur le commerce de services de pêche serait nécessaire. Comment plus de données va t’il aider en la matière?

Malheureusement, les droits humains ne sont plus mentionnés du tout dans les recommandations politiques finales du rapport.

L’implication des accords de pêche d’accès pour les droits humains est un débat central, y compris non seulement en ce qui concerne les normes du travail, mais également par rapport au droit à l'alimentation et aux droits politiques comme la liberté d'expression et l'accès à l'information. L'UE a tout récemment inséré une clause sur les droits humains dans ses accords de pêche d'accès avec les pays en développement. C’est un élément important à considérer dans un rapport qui discute comment les accords de pêche peuvent soutenir le développement. Malheureusement, aucune mention n’est faite dans ce rapport sur cette clause de l'UE.

Ce traitement superficiel des droits humains dans une publication majeure sur les accords de pêche est un pas en arrière.

7] L'accent mis sur l'aide à l'amélioration du "capital humain" et sur les réformes institutionnelles dans les pays en développement

Le rapport fait valoir que le facteur le plus important pour faire de bons accords de pêche, ce sont les institutions du pays hôte. Les exemples de réformes positives donnés suggèrent que la transition vers une meilleure gestion des pêches est un processus long et complexe. Apparemment, les pays en développement réussissent seulement quand ils combinent une meilleure connaissance et une augmentation du "capital humain".

Il n’existe aucune preuve empirique pour cela, juste des suppositions. Les auteurs ne se demandent pas pourquoi dans certains pays les accords de pêche d'accès permettent d’améliorer la situation générale alors que dans d'autres, malgré des décennies d'expérience avec des flottes de pêche étrangères, la situation est moins positive.

Faire penser que la mise en place de bonnes institutions dans les pays en développement va, à elle seule, produire de bons accords de pêche encourage une vision étroite comme quoi la performance des accords de pêche dépend des gouvernements des pays hôtes. Les comportements et les intérêts des investisseurs étrangers, des entreprises et des gouvernements des pays de pêche lointaine ne sont pas pris en compte.

Le rapport se termine en recommandant aux donateurs de se préparer à l'augmentation des engagements d'aide afin d’aider les pays en développement à améliorer leur capital humain.

Pourtant, cette recommandation contraste avec les résultats d'autres rapports de la Banque mondiale qui montrent que l'aide au développement à la pêche a souvent échoué à améliorer la gestion des pêches. Il peut même y avoir des impacts négatifs en termes de marginalisation des petits pêcheurs et d'encouragement de la surpêche. Il est bien connu que des nations de pêche lointaine utilisent souvent l'aide pour avoir plus de possibilités d'accès. Certaines aides peuvent également avoir un effet corrosif sur les institutions de la pêche dans les pays en développement, ce qui exacerbe la corruption et agit comme un frein aux réformes.

La recommandation finale d'augmenter l'aide pour aider les pays en développement à accroître la richesse générée par les accords de pêche est donc insatisfaisante.

Dans de nombreux pays en développement, les revenus de la vente de licences de pêche à des compagnies étrangères est bien moindre que les recettes fournies par les bailleurs de fonds à travers des prêts ou des aides pour réformer la pêche. Si nous suivons la logique présentée dans le reste du rapport, il est raisonnable de se demander pourquoi plus d’aide au développement est nécessaire pour aider les pays hôtes à devenir des acteurs économiques rationnels cherchant à maximiser la rente des ressources de pêche en vendant des licences aux compagnies étrangères?

Ce rapport ne nous aide donc pas à comprendre l'économie politique des accords de pêche, d’une façon qui nous aiderait à comprendre comment l'aide au développement peut être utilisée de façon plus judicieuse pour assurer que l'accès aux pêches soit bénéfique pour la richesse des citoyens des pays en développement.

Bons et méchants : La pêche INN relève de la criminalité des entreprises en complicité avec les états, pas du ‘crime organisé’

Récemment l'ONG Oceana a recommandé l'utilisation de drones et de caméras de vision nocturne pour lutter contre la pêche INN dans les aires marines protégées. C’est l'un des derniers exemples montrant la dérive de la lutte contre la pêche INN, qui est présentée de façon réductrice comme un problème d’application de la loi,  avec les nombreux problèmes qui en découlent résumés à une histoire de ‘bons contre les méchants’. Dans ce type de scénario à la James Bond, la pêche INN est presque toujours considérée comme une menace extérieure : la pêche INN est le fait de ‘pêcheurs pirates’, qui volent le poisson et l’argent de ‘bons’ pays où une majorité de pêcheurs innocents sont respectueux de la loi.

(Papa, je suis envisage une carrière dans le crime organisé....Gouvernement ou du secteur privé)

(Papa, je suis envisage une carrière dans le crime organisé....Gouvernement ou du secteur privé)

Mais de nombreux criminologues travaillant sur la criminalité des entreprises soutiennent que ce type d’approche est très trompeuse et conduit à des réponses inappropriées – une bien meilleure compréhension du problème, et des solutions à apporter, vient, premièrement, en se rendant compte que la nature de ces infractions signifie qu’il y a souvent complicité entre les États et les entreprises, et deuxièmement que, dans de nombreux secteurs, ces comportements déviants et criminels adoptés par ceux qui ont le pouvoir, peuvent devenir la norme– ces secteur sont décrits comme criminogènes.

Alors, que pouvons-nous apprendre de la criminologie pour le secteur de la pêche, et quelles en seraient les implications pour la lutte contre la pêche INN? 

Lutte contre la pêche INN: le scénario du "crime organisé"...

Depuis le début des années 2000, la pêche illicite, non déclarée et non réglementée est devenue, soudainement, le problème le plus important dans la gestion des pêches. En Afrique, la pêche INN est considérée comme un des plus grands défis pour une pêche durable, pour la sécurité alimentaire et le bien-être des communautés côtières. Cette croyance a été encouragée par une importante étude qui estime qu’en Afrique, la pêche INN coûte 1 milliard de USD par an, soit "un poisson sur quatre est volé sur le continent". Le problème avec ces chiffres, c'est qu'ils sont fondés sur des méthodes de recherche douteuses. Ces chiffres proviennent de 7 études de cas de pays où "des experts locaux" ont deviné le nombre de bateaux de pêche sans licences, ou la fréquence avec laquelle un bateau avec licence enfreint les règles. Pour le reste du continent, les auteurs de ce rapport ont extrapolé les données en se fondant sur le fait (pourquoi ?) que le taux de pêche INN est en corrélation avec les scores du pays en matière de gouvernance. La somme d'1 milliard de dollars, comme le criminologue Peter Reuter le décrit pour d’autres statistiques douteuses sur les trafics illégaux, n’est rien d'autre qu’une "convention rhétorique" – un chiffre écrit sur un coin de table, choisi pour sensibiliser la communauté internationale. En effet, si la réflexion se veut sérieuse, il serait impossible d’arriver à un seul chiffre concernant les coûts de la pêche INN étant donné qu’on parle de types d’activités très diverses, avec des coûts et avantages variés (comment par exemple, calculer la valeur des rejets en mer si ces rejets n’ont pas de valeur marchande ? Comment calculer le coût de poisson volé sur l’ensemble du continent africain, alors qu’il y a des cas où ce poisson est ensuite débarqué et transformé dans un autre pays africain ?)

Au cours des dernières années, et selon ces statistiques défectueuses qui sont répétées sans cesse, la lutte contre la pêche INN a mené à plusieurs initiatives internationales – le règlement de l'UE pour lutter contre pêche INN, qui, entre autres, vise à interdire l'importation dans l'UE de poisson obtenus par le biais de la pêche INN; la FAO a développé les mesures de l’Etat du port contre la pêche INN, et en Afrique, nous avons vu le lancement d'une initiative de collaboration entre les gouvernements et les ONG appelée ' Fish-I’. Cette dernière tentative vise à développer la coopération entre les États dans la collecte de renseignements. Fish- I est également soutenu par une campagne mondiale de PEW Charitable Trust qui, en 2013, a aussi lancé un grand effort pour mettre fin à ce qu'il appelle "The big Ocean heist" (le grand vol de l’Océan). Dirigé par le gouvernement norvégien, un autre développement important s'est produit : l'ONUDC et maintenant Interpol, décrivent la pêche INN comme "criminalité transnationale organisée" et Interpol a lancé son nouveau projet international, avec un nouveau bureau pour l'Afrique basé à Nairobi qui a été lancé ce mois-ci. La lutte contre la pêche INN est devenue analogue à de nombreux autres combats globaux contre la criminalité transnationale organisée, que ce soit le trafic de drogue ou d’êtres humains, le blanchiment d'argent etc.

La décision de penser la pêche INN comme relevant du crime organisé reflète une croyance qu'elle est l’antithèse de la pêche légale et surtout, qu’elle parasite l'économie légale. Océana, par exemple, nous dit dans son rapport "les fruits de la mer volés", que "la majorité des entreprises de pêche capturent et vendent légalement le poisson", mais "il y a un petit groupe de récidivistes qui délibérément et régulièrement bafouent la loi". De nombreux rapports sur la pêche INN évoquent une pêche faite par un certain type de navire: INN est ainsi souvent mal utilisée comme substantif pour désigner un navire, plutôt que pour décrire les activités dans laquelle les navires sont impliqués. Nous pouvons aussi voir cela de la façon dont la pêche INN est décrite comme "la pêche pirate", ou les navires INN sont les "pirates". L'OCDE décrit dans un rapport sur les facteurs économiques et sociaux de la pêche INN, comment "la concurrence avec un pirate pourrait signifier une capture plus petite, un revenu plus faible et le fléchissement de l'emploi dans les collectivités qui vivent du commerce légal."

Cette façon de penser la nature et les causes de la pêche INN a encouragé une approche légaliste, où le but est de (comme décrit par PEW) "poursuivre, dissuader, prévenir et poursuivre en justice". Il s'agit ici d'agir en renforçant la capacité d’un état à appliquer la loi, avec l'aide de l'industrie respectueuse de la loi, des grandes organisations non gouvernementales environnementales, ainsi que (parfois) des communautés de pêcheurs. La lutte contre la pêche INN est devenue un régime global d'application de la loi, encourageant les enquêtes et les poursuites – avec l'espoir que si suffisamment de méchants peuvent être capturés, on restera juste avec les bons.

La nécessité d’envisager la pêche INN comme criminalité des entreprises, en complicité avec les états

Nous avons besoin de repenser la pêche INN vers ce que les criminologues appellent ‘la criminalité des entreprises’, en complicité avec les Etats. Dans la plupart des cas, ce sont des entreprises, souvent des multinationales, qui commettent des activités de pêche INN. Ce sont des crimes de puissants, plutôt que des crimes de quelque organisation infernale agissant dans l’ombre.

Comme décrit ici par le programme de recherche sur la criminalité des entreprises avec la complicité des Etats, impliquant plusieurs universités britanniques et américains, le concept se base sur le fait qu'il est rare que les actions illégales des Etats ou des entreprises se produisent sans intervention des uns sur les autres. Les activités controversées des entreprises sont normalement facilitées par les gouvernements. Cela inclut des situations où les gouvernements ne parviennent pas à contrôler les activités commerciales déviantes, soit à cause de la collusion directe, soit parce qu'ils partagent les mêmes objectifs que le secteur privé et ne veulent pas leur créer des difficultés par un règlement agressif.

Il existe de nombreux exemples de ce genre de situation dans la pêche. Les Etats de pêche lointaine sont soit ambivalents lorsqu’il y a des comportements contraires à l'éthique au niveau de leurs entreprises, ou même ils travaillent activement pour servir les intérêts de leurs entreprises, que ce soit par une ingérence directe dans les poursuites engagées à leur encontre, ou par un trafic d'influence y compris par le biais de l'aide octroyée, par exemple. Il y a aussi un problème généralisé de corruption dans le secteur de la pêche, de conflits d'intérêts (des politiciens qui ont une participation dans les entreprises) et du phénomène des "portes tournantes" (fonctionnaires passant dans l'industrie, qu'ils étaient précédemment chargés de réglementer, ou vice versa). La distinction entre l'État et le secteur privé est donc souvent floue, et il s'agit d'une caractéristique importante pour comprendre l'immunité d'application de la loi traditionnelle dont bénéficient ces entreprises.

Beaucoup de ces problèmes ont été démontrés par la saga récente impliquant des entreprises de Russie tentant d'obtenir des licences pour pêcher des petits pélagiques au Sénégal. Dans ce cas, nous avons assisté à quelque chose digne d'un roman de John Le Carré , avec des entreprises multinationales, acquérant des licences très controversées avec l'aide du gouvernement russe et des projets d'aide au développement russe (il y avait également des rumeurs que le deal était lié à un pacte militaire entre les deux pays, comme c'est parfois le cas des accords de pêche d’Afrique de l'ouest avec la Chine). La nécessité d'accéder à l'Afrique de l'Ouest était dictée en partie par le fait que la flotte internationale russe ciblant les petits pélagiques est en crise économique en raison de la hausse des coûts et la diminution des captures au large de l'Amérique du Sud, et aussi parce que la Russie a décidé de pomper de grandes quantités de financement pour aider à sauver son industrie de pêche qui s'est effondrée après la transition de l'Union soviétique.

En même temps, le ministre des pêches nationales au Sénégal a été accusé d'essayer de changer la législation pêche pour pouvoir accueillir ces chalutiers ; des revenus des licences ont disparu, avec certains qui ont spéculé sur le fait qu’ils aient servi à financer la dernière élection présidentielle.

De tels cas montrent que le fait de voir la pêche INN comme une menace externe pour les états nations limite la compréhension du phénomène. Cela met aussi en évidence que le droit criminel peut être un point de départ inadéquat pour comprendre ce qu’est le bon et le mauvais comportement des entreprises. Robert Agnew, écrivant sur ceci dit :

"Si le droit criminel reflète en partie les intérêts et les valeurs des groupes dominants, il s'ensuit que certains comportements nuisibles ne peuvent pas être définis comme des crimes, en particulier les comportements qui servent les intérêts des groupes dominants. Ces actes dommageables commis par les sociétés et les Etats figurent en bonne place ici"

Ainsi, des acteurs puissants, des entreprises, ont les moyens de contester les lois pour s'assurer que certains comportements ne sont pas criminalisés, et ce même si beaucoup d'autres estiment qu'ils devraient être. Au moment des diverses fraudes financières qui se sont passées aux Etats-Unis au milieu des années 2000, le criminologue américain Robert Tillman écrivait que "Enron n'a pas eu à enfreindre les règles, il avait fait les règles".

Étroitement associé à ce phénomène, il y a le concept de ‘la capture de la fonction réglementaire’, qui décrit comment les organismes gouvernementaux chargés de gérer une industrie deviennent si étroitement mêlés aux besoins de l'industrie, qu’ils ne sont plus en mesure de réglementer pour le bien public. Il existe de nombreux exemples et domaines de préoccupation de ce genre dans les pêcheries. Dans une excellente étude de pêche de la crevette au Mozambique, il a été décrit comment de puissantes sociétés étrangères, aidées par les élites politiques via des accords de sociétés mixtes, avaient réussi à s'opposer à une nouvelle loi sur les pêches, qui exigeait que des quotas de pêche soient donnés aux entreprises nationales plus petites. Plus tard, ces mêmes entreprises ont réussi à édulcorer et contourner les lois qui étaient destinés à limiter la surpêche. Cela a entraîné l'effondrement de la pêche.

De même, la capture de la fonction réglementaire est une considération importante au niveau international ou régional. Par exemple, la DG MARE de la Commission européenne, a eu du mal à se départir de l'image qu’elle avait de servir avant tout les intérêts des flottes de pêche européennes dans les pays en développement, plutôt que de promouvoir une pêche durable et le respect des droits des communautés côtières.

Ce qui manque dans la lutte contre la pêche INN est cette réflexion critique sur comment les acteurs puissants influencent l’élaboration des règlements et lois qui définissent ce qui est criminel et ce qui ne l'est pas, et comment assurer un contrôle réglementaire rigoureux.

Ainsi, alors que la pêche ‘non déclarée’ fait partie des problèmes de la pêche INN, peu de choses sont dites sur le fait que l’industrie dans son ensemble est caractérisée par une confidentialité exercée avec l’assentiment de l’Etat. Dans de nombreux pays, l’information sur ce qui est capturé, ce qui est contenu dans les accords de pêche, combien d’argent est payé par les compagnies, etc est confidentielle, sous justification de ‘protection des intérêts privés’. De la même manière, lorsqu’on arrive à la notion de ‘pêche non réglementée’, il y a un manque de réflexion sur ce à quoi devrait ressembler une pêcherie ‘bien réglementée’, et pourquoi cela ne s’est pas développé dans de nombreux endroits : ce n’est pas juste à cause du manque de données scientifiques ou de capacités de gestion restreintes.

La déviance des entreprises comme norme?

De nombreuses publications sur la pêche INN déclarent que les pêcheurs « pirates » sont mauvais car ils épuisent les stocks de pêche, imposent de mauvaises conditions de travail et obtenir un avantage injuste par rapport aux pêcheurs respectueux de la loi. Mais qu’est-ce qui distingue réellement les motivations des pêcheurs « pirates » du reste de l'industrie ? réduire les coûts et maximiser les bénéfices sont des tendances omniprésentes dans l'industrie, tandis que la surpêche est un problème collectif depuis des décennies. Tant les répercussions que les motivations attribuées à la pêche INN reflètent simplement les tendances plus larges existant au sein de l'industrie opérant légalement – une autre raison pourquoi il est si difficile de mesurer le coût de la pêche INN.

Peu parmi les plus grandes entreprises mondiales ont un bilan sans tache par rapport au respect des règlements et à la pêche «responsable », et ce, malgré leur enthousiasme à faire de la "responsabilité social". Pourtant, certains font mieux que d'autres. Le criminologue américain Dwight Smith a soutenu dans les années 1990 que les compagnies s’échelonnent entre les plus saintes et les  plus pécheresses. Il a fait valoir que les étiquettes telles que "crime organisé", qui permettent de distinguer les bons des mauvais, peuvent être arbitraires et trompeuses. La même chose est vraie pour la pêche INN – à quel moment un bateau, ou l'entreprise qui possède ce bateau, devient ‘un pirate’ (ou un navire INN)? Il existe des critères pour cette décision dans les Organisations régionales de pêche, mais le problème est que ces critères sont vagues. Il ne serait pas difficile d’appliquer la définition de INN à beaucoup, si pas une grande majorité de la pêche industrielle en Afrique, en particulier si on utilise au sens le plus large les deux ‘N’ (Non déclarée et Non réglementée’).

Les criminologues travaillant sur la criminalité des entreprises avec la complicité des Etats identifient "les marchés criminogènes", où la fraude, la déviance et les comportements contraires à l'éthique deviennent tout à fait normales. Ces comportements ne sont pas le résultat des voyous (des "pommes pourries"), mais les éléments les plus visibles de problèmes systémiques. Depuis la dernière crise financière, ce point de vue de la normalisation de la criminalité dans le monde de l'entreprise est devenue mieux connue du grand public, et bien décrite dans cet article du New York Times sur la propagation de la corruption dans les entreprises occidentales.

La théorie sur ce qui rend certains secteurs plus « criminogènes » que d'autres reste contestée, bien que une concurrence forte, la pression économique, la prise de risques inconsidérés, couplés avec la capture de la fonction réglementaire et l’affaiblissement des mécanismes de surveillance semblent des facteurs importants. Vu la nature des pêcheries et l'ampleur apparente des problèmes attribués à la pêche INN, la pêche industrielle est un excellent exemple d'un marché criminogène – les comportements contraires à l'éthique y sont plus des caractéristiques de l'industrie plutôt qu'une menace extérieure pour la majorité des entreprises respectueuses des lois. Il faut donc rejeter l'idée que les comportements contraires à l'éthique sont dus à "la pêche pirate" et commencer à penser plus en termes de criminalité d’entreprise dans un marché criminogène.

Alors, quelles sont les implications pour la lutte contre la pêche INN?

Parce que beaucoup de gens et d'organisations réfléchissent sur le problème de la pêche INN comme étant la pêche ‘des pirates’, ils se battent exclusivement pour une mise en application dure de la loi. Cette approche ne fonctionne pas sur les marchés criminogènes. Ce type de réponse, isolément, tend à provoquer quelques affaires très médiatisées, avec des punitions très sévères pour les malchanceux qui se font coincer. Cette approche est aussi vulnérable à la manipulation politique – l’application de la loi devient un outil stratégique à visée géo-politique.

Si nous voulons repenser la pêche comme criminalité d’entreprises et voir le secteur de la pêche industrielle comme potentiellement 'criminogène', tout en ne rejetant pas l’utilisation d’enquêtes et de poursuites, nous pouvons voir que les réponses nécessaires à la lutte contre la pêche INN devraient se fonder également sur les éléments suivants:

·         Tout d'abord, il est important de réfléchir sur le fait que les lois et règlements dans le secteur de la pêche ne sont pas toujours des points de départ fiables pour décider ce qui est bon ou mauvais. Le cadre juridique pour décider qui et ce qui est « INN » doit être constamment revu et amélioré. Il existe un débat animé en criminologie sur les mérites d’une approche basée sur ‘les préjudices subis’ ou basée sur ‘le respect des droits humains’ lorsqu’il s’agit d’évaluer l'impact des comportements des entreprises. Le point est ne pas d'en finir avec le droit pénal, mais il est également vital de contribuer aux débats sur les réformes juridiques nécessaires. Dans cette perspective, nous pouvons également voir que des activités qui sont tout à fait légales ont un impact tout aussi grave sur la sécurité alimentaire, sur moyens de subsistance des populations littorales et sur la biodiversité de l'océan que les activités de pêche INN.

·         Deuxièmement, nous devons apprécier que les crimes d'entreprises reflètent un échec de la démocratie. Ils fleurissent lorsque les intérêts des entreprises et des gouvernements se réalisent sans la participation et le contrôle par la société civile. Les questions de transparence, de responsabilisation et de participation sont un point central de la réforme du secteur, afin de ne pas laisser le débat sur la pêche INN devenir un sujet seulement traité par de puissantes ONG, gouvernements et institutions internationales en charge du ‘maintien de l'ordre’, travaillant confidentiellement. Un bon exemple de ce problème est Fish-I, présentée comme une initiative novatrice entre les gouvernements africains et des ONG environnementales étrangères qui partagent des renseignements confidentiels pour ‘attraper les méchants’, alors que les membres du FISH I ne veulent pas publier des informations de base sur les licences et les accords d'accès dans les États de l'Afrique. Résoudre les problèmes de déviance de comportement des entreprises dans le secteur de la pêche doit se faire par le biais de réformes de la gouvernance démocratique, et tout ce qui nie cela au nom de ‘la lutte contre la criminalité’ doit être traité avec la plus grande prudence.

·         Troisièmement, il y a un défi important pour comprendre les relations complexes existant entre les entreprises et les gouvernements. Plutôt que de voir le problème de la pêche INN comme une menace pour les Etats du monde entier, nous devons être plus critique sur les relations entre les entreprises puissantes qui influencent la réglementation et l'autorité politique. Nous avons très peu de connaissances sur les mécanismes de lobbying dans le secteur, le phénomène de la ‘porte tournante’, les conflits d'intérêts, et les méthodes des pays pour promouvoir les intérêts de leurs entreprises nationales.

·         Quatrièmement, le mouvement de lutte contre la pêche INN tend à encourager les pénalités pour les bateaux de pêche et, occasionnellement, une peine d'emprisonnement pour l'équipage. Mais les propriétaires et les principaux investisseurs dans les sociétés qui possèdent ces navires restent souvent ‘libres comme l’air’. Recadrer le problème comme étant un problème de criminalité des entreprises avec la complicité des Etats met en évidence la nécessité d’avoir une plus large vision de la culpabilité. Nous devons pouvoir mieux cibler les entreprises, leurs actionnaires ou propriétaires réels, ainsi que les états bénéficiaires.

De façon générale, avant de nous laisser emporter par le lancement de drones, de caméras à vision nocturne et de dépenser de grandes quantités d’argent à cet effet, nous avons besoin d’adopter une approche politique et historique pour comprendre les comportements des entreprises de pêche industrielle et des gouvernements, et des impacts de ces comportements sur les communautés et sur l'environnement. Cela conduirait à une compréhension plus raisonnable de la nature de la déviance dans le secteur, et ce qui doit être fait pour y remédier. Des décennies de travail effectué par les criminologues sur la question de la criminalité des entreprises et de la complicité des Etats pourraient être utilement consultés par ceux qui sont intéressés par ce sujet. Les efforts récents pour prendre en considération la pêche INN comme "crime organisé ' doivent être reconsidérés.

Des ONG proches du secteur privé disent que la maximalisation du profit sauve les pêches

Un rapport récent dresse un état des lieux global sur "la transition vers une pêche durable". Il s'agit d'une publication importante, résultat d'une collaboration entre plusieurs organisations environnementales, parmi les plus influents de la planète ; le Fond de Défense de l’environnement (Environmental Defense Fund - EDF), le WWF, Conservation International, The Nature Conservancy et la Wildlife Conservation Society. Les autres contributeurs à ce rapport sont la Banque mondiale et l’Unité ‘durabilité internationale’ du Prince de Galles. Toutes ces organisations font maintenant partie d'une nouvelle initiative appelée 50in10 (qui figure également en tant que co-éditeur du rapport), organisation basée à Washington qui se décrit comme :

"Une initiative de collaboration entre les ONG, les entreprises, les investisseurs publics et privés, les organisations caritatives et les gouvernements. Poussés par leurs mandats et leurs capacités respectives, ces organisations coordonnent leurs activités et pour partager des outils et l'expertise pour accélérer la restauration de la pêche afin que les communautés puissent prospérer". (souligné par nous)

50in10 est un nom choisi parce que le président de la Banque mondiale a exigé en 2012 que dans 10 ans, 50% des pêcheries du monde soient rétablies, ce qui augmente la contribution globale faite par la pêche entre 20 et 30 $ milliards de dollars. Sur son nouveau site internet, rempli de photos de pêcheurs artisans dans les pays en développement, 50in10 décrivent ce nouveau rapport comme étant avant-gardiste - pour la première fois l'ensemble de ces organisations ont mis leurs cerveaux ensemble pour arriver à un nouveau cadre pour accroître les investissements pour une pêche durable.

Mais ce qu'ils disent dans ce rapport n'est ni nouveau ni révolutionnaire. Il représente le dernier né d'une lignée de publications d’un groupe de personnes déterminées à résoudre une série de problèmes liés à la pêche grâce à la privatisation et la maximisation du profit, - ce que la Banque mondiale célèbre comme une approche basée sur les richesses (wealth based approach). Ces ONG proches du secteur privé croient que le capitalisme a le pouvoir de réaliser un scénario à victoire triple – favorable à l’environnement, favorable aux communautés et favorable aux entreprises.

Le nouveau rapport décrit qu’à travers des recherches minutieuses à travers de par la, ils ont découvert trois ingrédients essentiels pour assurer que la pêche produise le maximum de richesse, un concept utilisé de manière confuse, prêtant à penser que cela mène de facto à une pêche durable.

L'un de ces ingrédients est que la pêche ne doit pas entraîner la surpêche. Ceci est décrit comme étant très important pour tout investisseur désireux de s'impliquer dans le secteur - ils doivent comprendre que capturer trop de poissons de la mer ne permet pas de générer des bénéfices.

Le deuxième ingrédient pour maximiser la richesse de la pêche est de s'assurer que les entreprises de pêche ont des droits fonciers garantis, ce qui signifie de donner aux entreprises des droits négociables à long terme pour la possession de poissons et de certaines parties de la mer. Il s'agit d'une recommandation de longue date faite par certains économistes de la pêche et comprend la mise en œuvre des "actions sur les capture" ou des "quotas individuels transférables", élément que le EDF a défendu pendant des années. La logique ici est liée à la fameuse "tragédie des communs" de l'essai par Garrett Hardin (mentionné comme il se doit dans le rapport), utilisé pour expliquer la raison de la surpêche ; en accès libre tous se battent pour leur part sans aucune sécurité à long terme. Une fois que les entreprises ont la propriété à long terme sur leurs ressources, ils deviennent des intendants de la nature et ne veulent pas perdre leur vache à lait ("la sécurité d'occupation lie le comportement actuel de résultats futurs et incite les pêcheurs à investir dans le développement durable à long terme ... l'impact économique immédiat de l’établissement des occupations sûres peut être dramatique" ). C'est le mantra de l'auto régulation des marchés libres au sens large.

Le troisième ingrédient consiste pour les États à veiller à ce que les pêches soient sérieusement suivies et  qu’il existe des mécanismes de mise en œuvre rigoureux. Le paradoxe en l’espèce est évident étant donné que la pêche est censée être auto- régulée si les entreprises ont des occupations sûres - alors pourquoi une telle nécessité d'une réglementation de l'Etat ? La réponse est que le vrai problème repose sur le monde extérieur, y compris les navires et les communautés en situation irrégulière qui n'ont pas d'instructions relatives aux pratiques de pêche responsable. Donc, la réglementation repose plus sur fournir un environnement sûr pour les investissements, et sur la police de la propriété privée des entreprises qui peuvent être faites moins de valeur par des étrangers et les pirates ignorants ("assurer un suivi rigoureux et l'application permettra de réduire considérablement le risque de l'investissement dans la transition, comme il soit réduit ou éradique les activités INN [illicite, non déclarée, non réglementée] existante et décourage toute nouvelle activité de pêche INN").

Ces trois ingrédients pour maximiser la richesse sont décrits comme étant irréfutables sur la base de "la recherche et des preuves". Pourtant, des expériences de quotas transférables ont produit des résultats très différents, et la fable de la surpêche causé par "accès libre" et la tragédie des communs sont trompeurs - il y a peu de pêcheries qui ont déjà été caractérisées par un accès ouvert, tandis qu’il y a d'innombrables exemples qui montrent que les entreprises de pêche ayant des droits d’accès garantis dans certaines parties de la mer, ont pillé cette ressource au mépris des écosystèmes, faisant de grands retours sur investissements au cours du processus. Les sociétés ne deviennent pas de bons intendants de l'environnement par le biais de droits de propriété garantis. Lorsque les QIT ont coïncidé avec les pratiques de pêche améliorées, cela a toujours été de pair avec  une forte réglementation, ce que les entreprises de pêche ont tendance à combattre vigoureusement. Nous attendons que les ONG environnementales se battent en retour contre cela et aborde ce défi majeur de « capture réglementée » dans les pêches - mais pas 50in10, qui préfère plutôt, représenter les ONG comme des partenaires d'affaires stratégiques : "Les ONG ont joué et peuvent continuer à jouer un rôle important en fournissant de l'investissement, de l'éducation et de l'assistance technique que soutenir l'industrie en augmentant leur valeur de marché" (souligné par nous).

Un autre point de discorde avec, c’est le problème bien connu avec les systèmes de quotas transférables - ils ouvrent la voie à la spéculation financière par les investisseurs et la concentration de la richesse. C'est pourquoi ils ne sont pas aimés de tant de petites entreprises et des communautés de pêcheurs. Cela peut être une politique pour maximiser les revenus économiques de la pêche, mais peut conduire à des inégalités et engendrer le classique « le gagnant emporte tous les scénarii ». Le EDF sait tout cela et il a fait l'objet de critiques féroces de la part des pêcheurs aux États-Unis et au Canada où ces expériences avec les investisseurs sympathiques de la pêche ont été encouragés. On espère que les organisations impliquées dans 50in10 vont lire le "Global Ocean Grab" par un autre groupe d'organisations plus intéressés par la justice sociale pour les communautés de pêcheurs plutôt que de remplir les poches des grandes entreprises:

"Aujourd'hui, nous assistons à un processus majeur de clôture des océans et des ressources halieutiques du monde, y compris marines, côtières et les eaux intérieures. L’accaparement de l'Océan se produit principalement par le biais des politiques, des lois et des pratiques qui (re)définissant et (re)allouent l'accès, l'utilisation et le contrôle des ressources de la pêche, en marge des petits pêcheurs et de leurs communautés, et souvent avec peu d'intérêt pour les conséquences défavorables sur l’environnement".

Le rapport avant-gardiste par les plus grandes ONG écologistes du monde sur la façon d'exploiter les investissements privés pour assurer une pêche durable ne tient pas compte de ces contre-arguments émanant de communautés de pêcheurs. Il est également remarquable de ne pas être concerné par les communautés de pêche du tout. La question fondamentale sur la façon dont toute cette richesse supplémentaire qui est proposée sera redistribuée aux travailleurs et aux pêcheurs est exclue de l'équation. Pourquoi ces organisations ne remettent elles pas en question les impacts environnementaux et sociaux d'un modèle économique mondial dépendant de la croissance et de la maximisation des profits ?

 

Le rapport poursuit à partir des trois ingrédients de la maximisation du profit en énumérant les facteurs qui peuvent aider à augmenter la valeur pour les investisseurs dans la pêche (à savoir pourquoi les investisseurs doivent apprendre cela par des ONG vertes est assez bizarre). Il s'agit de réduire "les inefficacités opérationnelles" et assurer "la flexibilité des entreprises", signifiant en réalité une réduction des salaires des travailleurs et de la sécurité du travail ("l'amélioration de l'efficacité opérationnelle de la pêche comprend toute activité qui réduit les coûts de la pêche ou production de fruits de mer à travers la chaîne d'approvisionnement. Accroître l'efficacité et les marges bénéficiaires améliorera le retour sur investissement"). Ensuite, il défend les mérites de certification volontaire pour les produits de la pêche telle que celle fournit par le Marine Stewardship Council (MSC), mais qui n'a toujours pas réfléchit à l'ensemble des débats sur l'éco-étiquetage, y compris sa contribution ambiguë à la pêche durable et aux potentiels impacts négatifs sur la pêche artisanale. Daniel Pauly - l'un des biologistes marins les plus reconnus dans le monde a critiqué le MSC comme une simple façon de "faire des affaires pour la communauté d'affaires".

Le rapport dérive ensuite dans plusieurs pages de conseils sur la façon de construire de nouvelles stratégies d'investissement et pourquoi il est important que les investisseurs tiennent attentivement compte des risques – "une pêche multi-espèces dans un pays en développement avec la complexité juridictionnelle, des règles de droit limitées et un accès limité au marché" est une perspective d'investissement particulièrement risqué. Les investisseurs sont également informés sur les avantages et les inconvénients des investissements de type "mezzanine", "équité d'ancrage" ou "prêts concessionnels" et ainsi de suite. A ce stade, le rapport se révèle être ce qu'il est - pas un rapport révolutionnaire sur la durabilité sociale et écologique de la pêche, mais une proposition par de nombreuses grandes organisations impliquées dans la pêche pour obtenir plus d'investisseurs intéressés pour financer leur travail ("pour encourager les investisseurs vers ce secteur, une série de projets doit être développé"). Une approche fondée sur la richesse, en effet.