Dimension extérieure de la Politique commune de la pêche : Une étude du Parlement européen propose que l'allocation des ressources donne la priorité à la durabilité

Le département politique des politiques structurelles et de cohésion du Parlement européen a présenté une étude pour la commission PECH sur la pêche de l'UE, ses derniers développements et les défis à venir

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Comment BP fore dans l'un des plus grands récifs coralliens d’eau profonde du monde

BP a obtenu l'autorisation de commencer à forer à travers le plus grand récif de corail froid du monde, situé dans la mer au large de la Mauritanie. Et ce, en dépit d'une campagne menée par certains des plus grands biologistes marins du monde, qui décrivent l'étude d'impact environnemental et social de BP comme une imposture.

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La Commission retarde encore l'enquête sur les présumées activités illégales par des navires battant pavillon italien

En février 2019, plusieurs ONG ont déposé une plainte demandant à l'UE d'engager une procédure d'infraction contre l'Italie pour non-respect de ses obligations en matière de surveillance. 

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Nouveau protocole de l'accord de pêche durable entre l'UE et le Sénégal: les organisations de pêche artisanale demandent une stratégie régionale

La CAPE soutient la demande de la CAOPA et APRAPAM pour une approche concertée dans la gestion des stocks partagés comme les petits pélagiques et le merlu

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Lutte de l’UE contre la pêche INN : une transparence accrue est nécessaire

Ce 5 Juin, la Journée Internationale de lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) est célébrée par l’Union européenne. Si l’UE peut se targuer d’avoir une législation ambitieuse en termes de lutte contre la pêche INN, la transparence dans la mise en œuvre de cette législation doit être améliorée.

 Ainsi, lorsque la Commission européenne notifie un pays tiers qu’il pourrait être considéré comme pays non coopérant dans la lutte contre la pêche INN, la Commission fournit à ce pays un plan d’actions qu’elle estime devoir être mises en place pour éviter ‘le carton rouge’, la notification qui entraîne des sanctions importantes, comme un arrêt des importations par l’UE des produits de la pêche de ce pays.

La procédure de notification est stoppée lorsque l’UE estime que le pays tiers à mis en œuvre les mesures nécessaires. Mais sur quelles mesures prises par le pays tiers l’UE se base t’elle pour arrêter la procédure? Difficile à dire vu que ces éléments restent confidentiels. Dès lors, peut-on être sûr que le pays tiers a mis en œuvre toutes les mesures nécessaires pour lutter efficacement contre la pêche INN? Au regard de ce qui s’est passé en Corée du Sud début 2019, rien n’est moins sûr.

 Le cas de la Corée du Sud

 Le 26 novembre 2013, la Commission européenne notifiait à la Corée qu’elle pourrait être considérée comme pays non coopérant dans la lutte contre la pêche INN. Cette décision[1] décrit de manière exhaustive et minutieuse, les manquements de la Corée à l’égard du règlement INN, y compris des opérations de pêche illicites au large des côtes africaines. Un an et demi plus tard, le 29 avril 2015, le Journal Officiel publie une courte notice d’à peine une page où il est dit que la Commission met fin aux démarches en question car « La République de Corée a pris les mesures nécessaires pour faire cesser les activités de pêche INN en question et prévenir toute activité de ce type, rectifiant tout acte ou omission ayant conduit à la notification de la possibilité d’être recensée en tant que pays non coopérant dans la lutte contre la pêche INN » (JO C 142). La Corée était dorénavant lavée des soupçons de favoriser la pêche INN.

Mais, en février 2019, un groupe d’ONG annonçait que le gouvernement coréen avait failli à ses obligations en matière de lutte contre la pêche INN: “Le gouvernement coréen n’a pas sanctionné deux bateaux qui avaient pêché illégalement dans les eaux de l’Antarctique. Les autorités coréennes ont permis au propriétaire de vendre le poisson capturé illégalement, de haute valeur, sur le marché mondial”[2].

 Est-ce là un signe que la Corée, contrairement à ce qui a été annoncé par l’UE en 2015, n’avait pas mis en œuvre toutes les mesures nécessaires pour lutter contre la pêche INN ?

Notre demande d’accès aux documents

Pour en avoir le cœur net, le 20 février 2019, CAPE a demandé à la Commission de communiquer le plan d’action qu’elle avait proposé à la Corée de mettre en œuvre pour éviter d’être recensée comme pays tiers non coopérant, ainsi que le rapport établi par la DG Mare sur base duquel la Commission a mis fin aux démarches engagées à l’égard de la Corée.

La DG MARE nous a répondu le 13 mars 2019 que les documents demandés contenaient des informations très sensibles qui sont au cœur des relations bilatérales avec la Corée pour lutter contre la pêche INN et que le succès du dialogue formel avec ce pays dépendait de la confidentialité des échanges que la Commission avait avec lui. Par conséquent, ces documents ne pouvaient pas être communiqués. Quant au rapport établi par la DG MARE et qui, selon nous, avait nécessairement servi de base pour prendre la décision de mettre fin aux démarches, la DG MARE nous a tout simplement répondu qu’il n’existait pas !

Cette réponse de la DG Mare n’était pas acceptable. Pour quelles raisons la publication du plan d’action mettrait-elle en péril les relations bilatérales avec la Corée, sauf à vouloir cacher au public des éléments qui comporteraient des contradictions avec la décision de mettre fin aux démarches vis-à-vis de ce pays? Et comment croire que cette décision aurait été adoptée sans qu’aucun rapport d’évaluation n’ait été établi, démontrant que les manquements avaient été adressés ?

 Dès lors, conformément au règlement n° 1049/2001 relatif à l’accès du public aux documents des institutions de l’UE, CAPE a décidé de confirmer notre demande d’informations auprès du Secrétariat Général de la Commission, le 25 mars 2019. 

 Celui-ci nous a répondu le 8 mai 2019, en nous transmettant les documents suivants, reconnaissant de fait que le rejet catégorique opposé par la DG MARE à notre première demande n’était pas fondé.

 1) la lettre adressée le 26 novembre 2013 à la Corée avec le plan d’action joint à cette lettre

2) trois documents, correspondant, selon le Secrétariat-Général, à notre demande relative au rapport qui a servi de base pour prendre la décision de mettre fin aux démarches :

i) la « Note to file » établie le 10 mars 2015 à l’issue d’une mission réalisée par une équipe de la DG MARE en Corée les 24 et 25 février 2015,

ii) la note du 17 mars 2015 de la DG MARE au commissaire chargé de la pêche

iii) la lettre du 21 avril 2015 adressée par le commissaire chargé de la pêche au ministre des océans et des pêches en Corée

 Que nous apprennent les documents fournis?

 De nombreux passages essentiels des documents envoyés sont masqués. Cela nous empêche de connaître le détail des raisons qui ont abouti, pour la Commission, à stopper la procédure de notification engagée par rapport à la Corée en 2013.

Dans la lettre adressée au Ministre des Océans et des Pêches de Corée, on relève seulement que la Corée a révisé le cadre juridique de l’exercice de la pêche en adoptant une loi sur le développement des pêches lointaines, en actualisant le système de gestion des pêches, en renforçant le respect des obligations relatives aux Etats du port, mais sans décrire les éléments concrets menant à cette appréciation.

 Une chose est claire cependant: la position de la Commission manque de cohérence.

En effet, la lettre du 26 novembre 2013 était explicite: toutes les mesures proposée dans le plan d’action devaient être prises, sans exception[3]. Dans la notice publiée au Journal officiel en 2015, annonçant l’arrêt des démarches, il est d’ailleurs indiqué que la Corée “a pris les mesures nécessaires pour faire cesser les activités de pêche INN et en prévenir de nouvelles, et qu’elle a rectifié tout acte ou omission ayant conduit à la notification de la possibilité d’être recensée comme pays non coopérant dans la lutte contre pêche INN”.

Mais alors, pourquoi, dans la réponse du Secrétariat général de la Commission que nous avons reçue le 9 mai 2019, nous est-il répondu que « l’évaluation dans le cadre de la Réglementation (CE) N°1005/2008 est en cours »[4]?

De deux choses l’une : soit le plan d’action a été correctement mis en œuvre, soit il ne l’a pas été dans sa totalité. Puisque l’évaluation est toujours en cours, cela veut dire que la deuxième hypothèse est la plus probable.

Les démarches visant à notifier la Corée comme partie non coopérante dans la lutte contre la pêche INN auraient donc été arrêtées sans que le plan d’action proposé par la Commission soit mis en œuvre dans l’ensemble de ses éléments, contrairement à ce qui était requis.

 Au-delà de cette constatation, il est très regrettable que la Commission refuse de nous communiquer les éléments qui nous auraient permis d’élaborer notre propre appréciation sur la réelle volonté – ou non – de la Corée de lutter contre la pêche INN.

Cette décision n’est pas fondée en droit. Etant donné que la décision d’entreprendre des démarches a fait l’objet d’une décision motivée publiée au Journal officiel, la décision d’y mettre fin doit, en toute logique juridique, faire de la même manière l’objet d’une décision motivée publiée dans le Journal officiel. La simple notice d’information qui a été publiée ne correspond pas à ce qui est requis.

 La Commission justifie son attitude par le fait que la divulgation des informations contenues dans les passages masqués des documents qui nous ont été remis porterait atteinte à la protection de l’intérêt public en ce qui concerne les relations internationales[5]:

 La position de la Commission est assez étonnante.

En effet, alors que la décision d’engager des démarches, telle que publiée au Journal officiel, contient des appréciations très sévères à l’égard de la Corée, en revanche, la publication d’éléments qui sont censés montrer les progrès faits par ce pays pour mettre en œuvre le plan d’action proposé porterait atteinte aux relations que l’UE a avec lui? Cela est plutôt contradictoire.

En ne divulguant pas ces éléments, la Commission agit en réalité comme si les progrès constatés sont en réalité bien moins significatifs que cela a été annoncé officiellement.

Le cas de la Corée du Sud montre combien il est nécessaire que la Commission européenne publie les plans d’action proposés aux états tiers en passe d’être notifiés comme parties non coopérantes, ainsi que la publication des actions prises par ces Etats tiers, en particulier lorsque cela résulte dans l’arrêt de la procédure.

Ceci est essentiel pour garantir l’efficacité de la réglementation de l’UE pour lutter contre la pêche INN, et, lorsque la procédure de notification concerne des activités illégales de pêche lointaine de pays tiers, pour contribuer à protéger les communautés côtières des pays en développement, qui sont souvent les premières victimes de ces activités illégales.


[1] publiée au Journal officiel de l’UE, JO C 346 du 27 novembre 2013 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32013D1127(02)&from=FR

[2] https://ejfoundation.org/news-media/2019/korean-government-allows-illegally-caught-fish-onto-global-seafood-market-1

[3] « As a consequence, the Commission invites the Republic of Korea : 1. to take all necessary measures to implement the actions contained in the action plan. … »

[4] « … the evaluation under Regulation (EC) No 1005/2008 is fully ongoing. » (page 7)

[5] « The EU main interest is to encourage the Republic of Korea (as well as other third countries) to comply with the relevant international obligations in a smooth and peaceful manner without recourse to more onerous international dispute settlement procedures and without any further interference that might aggravate the dispute.

In this context, an atmosphere of trust and confidentiality is a prerequisite for a successful completion of the dialogue with the country concerned in the perspective of inducing them to comply with their conservation and cooperation obligations. The breach of the trust would jeopardise the relations between the EU and the countries concerned. Disclosure of information included in the internal documents and concerning the assessment of the compliance of third countries with their international obligations would compromise the EU objective of resolving this matter with these countries in a cooperative manner and in a climate of mutual trust and in a long standing perspective.

Disclosure of the information relating to internal national reform processes could also be detrimental to legitimate trade flows between the parties and put at stake the credibility of the Republic of Korea as fish supplier at global level. » (cf. p. 6)

De la croissance bleue aux «biens communs bleues»

Notre nouveau rapport fournit une évaluation critique du programme de croissance bleue et expose les prémices d’une solution de remplacement, fondée sur le concept des «biens communs bleus».

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Négociation des Accords de Pêche UE-Mauritanie et UE-Sénégal: la pêche artisanale plaide pour une approche concertée

Les 23 et 24 janvier 2019, la Confédération Africaine des Organisations de Pêche artisanale (CAOPA) a organisé à M’Bour (Sénégal) un atelier pour une approche concertée des négociations des accords de pêche en 2019 entre l’UE, le Sénégal et la Mauritanie.

L’atelier a réuni près d’une vingtaine de participants : représentant(e)s des organisations nationales de pêche artisanale de Mauritanie, du Sénégal, ainsi que des professionnels, hommes et femmes de Gambie, Guinée-Bissau et Côte d’Ivoire, qui ont partagé leurs expériences des accords de pêche. L’Institut de recherches IMROP était également représenté, ainsi que les partenaires de CAOPA. Après les deux jours de débats, une série de priorités ont été retenues pour les négociations.

 

PRIORITES POUR LES NEGOCIATIONS

Les participants plaident pour que l’UE, la Mauritanie et le Sénégal envisagent les négociations pour le renouvellement des protocoles d’APPD de façon concertée sur les aspects suivants :

1)   Accès aux ressources

1.1.          Accès aux petits pélagiques

Pour ce qui est des protocoles existants, il est très positif que les flottes de chalutiers pélagiques de l’UE n’aient pas accès aux petits pélagiques au Sénégal, et que leur zone de pêche ait été éloignée des côtes dans le cadre du protocole avec la Mauritanie afin d’empêcher leur accès à la sardinelle.

Si les protocoles devaient être renouvelés en 2019, il est important de conserver ces acquis, qui devraient s’appliquer à toutes les flottes d’origine étrangère.

Cependant, notre plus grande préoccupation concernant les petits pélagiques reste le fait qu’un accès aux sardinelles et chinchards soit alloué aux flottes étrangères, notamment celles de l’UE, de la Russie, de la Turquie, de la Chine (Poly Hondone) en l’absence d’un cadre régional de gestion, alors que les stocks de sardinelles et de chinchards sont considérés comme surexploités.

Comment peut-on identifier un surplus, - base pour la signature d'un accord de partenariat de pêche avec l’UE-, en l’absence de cette gestion régionale? Si des étapes décisives ne sont pas mises en place pour une gestion régionale, nous estimons que ces ressources ne devraient pas faire l’objet d’une discussion sur l’accès des flottes européennes dans le cadre d’un futur protocole avec la Mauritanie.

La première de ces étapes, que l’UE doit soutenir dans le cadre des partenariats, c’est l’amélioration de la recherche sur les ressources de petits pélagiques[1], et le développement, avec des moyens financiers et humains adéquats, d’une collaboration ambitieuse entre les instituts de recherche : cette collaboration devrait inclure le dialogue entre chercheurs et professionnels de la pêche, surtout artisanale, pour prendre en considération les connaissances empiriques des professionnels, mais aussi pour améliorer les données sur l’effort de pêche local. De plus, étant donné l’importance sociale, économique, en termes de sécurité alimentaire de l’exploitation de ces ressources, ces autres aspects devraient également être étudiés.

Ensuite, les négociations avec le Sénégal et la Mauritanie sont également l’occasion de soutenir une concertation entre ces pays pour fixer des limites de captures et se partager ces captures.  En effet, même si des propositions en matière de gestion ont été faites par la CSRP, même si tant le Sénégal que la Mauritanie ont ratifié la Convention sur les Conditions Minimales d’Accès de la CSRP, qui appelle à cette gestion concertée des stocks partagés, rien n’existe concrètement aujourd’hui en la matière[2].

Dans ce cadre, la CAOPA se propose de réunir la Commission mixte des professionnels de la pêche artisanale de Mauritanie et du Sénégal, qui a été mise sur pied en 2008 pour accompagner la mise en œuvre de l’accord de pêche Mauritanie-Sénégal, afin que les professionnels plaident auprès de leurs états respectifs pour une gestion concertée de ces ressources partagées. La CAOPA se propose également de mettre en place une commission mixte de professionnels de la pêche artisanale sénégalaise et gambienne dans le même but.

L’explosion du nombre d’usines de farine de poisson en Mauritanie mais aussi au Sénégal continue de favoriser une demande élevée pour les petits pélagiques, en particulier les sardinelles[3]

La question de la légalité des agréments d’exploitation donné à ces usines se pose tant en Mauritanie qu’au Sénégal.

D’après une organisation de pêcheurs locaux (FLPA), en Mauritanie, une usine ne peut avoir d’agrément que pour transformer en farine les déchets de poisson, ce qui est loin d’être le cas actuellement. Au Sénégal, il semble que des usines en activité n’aient pas réalisé les études d’impacts indispensables à l’obtention de leur agrément.

Etant donné que les accords de partenariat de l’UE veulent se fonder sur la promotion de la bonne gouvernance, il est important pour l’UE d’obtenir une clarification sur ce point

1.2.          Accès au merlu

Le stock de merlus noirs est aujourd’hui considéré par le COPACE comme une ressource partagée entre le Maroc, la Mauritanie, le Sénégal et la Gambie. Les chiffres récents de la FAO indiquent une surexploitation: 17.000 tonnes de captures dans toute la sous-région pour un potentiel de 10.900 tonnes.

En Mauritanie, un problème particulier est que les prises accessoires de merlus réalisées par d’autres bateaux de pêche démersale et pélagique atteignent, voire dépassent les captures ciblées de merlu.

Cette espèce faisant partie des ressources couvertes par les protocoles avec le Sénégal et la Mauritanie (et la Gambie et le Maroc), l’UE doit mettre en place, dans le cadre des négociations, une stratégie pour favoriser une exploitation durable de cette ressource.

Au niveau du Sénégal, les pêcheurs locaux s’étonnent de la qualification de cette pêche sous accord (2 chalutiers espagnols) comme étant « expérimentale », alors que plusieurs chalutiers d’origine espagnole (repavillonnés sénégalais) ont été actifs dans cette pêcherie depuis plusieurs années.

D’autre part, ils s’inquiètent de la compétition possible avec la pêcherie saisonnière de merlu à Cayar.

Au vu des données existantes, il semble peu probable qu’il existe un surplus qui peut être attribué aux bateaux européens.

1.3.          Développement d’une pêche artisanale au thon

Bien que les flottilles artisanales mauritaniennes et sénégalaises ne ciblent pas les thons hauturiers, la pêche artisanale capture une quantité limitée de thons, et les organisations du secteur estiment qu’il serait important de voir les possibilités de développer une pêche thonière artisanale dans les années qui viennent.

En Mauritanie, la pêche artisanale a capturé jusqu’à 1600 tonnes de thons mineurs par an ces dernières années, et au Sénégal, il y a aussi des captures occasionnelles de thon (et plusieurs pirogues à Dakar essaient de se spécialiser pour le thon).

L’UE devrait encourager la réflexion au niveau de la région pour le développement d’une pêcherie thonière artisanale, et encourager le dépôt par la Mauritanie et le Sénégal, au niveau de la CICTA, de plans de développement durable d’une telle pêcherie.

 

2)   Appui sectoriel

Le problème principal, c’est le manque de transparence dans les choix pour l’affectation et dans l’utilisation des fonds de l’appui sectoriel. Les rapports annuels des pays pour l’Union européenne ne sont pas rendus publics, et les actions entreprises avec l’argent de l’appui sectoriel ne sont pas identifiées comme telles. Il faut remédier à ces problèmes si les protocoles d’accords de partenariat sont renouvelés en 2019.

Il n’y a pas non plus de consultation des communautés côtières, même lorsque la pêche artisanale est listée comme bénéficiaire de l’appui sectoriel.

Même si les montants de l’appui sectoriels sont modestes (surtout dans le cas d’un accord essentiellement thonier come le Sénégal), ils peuvent néanmoins permettre de soutenir des actions clés pour le développement du secteur, à l’exemple de ce qui va se faire en Côte d’Ivoire (renforcement d’un système de crédit pour les femmes) ou en Mauritanie (appui pour la construction d’un port artisanal).

 

3)   Constitution de sociétés mixtes

Tant le protocole avec le Sénégal que celui avec la Mauritanie encouragent, le cas échéant, la constitution de sociétés mixtes. Les investissements privés européens sont aussi appelés à jouer un rôle important dans le futur partenariat UE-Afrique[4] .

Or, les négociations de partenariat de pêche avec le Sénégal et la Mauritanie sont l’occasion pour l’UE et ses partenaires d’entamer un dialogue public, incluant leurs secteurs de la pêche respectifs, y compris la pêche artisanale, pour définir un cahier des charges/un cadre réglementaire assurant que les sociétés mixtes contribuent au développement d’une pêche durable. Ce cadre devrait être basé sur un ensemble de principes pour s'assurer que les sociétés mixtes opèrent de façon transparente; n’entrent pas en compétition avec la pêche artisanale locale; sont en ligne avec les objectifs de développement durable de la pêche.

Ce cadre réglementaire devrait s'assurer que les sociétés mixtes dans le secteur de la pêche au Sénégal et en Mauritanie: contribuent au progrès économique, social et à la conservation des écosystèmes; respectent les droits fondamentaux des personnes touchées par ces investissements; encouragent la formation et la création d'emplois, en particulier pour les femmes et des jeunes dans le secteur; ne bénéficient pas de dispenses ou d’exemptions concernant le respect des lois en matière de pêche, d'environnement, de santé, de travail, de fiscalité, etc

De plus, tout futur investissement à travers une société mixte devrait se baser sur une évaluation complète des conditions techniques environnementales, économiques et sociales locales; un bilan des sociétés mixtes existantes doit être fait sur ces aspects, car nombre d’entre elles fonctionnent de façon opaque et ne contribuent pas à une filière pêche durable. 

 

4)   Transparence/Information/Participation

La situation reste insatisfaisante dans les deux pays en ce qui concerne la connaissance de l’effort de pêche global. L’inclusion de l’article sur la transparence dans le dernier protocole avec la Mauritanie est un pas positif, qui devrait être généralisé dans les protocoles avec les autres pays. Cependant, il faut reconnaître qu’encore aujourd’hui, le contenu des divers accords signés par la Mauritanie avec des entités étrangères n’est pas encore publié.

Au niveau de l’UE, de nombreux efforts ont été faits en matière de transparence, avec les textes des protocoles, des comités scientifiques conjoints maintenant disponibles. Une amélioration consisterait à publier les compte-rendus des commissions mixtes, ainsi que les rapports annuels des pays partenaires sur la mise en œuvre de l’appui sectoriel.

En termes de participation, des avancées importantes ont été enregistrées, avec, par exemple, la participation des professionnels de la pêche artisanale mauritanienne aux négociations (cela a aussi été le cas en Côte d’Ivoire). Malheureusement, au Sénégal, les professionnels sont encore tenus à l’écart des négociations.

 

Autres commentaires pour l’accord avec la Mauritanie

 

Un des points positifs les plus importants dans le dernier protocole a été la modification du zonage visant principalement à protéger les fonds de moins de 20 mètres des activités de chalutage et à réduire les interactions potentielles entre flottilles de l'Union européenne et flottilles mauritaniennes de pêche artisanale et côtière. Si le protocole devait être renouvelé en 2019, Il est important de conserver cet acquis, et de faire en sorte que les moyens de surveillance soient suffisants pour une mise en oeuvre efficace de ce zonage.

 

En ce qui concerne le poulpe, le document de Stratégie de Développement pour le secteur de la pêche 2015-2019 de la Mauritanie insistait sur le fait que, ‘malgré un redressement observé récemment, l’état des stocks du poulpe est toujours préoccupant avec des niveaux de surexploitation estimés à 17%’. Dans ce contexte, il est positif qu'il n'y ait pas d'accès direct des flottes européennes à cette ressource si importante pour la pêche artisanale locale. Le fait qu’il n’y ait pas d’accès au poulpe a vraiment donné un coup de fouet à la pêche locale, notamment artisanale (même si les difficultés de la SMCP d’écouler le produit pèsent sur les revenus des pêcheurs).

 

L’embarquement des marins devrait être lié avec une obligation de formation de ces marins (formation en techniques de pêche, mais aussi en sécurité à bord, etc)

 

 


[1] Pour ce qui est du CRODT, nous avons été informés que cet institut de recherches n’a pas reçu les fonds qui lui sont attribués dans le budget de l’Etat du Sénégal depuis 2015. Cette situation n’est pas admissible si l’UE considère que le CRODT est le référent sénégalais en matière de recherche halieutique dans le cadre du partenariat pour une pêche durable avec le Sénégal.

[2] Lors de la réunion des OP à Mbour, il a été proposé de relancer la commission mixte FNP/CONIPAS, active entre 2008 et 2011, pour promouvoir ensemble cette gestion concertée au niveau de leurs gouvernements respectifs.

[3] La décision récente du gouvernement mauritanien de limiter la quantité de sardinelle ronde destinée à la farine à 10.000 tonnes par usine/an (qui sera réduite progressivement dans les années à venir) est loin d’être une mesure suffisante. Sur ce point, voir  https://cape-cffa.squarespace.com/new-blog/2018/10/15/round-sardinella-key-for-food-security-in-west-africa-is-further-declining  

[4] Voir Discours sur l’Etat de l’Union 2018 http://europa.eu/rapid/press-release_IP-18-5702_en.htm

La pêche artisanale africaine et des ONG portent plainte auprès de l'UE contre l'Italie qui ferme les yeux sur les activités illégales de ses chalutiers en Afrique de l'Ouest

La Coalition pour des Accords de Pêche Equitables (CAPE), la Confédération Africaine des Organisations Professionnelles de Pêche artisanale (CAOPA), le Partenariat Régional pour la Conservation Côtière et Marine (PRCM), Danish Living Seas et Bloom ont conjointement déposé une plainte auprès de l'UE, demandant à la Commission européenne d'engager une procédure d'infraction à l'encontre de l'Italie. Ils font valoir que les autorités italiennes de la pêche n'ont pas respecté leurs obligations, en vertu de la politique commune de la pêche (PCP), de contrôler et sanctionner les activités illégales de chalutiers italiens dans les eaux du Sierra Leone. Ces navires ont effectué des incursions dans la zone côtière réservée à la pêche artisanale, capturant des espèces qu’ils n’étaient pas autorisés à capturer et transbordant sans autorisation.

Ces navires italiens ont des antécédents d’activités illicites dans la région, documentés par Greenpeace, Océana et CAPE : capture de requins et infraction au règlement sur les nageoires attachées, incursions illégales dans les eaux de pays voisins de l’Afrique de l’Ouest, pêche avec un engin de pêche prohibé en Gambie.

Gaoussou Gueye, président de la CAOPA, déclare: « Lorsqu’elle se rend dans nos pays, l’UE parle toujours de l’importance de la lutte contre la pêche illégale. L’UE soutient que les flottes de pêche européennes pêchent légalement et de manière durable. Néanmoins, certains navires européens pêchent d’une façon qui est loin d'être durable, voire carrément illégale, comme ce que font ces chalutiers italiens depuis des années en Afrique de l'Ouest. Si l'UE veut rester crédible et établir une relation de confiance avec les pays Africains, alors elle ne devrait pas accepter un tel comportement de la part de certains navires de pêche d’un de ses Etats Membres. Ces chalutiers italiens doivent être surveillés et dûment sanctionnés s’ils ne respectent pas les lois de nos pays ou celles de la Politique Commune de la Pêche européenne ».

Ces chalutiers italiens, appartenant à deux sociétés siciliennes, n'ont jamais été soumis à aucun contrôle de la part de l’Italie, leur État du pavillon, et encore moins sanctionnés par cette dernière pour leurs activités illégales. En décembre 2016, une procédure d'infraction a été ouverte par la Commission européenne à l'encontre de l'Italie pour certaines de ces activités illégales en Gambie et en Guinée Bissau mais, à ce jour, - plus de deux ans plus tard -, cette procédure d'infraction est au point mort.

Alors que l'Union européenne défend la pêche durable et prétend mener la lutte contre la pêche INN au niveau mondial, il est inacceptable qu’elle laisse certains navires battant pavillon d’un de ses États membres mener des activités INN dans les eaux de pays africains en toute impunité.

L'UE doit agir maintenant.

Pour plus d'informations, vous pouvez contacter

Secrétariat CAPE

cffa.cape@gmail.com

«La sardinelle ronde, essentielle pour la sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest, continue à décliner»

par Ad Corten, Coordinateur de la coopération entre les Pays-Bas et la Mauritanie dans la recherche sur la pêche.

Des données limitées montrent déjà une nouvelle baisse de l'abondance de la sardinelle

La sardinelle ronde est la plus importante espèce de petits pélagiques pour les flottes nationales au Sénégal et en Mauritanie. Étant donné l’importance du stock pour la création d’emplois et la sécurité alimentaire et les graves menaces qui pèsent sur lui, il est étonnant que les deux principaux pays qui en pratiquent la pêche (la Mauritanie et le Sénégal) aient jusqu’à présent négligé de collecter suffisamment de données scientifiques pour faire l'évaluation des stocks. L'échantillonnage des captures artisanales en Mauritanie a été très faible en 2016 et 2017, malgré les fortes recommandations du groupe de travail de la FAO sur les petits poissons pélagiques en Afrique du Nord-Ouest. Pour le Sénégal, peu d'informations sont disponibles sur le niveau réel d'échantillonnage.

Bien que l'on ne dispose actuellement que de données limitées sur la sardinelle ronde, toutes ces données laissent présager une nouvelle baisse du stock. Les prises de sardinelles rondes en Mauritanie sont passées de 292 000 tonnes en 2016 à 172 000 tonnes en 2017; une baisse de 41%. Mais ces chiffres ont peut-être été affectés dans une certaine mesure par des déclarations erronées. En raison de la nouvelle réglementation concernant la quantité maximale de sardinelles rondes pouvant être utilisées pour la farine de poisson (10 000 t / an / usine), certaines usines de fabrication de farine de poisson ont probablement faussement déclaré une partie des débarquements de sardinelles en bonga. En effet, les captures de bonga déclarées en 2017 ont augmenté d'environ 40 000 t , et il est probable que cette augmentation ait en réalité consisté en sardinelles rondes. Cependant, même si nous tenons compte de ces erreurs de déclaration, les captures de sardinelles rondes en 2017 ont quand même chuté de 80 000 tonnes par rapport à 2016…

Pour le Sénégal, par contre, les captures de sardinelles rondes semblaient être restées stables en 2017 par rapport à 2016, environ 190 000 tonnes. Toutefois, ces chiffres n'incluent pas les captures utilisées pour la farine de poisson. Par conséquent, les débarquements réels de sardinelles rondes au Sénégal en 2017 pourraient avoir été supérieurs à ceux de 2016. Il convient toutefois de noter que, selon les organisations de pêcheurs, les sardinelles rondes étaient très rares dans les eaux au nord de Dakar pendant la saison 2017-2018. Les fortes captures de sardinelles rondes en 2017 ont vraisemblablement été effectuées au sud de Dakar et devaient consister principalement en de jeunes poissons.

En Mauritanie, les captures par unité d'effort de pêche (CPUE) des pirogues et des senneurs côtiers ont considérablement chuté entre 2016 et 2017. La CPUE des chalutiers de type russe en Mauritanie a également accusé une forte baisse en 2017. Une CPUE en baisse est un indice fort que le déclin des captures de sardinelles rondes en 2017 est dû à une baisse de l'abondance du poisson et non à une réduction de l'effort de pêche.

Une étude acoustique réalisée par le bateau de recherche norvégien Dr Fridtjof Nansen en mai-juillet 2017 dans la zone allant du Maroc au Sénégal a produit l'estimation du stock de sardinelles rondes la plus basse du nord-ouest de l'Afrique depuis le début de ces études en 1995. En résumé, on peut conclure que toutes les informations disponibles font état d'une baisse substantielle de l'abondance de sardinelles rondes en 2017.

L'effet de l'industrie de la farine de poisson

Lors d'une réunion avec des représentants des organisations de pêcheurs sénégalais CONIPAS, FENAGIE et APRAPAM en janvier 2018, toutes les organisations ont exprimé leurs inquiétudes par rapport à la diminution des captures de sardinelles rondes, en particulier dans la zone située au nord de Dakar (la «Grande Côte»). Selon ces organisations de pêcheurs, de nombreux pêcheurs ont quitté l'industrie en raison des faibles captures. En fait, les pêcheries en Mauritanie et au Sénégal exploitent différentes composantes du stock de sardinelles rondes. On sait que la pêche sénégalaise au sud de Dakar exploite principalement les poissons les plus jeunes, alors que la pêche en Mauritanie et dans la partie nord du Sénégal dépend des poissons adultes qui effectuent la migration saisonnière du Sénégal vers la Mauritanie et le Maroc. Un épuisement de la composante adulte du stock aura donc un impact plus fort sur les captures en Mauritanie et dans le nord du Sénégal que sur les captures dans le sud du Sénégal.

Les données recueillies en Mauritanie au cours des 19 dernières années indiquent que la mortalité par pêche a augmenté progressivement. Entre 1999 et 2013, cela était dû à l'exploitation de la sardinelle par des chalutiers étrangers en Mauritanie et probablement aussi à une augmentation progressive des efforts de la flotte artisanale sénégalaise. Après 2012, la place des chalutiers étrangers en Mauritanie a été reprise par l'industrie de la farine de poisson. Le développement de cette industrie en Mauritanie a été bien documenté. Plus récemment, une industrie de la farine de poisson s'est également développée au Sénégal et en Gambie. Pour ces pays, peu ou pas d'informations sont disponibles sur les quantités de poisson utilisées pour la farine de poisson, ni sur la composition en espèces de ces captures. Très probablement, la majeure partie des captures utilisées pour la farine de poisson consistent en sardinelle (ronde et plate). Cela a été aussi affirmé par une représentante des femmes transformatrices sénégalaises engagées dans l’industrie du fumage de la sardinelle, qui a expliqué que leur activité était menacée en raison de la concurrence des usines de farine de poisson qui ont acheté toutes les sardinelles.

Alors que l'effort des flottes artisanales des années précédentes était limité par la demande du marché de la consommation humaine, cette restriction n'existe plus pour le moment. Les usines de farine de poisson peuvent absorber de grandes quantités de poisson, ce qui incite les pêcheurs artisanaux à augmenter leur effort de pêche. Les usines de farine de poisson mauritaniennes ont même introduit une toute nouvelle flotte de senneurs turcs efficaces pour leur fournir du poisson. Les pêcheurs sénégalais de Casamance débarquent maintenant des prises dans des usines de fabrication de farine de poisson en Gambie. Parfois, ces débarquements sont si importants que même les usines de farine de poisson ne peuvent pas les absorber. En conséquence, des quantités considérables de sardinelles sont déversées en mer ou à terre.

En conclusion, les données limitées disponibles montrent que le stock de sardinelles rondes du nord-ouest de l’Afrique a encore été réduit ces dernières années par une augmentation de l’effort de pêche. La principale cause de cet effort accru est le développement d’une industrie de la farine de poisson dans la région. Ce développement a accru les possibilités de débouchés pour les flottes artisanales et a même amené une toute nouvelle flotte en Mauritanie pour capturer le poisson destiné aux usines de fabrication de farine de poisson.

Les groupes d’âge plus âgés de la population de sardinelles rondes sont épuisés et la pêche dépend maintenant largement des poissons les plus jeunes. Les flottes qui exploitent la partie adulte de la population, comme celles du nord du Sénégal et de la Mauritanie, sont les plus durement touchées par l’absence de poissons plus âgés. La surexploitation du stock constitue une menace sérieuse pour l'emploi de plusieurs milliers de pêcheurs et de femmes fumeuses de poisson au Sénégal, ainsi que pour la sécurité alimentaire de millions de personnes en Afrique de l'Ouest.

L'évaluation du stock est sérieusement entravée par le manque d'échantillonnage en Mauritanie et par les mauvaises données fournies par le Sénégal au groupe de travail de la FAO. Compte tenu de l'importance sociale et économique de la sardinelle pour la Mauritanie et le Sénégal, il est absolument essentiel d'investir de manière appropriée dans la recherche sur les petits pélagiques, en particulier la sardinelle, dans les deux pays, et dans la coopération entre les pays, afin d'obtenir le meilleur données scientifiques possibles.


Madagascar approuve un accord de pêche de 10 ans avec un consortium chinois

Madagascar approuve un accord de pêche de 10 ans avec un consortium chinois

Début septembre, Hery Rajaonarimampianina, président de Madagascar, a assisté au Sommet de Beijing du Forum sur la coopération Chine-Afrique. Il a été annoncé lors de cette visite que les deux pays avaient finalisé un accord d'investissement de dix ans conclu entre l'Agence malgache pour le Développement économique et la Promotion des Entreprises et le consortium d'entreprises chinois Taihe Century Investments Developments Corporation. C'est un accord qui entre dans le cadre de l'initiative de l'économie bleue de Madagascar.

Les détails publiés de l'accord d'investissement restent limités. Selon des sources malgaches, le président a négocié l'accord sans consultation de l'administration, du parlement ou de la société civile, et les principaux partenaires de développement du pays, notamment la Banque mondiale et l'UE, n'étaient pas non plus au courant. Pourtant, ce que nous savons à ce jour suggère que l'accord d'investissement pourrait être problématique pour le pays, en particulier pour le secteur de la pêche artisanale.

UNE ÉCONOMIE BLEUE DURABLE?

Selon un communiqué de presse, l'accord de 10 ans s'accompagne d'une promesse d'investissement de la société Taihe pouvant atteindre 2,7 milliards USD. On ne sait pas exactement comment cet argent sera utilisé, bien qu'il soit décrit que les fonds iront à la construction d'infrastructures de pêche, au soutien de la gestion de la pêche et à la lutte contre la pêche INN. Une partie de l'investissement ira également à un projet de reboisement du bambou. En contrepartie, le consortium chinois sera autorisé à déployer jusqu'à 330 navires dans les pêcheries côtières. Le communiqué de presse affirme de manière audacieuse que l’accord verra à terme la création de 10 000 nouveaux emplois.

Un représentant d'un secteur de la pêche artisanale souligne que: «l'État est en train de dépouiller les pêcheurs côtiers de leur raison de vivre». Non seulement il est préoccupé par le nombre de bateaux, mais il souligne également que les 3 600 emplois promis à court terme ne représentent que 3% du nombre de pêcheurs artisanaux qui vivent de ces ressources halieutiques et qui éprouvent déjà de grandes difficultés à joindre les deux bouts. “Amener plusieurs centaines de navires entraînerait la disparition des 100 000 petits pêcheurs de l’île et de leurs familles! Cela va créer du chômage, de l’insécurité et un risque accru de conflits entre les communautés. Dépendant du type de bateaux qui viendraient, il faut craindre une dégradation des habitats des poissons, et une surexploitation. En effet, nous ne disposons que d’un ou deux bateaux garde côtes opérationnels”. Il craint également que cet accord ne profite qu’à une poignée de personnes, la corruption mettant en péril l’avenir de communautés de pêcheurs entières.

La signature de cet accord intervient également au moment où le pays se rapproche des élections présidentielles, en novembre. L'accord peut être une tentative de montrer au pays que le président, qui est candidat à sa réélection, apporte des investissements étrangers indispensables. Madagascar reste l'un des pays les plus pauvres du monde.

Pourtant, la nouvelle de l'accord a déjà suscité des protestations parmi les communautés de pêcheurs. On estime à environ 100 000 le nombre de personnes pratiquant la pêche artisanale dans le pays et la plupart des stocks de poissons ont été lourdement exploités pendant des années, notamment des crustacés et des poissons démersaux de haute valeur, également ciblés par des chalutiers semi-industriels et industriels étrangers. En effet, selon un examen des pêcheries menées par Smartfish en 2014, presque toutes les pêcheries commerciales ont été pleinement exploitées ou sont surexploitées. Des conflits entre les pêcheries artisanales locales et les chalutiers appartenant à des étrangers (et les fermes de crevettes) ont été signalés depuis de nombreuses années.

La question de savoir si les entreprises chinoises amèneront le plein quota de nouveaux bateaux reste incertaine, et personne ne sait avec certitude quels types de navires seront impliqués et quelles espèces seront ciblées. Néanmoins, un accord-cadre autorisant 330 navires représente un apport considérable à la capacité de pêche globale dans le secteur de la pêche.

Il est également peu probable que les 2,7 milliards USD se matérialisent intégralement. Des engagements similaires ont été pris lorsque la Mauritanie a consenti un investissement de 100 millions USD de la société d’État chinoise Poly HonDone en 2011. Ce contrat a été négocié par le président sans consultation, et l’accord d’investissement n’a été publié que par une fuite dans la presse. Bien que la société ait apporté son quota complet de 100 navires en Mauritanie, il n’existe pas de preuves que cet accord a créé de nouveaux emplois pour les locaux ou des investissements massifs dans les pêcheries locales. En effet, les informations sur les activités de la société chinoise restent étroitement surveillées par les autorités mauritaniennes, qui ont également accordé des dérogations pour que l'entreprise exporte du poisson sans la surveillance habituelle du gouvernement. C'est un exemple que ceux qui protestent contre le nouvel accord à Madagascar devraient examiner attentivement.

IMPLICATIONS POUR LES PARTENAIRES DE DÉVELOPPEMENT ET L'UE

Pour les partenaires au développement, qui ont fourni à Madagascar des millions au fil des ans pour améliorer la gestion de la pêche, l'annonce doit être profondément préoccupante. Des événements similaires ont eu lieu dans d'autres pays. Outre la Mauritanie, il y a quelques années, le président du Mozambique a conclu un investissement secret d'un milliard de dollars dans le secteur de la pêche au thon, ce qui a conduit ses partenaires au développement à suspendre temporairement l'aide au pays.

Pour l'UE, la situation à Madagascar est extrêmement sensible. L'aide au développement et les accords commerciaux ont été suspendus en 2009 en raison de la destitution inconstitutionnelle du président élu démocratiquement. Les sanctions ont été levées en 2014 et l'UE a par la suite engagé plus de 500 millions d'euros dans ce pays jusqu'en 2020, ainsi que des programmes de développement de la pêche, notamment Smartfish.

Parallèlement, la Commission européenne entame actuellement des négociations en vue du renouvellement de son accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable avec Madagascar. Le protocole d'accord précédent, couvrant la période 2014-2018, valait plus de 6 millions d'euros, dont près de la moitié était destinée à améliorer la gestion des pêches. Cependant, la finalisation d'un nouveau protocole devra être fondée sur la transparence totale du gouvernement malgache sur ses accords de pêche existants avec d'autres pays et entreprises étrangers.

Il est donc primordial que le gouvernement de Madagascar réponde aux appels à publier tous les détails de ce nouvel accord d'investissement, et que le Parlement, la société civile et les partenaires au développement aient la possibilité d'examiner cet accord avant de pouvoir progresser plus loin. Sans cet engagement, l'idée que les dirigeants du pays appuient une «économie bleue» durable doit être considérée comme douteuse.

L'esprit AKWAABA - le rôle des femmes dans les pêcheries artisanales en Côte d'Ivoire

Alexandre Rodriguez, Secrétaire Exécutif du Conseil Consultatif pour les Pêches lointaines de l’UE (CCPL) nous partage ses réflexions suite à sa visite aux femmes transformatrices d’Abidjan.

Abidjan, le 28 août 2018

Cette semaine, j’ai eu l’occasion de me rendre en Côte d’Ivoire sur invitation de l’une de nos organisations partenaires en Afrique, la Conférence ministérielle sur la coopération halieutique entre les états africains riverains de l’Océan Atlantique (ATLAFCO-COMHAFAT). Ces deux jours et demi ont été aussi intenses que productifs, car nous sommes parvenus à un accord sur le plan d’action pour les états africains riverains de l’Atlantique en termes de pêcheries durables pour 2019 et 2020.

J’ai parlé avec M. Gaoussou Gueye,  Président de la Confédération Africaine des Organisations Professionnelles de la Pêche Artisanale (CAOPA), également présent à cette rencontre, de la possibilité de rencontrer notre collègue commune, Micheline Dion,  Coordinatrice des Programmes Femmes de la CAOPA, sur son lieu de travail afin de voir « l’action en direct, sur le terrain ».

J’ai eu une chance immense car le Président de la CAOPA est non seulement un être humain au grand cœur mais aussi un professionnel respecté et très connu pour son travail au sein des communautés halieutiques de l’Afrique Occidentale. Il ne lui a donc pas été très difficile de contacter Micheline et d’arranger une courte visite au port pour me permettre de découvrir le travail des femmes de la coopérative des transformateurs qu’elle dirige.

Nous avons pris un taxi local pour nous rendre à Locodjro Miami, un tranquille quartier périphérique à 12 km de Plateau. Nous sommes arrivés sur un petit quai niché au cœur d’un superbe paysage, les hauts gratte-ciels et les thoniers-senneurs de la pêche industrielle étrangère amarrés dans le port d’Abidjan se découpant à l’horizon, de l’autre côté de la baie.

À notre descente du taxi, nous avons été accueillis par le grand sourire et la chaleureuse bienvenue de Micheline et ses collègues, qui nous ont souhaité la traditionnelle « bonne arrivée ». J’ai immédiatement été envahi par cette subtile sensation de chaleureuse hospitalité qui habite l’esprit Akwaaba, un mot qui vient du Twi, la langue des Ashantis (peuple du voisin Ghana), et a le même sens dans le dialecte ivoirien.

Micheline est l’une des fondatrices et principales artisanes de la création de la Coopérative des transformatrices de Locodjro, qui a vu le jour avec le but d’améliorer les recettes et les conditions de travail de la communauté locale vivant de la transformation du poisson ; en particulier le thon tropical mais aussi d’autres espèces comme la langoustine.

Le président et la coordinatrice  semblaient connaître tout le monde et discutaient joyeusement avec tous les travailleurs que nous croisions, écoutant attentivement chacune de leurs inquiétudes et chacun de leurs espoirs. Grâce à d’ingénieuses questions, ils parvinrent habilement à me faire participer à la conversation. Me sentant ainsi intégré à la communauté, j’ai moi aussi pu commencer à poser mes propres questions à propos des conditions de travail quotidiennes.

L’activité était relativement calme à notre arrivée, car la plupart des pirogues qui pêchent le thon étaient sorties en mer. Elles partent toutes tôt le matin et reviennent au crépuscule. J’ai quand même pu voir la pirogue du président de la FENACOP-CI restée amarrée ce jour-là. À la question de savoir quelle quantité de poisson ils prennent habituellement avec les pirogues, on m’a répondu que cela dépendait des jours mais que cela pouvait aller de 200 kilos à une tonne par jour.

Micheline m’a expliqué que le travail dépend énormément de la disponibilité de matière première, à savoir le thon. Dans l’ensemble, elle estime que la coopérative travaille environ de 2 à 3 mois sur l’année. Côté postes de travail, la Coopérative emploie actuellement 902 pêcheurs, 305 transformatrices, 173 découpeurs et 283 chargeurs, principalement des habitants de la région d’Abidjan. D'après Micheline, « chaque élément de la chaîne de valeur est important et joue un rôle clé du fonctionnement ». Cela comprend aussi plusieurs bénévoles qui ont proposé d’aider à différentes tâches comme le nettoyage des installations ou la comptabilité de base.

Jusque-là, j’avais été très impressionné par ce que je voyais et par la clairvoyance et les explications de Micheline par rapport au fonctionnement de la Coopérative. C’est pourquoi je lui ai demandé de me donner une idée de la chaîne de valeurs pour m’aider à mieux comprendre le cycle économique complet. Elle m’a patiemment expliqué que le travail se découpe en cinq étapes essentielles :

  1. Débarquement : Les prises fraîchement pêchées chaque jour sont débarquées ou transportées sur le PDA, le point de débarquement, au petit embarcadère.

  2. Triage : Les prises sont triées, séparées et étiquetées dans une zone séparée, puis allouées à chacun des pêcheurs, de leurs femmes et de leurs familles pour la vente à la criée. Les femmes sont également présentes à la criée, dans un espace réservé d’où elles supervisent l’ensemble du processus.

  3. Conservation : Le meilleur poisson est placé dans une chambre réfrigérée pour être vendu aux restaurants et marchés locaux. Le reste du thon est conservé dans du sel et de la glace. Ainsi placé dans des containers en bois remplis de glaçons et recouverts de sel, le poisson peut être conservé à l’air libre pendant 2 à 3 jours car une croûte se forme au-dessus.

  4. Découpage : C’est à ce stade que le thon frais est normalement découpé en trois morceaux, séparés dans différents seaux. La tête est tranchée et donnée aux femmes. La queue et le tronc/la longe sont placés dans d’autres cuves.

  5. Transformation : J’ai été impressionné de voir les vieux fourneaux en fer, allumés au charbon pour faire le poisson fumé.


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Plusieurs services auxiliaires sont aussi en cours de développement, comme la salle de soins, les vestiaires, une cantine pour les travailleurs et une salle polyvalente, une garderie et une salle de stockage.

Micheline m’a expliqué que des comptables enregistrent toutes les recettes et les dépenses et s’occupent de la tenue des comptes. Sans oublier la coordination de tous les approvisionnements nécessaires, dont 25 000 sacs de sel que la Coopérative achète à un tarif plus compétitif que les pêcheurs individuels grâce à son pouvoir de négociation concerté.

La réflexion personnelle que je tire de cette visite est que toutes les bases d’une organisation professionnelle sont en place. Mais l'activité se heurte à deux grands obstacles : le manque de ressources financières pour la maintenance des installations et les améliorations requises pour conformité aux normes sanitaires de conservation et vente du poisson ; et l’approvisionnement discontinu qui ne permet d’assurer ni les emplois, ni un revenu économique régulier. Cette initiative constitue un exemple de comment apporter une valeur ajoutée aux activités halieutiques en créant une économie collaborative qui aide à améliorer les conditions de vie et à retenir la population locale grâce à des emplois décents.

Pour résoudre ces difficultés, on peut envisager diverses actions :

  • Embaucher des professeurs et assistants pour la garderie : cela permettrait aux femmes qui viennent avec leurs bébés de mieux travailler sans devoir les porter sur leur dos, et tout en ayant la tranquillité de savoir que leurs enfants sont bien,  dans un cadre sûr. Cette initiative servirait aussi à préparer l’entrée des jeunes enfants en primaire et éviterait l’exposition des plus petits aux fumées et produits chimiques employés dans le fumage du poisson, aux infections et aux maladies découlant de systèmes d’évacuation des déchets de poisson déficients.

  • Bien qu’ayant réussi à signer un accord avec des opérateurs thoniers espagnols privés d’OPAGAC, qui débarquent une partie de leurs captures pour approvisionnement régulier lorsqu’ils accostent ou se ravitaillent au port d’Abidjan, la Coopérative rencontre des difficultés et se heurte à des restrictions du fait de problèmes internes avec les administrations locales et les agents privés du commerce halieutique au port d’Abidjan. Il est urgent de mettre immédiatement en place un système permettant aux autorités ivoiriennes de garantir que l’approvisionnement direct soit mis à disposition de ces femmes gratuitement, sans blocus administratifs ou de facto.

  • Les techniques et les conditions employées pour conserver le poisson sont pour le moins extrêmement précaires, les cuves placées à l’air libre sont très vieilles et ne ferment pas. Le poisson est plongé dans la glace dans ces cuves en bois ou en vieux plastique, ce qui n’est pas bon pour la chaîne du froid. L’emploi de meilleurs fours (FTT) devrait se généraliser.

  • Les hangars ne disposent d’aucun réseau de drainage des eaux ou d’égout pour évaluer les huiles et les eaux usées suite au traitement du poisson dans la zone de transformation. La zone de découpage a dû être installée à l’extérieur du fait du manque d’espace et de maintenance malgré les fonds apportés par le gouvernement marocain. Des investissements adéquats devraient être consacrés à l’amélioration de ces infrastructures.

Toutes les lacunes soulignées pourraient être comblées par la bonne volonté politique et administrative, et par le soutien de bailleurs de fonds. Les ressources adéquates et le soutien continu d’une organisation locale, nationale ou internationale pertinente restent à fournir, usant par exemple des fonds disponibles liés au soutien sectoriel prévus dans les APPD ou projets de développement à la coopération de l’UE ou sponsorisés par des organisations internationales comme la Banque Mondiale ou la Banque Africaine de Développement.


J’aimerais conclure cet article par une citation du Pape François, extraite de son Encyclique de 2015 Laudato Si, qui parle directement des Objectifs de développement durable de l’ONU et s’adresse non seulement aux chrétiens mais aussi à toutes les religions et à tous les peuples du monde : Une « économie éthique doit servir tous les peuples sans exclusion et accorder à toute personne dignité, opportunité et ressources de base ».

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Obligation Bleue...Sauver Vos Poissons Ou Conduire Les Océans à la Faillite?

Pour sauver les océans et réformer les pêches non durables, il nous faut l'aide d''investisseurs privés – et ce à très grande échelle. C'est une idée dont beaucoup d'organisations internationales de conservation et de banques d'investissements ont fait la promotion, dont les choix du Crédit Suisse, qui accueille maintenant une conférence annuelle sur "la finance de conservation" depuis ses bureaux de New York.

Beaucoup de rapports ont été rédigés sur la possibilité pour des marchés de capitaux privés, dans le cadre de leurs affaires, de financer la conservation des océans et la réforme des pêches. Les arguments sont très simples : les gouvernements n'ont pas les ressources nécessaires pour financer la conservation, et les sources traditionnelles de financements additionnels  (par des donateurs ou des philanthropes) sont complètement inadéquates. La conservation et les réformes de la pêche devraient donc être plus ouvertes aux investisseurs privés- qui ont énormément d'argent. Investir dans la conservation et les réformes de la pêche est lucratif- les pêcheries durables accroissent la richesse potentielle des mers, et elles peuvent donc assurer aux investisseurs un bon retour sur investissement.

Il existe de nombreuses propositions pour déterminer comment attirer des millions de dollars pour la conservation des océans venus d'investisseurs privés. L'une d'elles est pour les gouvernements et les grandes entreprises d'émettre des obligations bleues. C'est en réalité une stratégie bien établie – La Banque Mondiale et la Banque Européenne d'Investissement ont commencé à émettre des "obligations vertes" en 2007/2008. 

Celles-ci lèvent des fonds de marchés financiers privés qui sont ensuite redistribués pour des projets et activités écologiques spécifiques. Le marché de l'obligation verte a remarquablement bien fonctionné : l'année dernière, les gouvernements, les banques multilatérales de développement et les grandes entreprises ont levé 130 milliards de dollars US d'obligations vertes- presque deux fois plus qu'en 2016.

Cette année, le concept « d'obligation bleue » est finalement devenu une réalité. Les Seychelles ont annoncé leur intention d'émettre la première obligation bleue au monde, avec l'aide de la Banque Mondiale et celle de la Branche Environnementale Globale des Nations Unies. L'obligation bleue des Seychelles sera probablement assez modeste – 15 à 20 millions de dollars US. Mais l'important c'est que les Seychelles sont utilisées comme une "preuve de la viabilité du concept". L'espoir est que d'autres états côtiers ou constitués de petites îles en voie de développement suivront son exemple. En effet, l'année dernière, les Fidji ont émis la première obligation verte nationale pour un petit état insulaire en voie de développement, et le Nigeria a aussi émis sa première obligation verte. NatureVest, une organisation basée aux Etats Unis mise en place par JP Morgan et The Nature Conservancy, avec pour but de lever des capitaux privés pour la conservation – pense qu'en 10 ans ils auront vendu un milliard de dollars US d'obligations bleues.

Les dangers du marché des obligations bleues?

Lever des fonds sur les marchés internationaux de capitaux pourrait finalement assurer l’aboutissement de la promesse des "trois gagnants" : bon pour l'environnement, bon pour les communautés les plus pauvres, et bon pour les investisseurs. Mais ce modèle est-il reproductible sans risques? Tant d'organisations soutiennent la finance de conservation en général, et spécifiquement le concept d'obligation verte ou bleue. Beaucoup de rapports décrivent combien celles-ci sont vitales si nous devons sauver la planète. Pourtant presque aucun d'entre eux ne considère ce qui pourrait mal tourner. Dans une publication de CAPE sur les obligations bleues, nous indiquions les raisons pour lesquelles le marché des obligations bleues n'est pas attractif pour les petits pêcheurs, et pourquoi les prétentions des obligations bleues sont à mettre en doute. 

Le crédit suisse et la première obligation thon

Le rapport comprend une étude de cas sur le Mozambique. Le Mozambique a levé 850 millions $US pour financer le lancement de son entreprise nationale de pêche thonière, considérés comme les premières "obligations thon" au monde. A première vue, ça n'a rien à voir avec des obligations bleues. Cependant, tout comme une obligation bleue, l'émetteur a prétendu que l'argent serait dépensé pour une pêche durable et que les fonds auraient un impact extrêmement positif sur l'économie nationale. Cette obligation a été financée et arrangée par le Crédit Suisse, en collaboration avec d'autres banques européennes et russes, dont certaines soutiennent aussi la finance de conservation et les obligations vertes. 

En fait, en 2013, - quand le Crédit Suisse finalisait l'arrangement pour les obligations thon du Mozambique, la banque travaillait avec le WWF et d'autres organisations de conservation sur des initiatives comme "50 en 10" et le Partenariat Mondial pour les Océans. C'est une banque qui était – et qui est toujours – au premier plan d'une campagne globale de levée de fonds éthiques pour sauver l'océan. 

Les obligations thon ont bel et bien conduit le Mozambique à la faillite. Elles ont aussi occasionné des millions de dollars de frais au bénéfice du Crédit Suisse et d'autres banques, entreprises de comptabilité et avocats. Les obligations thon ont été émises en secret et ont mené à toute une série de problèmes de corruption de haut niveau et des conflits d'intérêt. Les prévisions sur les obligations – envoyées aux investisseurs mais restées confidentielles, étaient trompeuses et elles ont massivement surévalué le résultat attendu. L'entreprise de pêche au thon mozambicaine et les navires coûteux qu'elle a achetés à la France ne génèrent pas assez de revenus pour rembourser les investisseurs ou payer ses travailleurs. Le Mozambique s'est révélé incapable de rembourser, et il s'efforce maintenant d'obtenir une caution du FMI. Chose étrange, le cas du Mozambique ne semble pas être discuté aux conférences annuelles du Crédit Suisse à New York, quand les réseaux de banquiers et d'organisations de conservation se rassemblent pour planifier la promotion des obligations bleues et d'autres instruments financiers innovateurs.

Le Mozambique est un exemple extrême des risques des "obligations souveraines" - par lesquelles les gouvernements lèvent des fonds sur les marchés internationaux de capitaux. Mais le Mozambique n'est pas le seul exemple. Ces dix dernières années, de plus en plus de gouvernements africains ont décidé de lever du cash sur les marchés obligataires. 

Avant 2006, seule l'Afrique du Sud l'avait fait. Mais rien que l'année dernière, des gouvernements africains ont accumulé 40 milliards $US en dettes obligataires ; ce qui signifie que les obligations sont devenues presque aussi importantes pour les gouvernements africains que l'aide au développement. Les Seychelles, le Ghana, la République Démocratique du Congo et le Mozambique ont été les premiers pays à faire défaut sur ces dettes, mais la préoccupation grandit du fait que d'autres vont suivre. 

Alors pourquoi devrions-nous nous préoccuper d'une croissance du marché des obligations bleues ? Notre rapport soulève les problèmes suivants :

Les pays peuvent facilement lever trop de fonds avec les obligations – ce qui mène à une dette impossible à rembourser.

C'est un risque qui est accru là où les évaluations des retombées économiques potentielles manquent de crédibilité. C'est un aspect qui caractérise la pêche, il existe maintenant de nombreux rapports qui prétendent que la richesse des océans est massivement sous-évaluée, et si les pays en voie de développement pouvaient imposer une meilleure gestion et s'occuper de la pêche illégale (et vendre des crédits carbone bleus) – alors les gouvernements pourraient gagner des millions de dollars de taxes supplémentaires et d'impôts. Le problème, cependant, est que ces projections sur l'énorme richesse potentielle des océans ont souvent été fondées sur des statistiques douteuses, et elles s'appuient sur un fantasme, selon lequel les gouvernements africains peuvent développer facilement leur « économie bleue » pour en faire une vache à lait durable qui financera ensuite leur développement en faveur des pauvres et de l'environnement.

De cette façon, des rapports exagérés et simplistes sur la richesse potentielle des océans pourraient facilement être utilisés dans les projets envoyés aux investisseurs, qui finiraient par croire que le gouvernement est dans une bonne position pour gagner assez d'argent pour payer ses dettes, quand il ne l'est clairement pas. En fait, décider quelle somme d'argent lever en obligations n'est pas toujours fondé sur les retombées économiques probables pour l'émetteur des obligations. Au Mozambique, le Crédit Suisse a originellement levé 500 millions $US pour l'entreprise de pêche au thon. Mais ils ont découvert qu'il y avait une forte demande parmi les investisseurs, alors 350 millions $US d'obligations supplémentaires ont été émis. L'affaire est bien pire que ça, le Crédit Suisse a fini par émettre 2 milliards $US en obligations pour le Mozambique, ce qui incluait la levée de fonds pour deux autres entreprises créées pour assurer la surveillance et le contrôle de la ZEE du pays. Aucune information n'était disponible pour convaincre les investisseurs que 2 milliards $US n'étaient pas un investissement viable , bien qu'étant donné que le gouvernement du Mozambique avait garanti les prêts, les investisseurs n'étaient probablement pas trop inquiets. 

Surévaluer les obligations signifie que le pays pourrait faire défaut sur le remboursement de sa dette, ce qui le conduit à être forcé à restructurer sa dette (comme c'est le cas au Ghana et au Mozambique), ce qui tend à menacer la fourniture de services pour les pauvres. Autrement -  et c'est une possibilité plus probable pour les obligations éthiques – le gouvernement fait confiance à d'autres sources de revenus pour compenser le manque à gagner. En Afrique, la plus grande source de devises étrangères à la disposition des gouvernements est de loin l'exportation de matières premières, comme le pétrole, le gaz et les ressources minières, ou le poisson. Les obligations bleues, comme avec les obligations vertes, pourraient ne pas être une dette très soutenable, du fait qu’il existe une pression pour promouvoir d'autres industries polluantes en compensation.  

Ce risque des obligations pourrait sembler similaire à d'autres formes d'emprunts d'état, comme les prêts à des conditions de faveur des banques de développement. Cependant, les obligations sont bien plus chères pour les pays en voie de développement -  ils ont des paiements de taux d'intérêt bien plus élevés, et aussi des frais bien plus hauts au bénéfice des patrons des banques. Malheureusement, la tendance à encourager les pays en voie de développement à lever plus d'argent sur les marchés de capitaux privés, une politique encouragée par tant d'agences d'aide souvent sous le prétexte « d'associer les finances privées et publiques », pourrait entraîner une réduction des prêts à des conditions de faveur et des aides.

Les obligations sont exposées à la corruption et à la fraude

La facilité avec laquelle les gouvernements peuvent lever trop d'argent par les obligations les rend vulnérables à la corruption. Ceci est aussi facilité par le manque de transparence qui semble être une caractéristique des obligations. Là encore, le Mozambique est peut-être le meilleur exemple, mais il y en a eu d'autres. La Tanzanie a levé 600 millions $US en 2013 en émettant une obligation souveraine. Pourtant, des investigations ont prouvé que la principale banque impliquée, la Standard Bank, a eu des collusions avec les autorités tanzaniennes pour augmenter les frais de banque liés à l'obligation, cet argent a ensuite été utilisé pour payer un pot de vin pour que le contrat lui soit accordé. 

Les obligations nationales ne sont normalement pas utilisées pour financer un projet spécifique, mais sont plutôt des sommes d'argent qui sont distribuées pour une sélection de projets fondée sur des critères d'éligibilité. Beaucoup de discrétion entoure l'usage des fonds. Les conflits d'intérêts et les ristournes sont donc des risques inhérents. En théorie, les obligations éthiques pourraient être émises avec des critères de responsabilité et de transparence plus élevés que les autres types d'obligations. En effet, les critères volontaires sur les obligations vertes mettent l'accent sur l'assurance que la façon dont les obligations ont été utilisées est dûment rapportée. Mais généralement les émetteurs d'obligations sont supposés le rapporter eux même, et il n'y a aucune obligation d'audit extérieur. 

La possibilité que les directeurs de banques et les gouvernements abusent des obligations bleues pour un gain personnel devrait être considérée comme un risque pour le marché émergent des obligations bleues. Le fait que le Crédit Suisse et d'autres banques européennes aient été convaincues de corruption liée aux obligations est une preuve supplémentaire. Pourtant ceci n'est mentionné dans aucun des outils de promotion pour la finance de conservation. Ce qui contraste avec les fonds fournis par les donateurs et les banques multilatérales, car ceux-ci ont tenté d'introduire des procédures et des gardes fous anti-corruption. Les marchés financiers privés sont bien plus relâchés sur cette question. C'est aussi vrai concernant les droits humains. Les donateurs et les banques multilatérales ont généralement des moyens d'exprimer leurs griefs et des mécanismes de protection sociale et environnementale. Ils peuvent ne pas très bien fonctionner dans certains cas, mais il n'existe pas de cadre de cette sorte pour les obligations, qu'elles soient éthiques ou non. 

Aligner la conservation des océans sur la "maximisation du profit". 

Un objectif explicite de la finance de conservation est de s'assurer que les investissements dans la conservation sont profitables. Pour les obligations bleues, les choix pour l'usage de l'argent sont donc susceptibles d'être influencés par la maximisation des profits. C'est inquiétant pour les groupes qui dépendent des océans mais qui ne génèrent pas beaucoup d'argent, comme les pêcheurs de subsistance ou les petits pêcheurs. Généralement les campagnes de promotion de la finance de conservation nous disent que les bénéfices de ces investissements seront bien partagés, et qu'ils auront un impact favorable sur les pauvres. Cela semble peu probable. 

Un problème fondamental posé par le fait de s’appuyer sur des marchés de capitaux privés pour financer la conservation est que la seule mesure de succès est l'argent. Les valeurs non-monétaires ne se traduisent pas bien dans des instruments financiers. La politique qui encourage les gouvernements des pays en voie de développement à lever des fonds sur des marchés de capitaux privés a été fortement critiquée car elle encourage la privatisation de biens publics et promeut les intérêts des multinationales, aux dépens des économies et des entreprises locales.   

Le spectre du "Blue washing"

Une des principales critiques des obligations vertes est qu’elles ne sont pas toujours très vertes. On ne sait pas encore très bien ce qu’est le bleu des obligations bleues mais on devrait s’assurer qu’il inclut la soutenabilité environnementale.

Les gouvernements et les grandes entreprises peuvent appeler leurs obligations comme bon leur semble. Cependant, les normes volontaires et les labels ont été partie intégrante de la croissance du marché des obligations vertes. Les critères sont vagues et encouragent les émetteurs d'obligations à payer une évaluation par des tiers qui démontrerait la «  couleur verte »  de la proposition. La vraie définition de « vert » reste ouverte à interprétation.

Quatre entreprises internationales ont cerné le marché en fournissant ces évaluations. C'est un système faible – les entreprises qui fournissent les évaluations et les labels ont un réel intérêt à fournir des évaluations favorables – comme cela mènera à plus d'affaires et à un meilleur niveau du marché. 

Un des dilemmes clés sur ces évaluations est de favoriser « l'effet de rebond ». Voici un exemple simple : un plan pour réduire la consommation d'énergie des transports permet des économies. Cependant, des transports moins chers signifient que les gens voyagent plus, ce qui signifie que l'impact net de l'investissement n'a pas réussi à réduire la consommation d'énergie et l’émission de carbone.

On pense que ces effets de rebond sur les projets financés par des obligations vertes sont communs, mais il se peut qu'il faille du temps pour les mesurer et les détecter. Les évaluations des obligations vertes par des tiers soulèvent souvent ces problèmes, mais ce n'est pas considéré comme suffisant pour donner à une obligation une évaluation négative. Nous avons donc des obligations vertes considérées comme telles par des tiers pour des compagnies pétrolières. 

Une faiblesse plus profonde du marché des obligations vertes est que l'accent est mis sur l'usage des fonds. Un risque majeur est que des gouvernements émettent des obligations vertes, mais qu'ils continuent à investir dans d'autres industries polluantes et à les promouvoir. Les évaluations des obligations vertes ne considèrent pas "la cohérence de la politique" , ce qui veut dire qu'un pays comme le Nigéria peut émettre une obligation verte tout en continuant à dépendre lourdement de l'exportation d'hydrocarbures. 

Le même problème se manifeste avec les investisseurs et les banques. Des institutions comme le Crédit Suisse ou JP Morgan font la promotion des obligations vertes avec enthousiasme, mais elles ont des investissements bien plus importants dans des obligations sales. La même chose s'est vérifiée pour le Groupe de la Banque Mondiale, qui a fait la promotion du marché des obligations vertes tout en générant plus de fonds pour l'installation de nouvelles centrales à charbon. 

Contrairement à d'autres types de financement, les obligations vertes manquent aussi de discipline. L'argent est fourni d'abord pour des investissements verts, mais il n'existe pas de moyen de rendre l'argent si l'impact de l'investissement s'est révélé décevant, même s'il y avait intérêt à attendre la fin des évaluations du projet, ce qui ne semble pas du tout être une caractéristique des obligations vertes.  

Un dilemme : s'occuper des risques du marché des obligations bleues

Les organisations qui s'inquiètent de ces risques présentés par la finance de conservation et la croissance des obligations bleues sont confrontées à un dilemme. Une approche pragmatique serait de mettre l'accent sur la limitation des risques, y compris en faisant campagne pour des directives volontaires plus fortes, des engagements de la part des banques à être transparentes, et pour que des garde-fous sociaux et environnementaux soient mis en place par les gouvernements et les institutions financières. Les organisations de la société civile pourraient aussi décider d'investir du temps et des ressources dans le contrôle des obligations bleues et pour mettre en place leur propres évaluations indépendantes.  

Mais limiter les risques sera chronophage et pourrait être un échec. En effet, la logique derrière le capital de conservation est douteuse. L'argument principal mis en avant, que les marchés financiers privés vont sauver la planète, n'est pas convaincant. 

Le "fossé du financement" est idéologique. L'incapacité des gouvernements à assurer que les écosystèmes marins soient utilisés de façon durable n'est pas simplement due à un manque de ressources et d'argent ; les principales causes presque partout sont de nature politique. Nous ne devrions pas imaginer que peut-être les gouvernements vont devenir des gardiens responsables des écosystèmes marins en s'assurant simplement qu'ils ont accès à plus d'argent par des instruments générateurs de dette.  En effet, étant donné ce que nous savons sur les marchés de la dette internationale en Afrique, leur faire davantage confiance va très probablement mener à un fossé financier grandissant pour les gouvernements africains. 

Les estimations du fossé financier pour la conservation sont aussi une manipulation. Il existe beaucoup de façons différentes de réussir des changements pour soutenir la pêche et la conservation marine durable, comme donner la priorité aux pêcheries à petite échelle durable plutôt que les autres grandes entreprises de pêche industrielle. Si le financement est un problème, alors d'autres sources de fonds plus durables devraient être encouragées, comme lever des impôts sur les industries polluantes, ou réduire les dépenses gouvernementales dans d'autres secteurs, comme l'armée. 

Mais il n'y a pas de raison de croire que la seule source de financement qui reste pour l'océan vient des marchés capitaux privés. Il y a aussi une bonne raison de croire que suivre ce chemin va fournir des bénéfices disproportionnés pour les secteurs les plus riches de la société. 

Enfin la finance de conservation requiert une foi aveugle dans le conte de fées que notre seule façon de garantir des écosystèmes marins durables est de faire de gros bénéfices dans ce processus, pour toujours. Le mouvement vers un usage durable des écosystèmes marins va aussi nécessiter des choix difficiles pour réduire la croissance et limiter la consommation. Malheureusement, il existe une possibilité distincte que la poussée pour augmenter le financement privé est occasionnée par une coalition d'organisations qui ont tous de gros intérêts ; les investisseurs qui cherchent à montrer leurs références sociales et environnementales, les ONG qui cherchent à accroître leur propre financement, les banques qui facturent des frais lucratifs, et les gouvernements à la recherche d'argent supplémentaire à court terme.

La stratégie de croissance bleue de la Commission Européenne est-elle un modèle pour l’Afrique ?

La croissance bleue est devenue une idée importante pour réformer la gouvernance des océans. La stratégie de croissance bleue de la Commission Européenne a été développée depuis 2011 et est présentée comme une source d'inspiration pour le soutien de l'UE à l'Afrique - pour libérer le vaste potentiel de richesse des mers. Cependant, cette vision reste peu attrayante pour les pêcheurs artisanaux et n'est pas alignée sur les Directives Volontaires pour la pêche durable à petite échelle. Une des principales raisons est que la définition de l'économie bleue utilisée par la CE a perdu son objectif de transformation, étant remplacée par quelque chose qui place la croissance et les profits au premier plan de la prise de décision.

Ce document fournit une évaluation critique de la stratégie de croissance bleue de l'UE. Il fait partie d'un projet conjoint entre CAPE, la Société Suédoise pour la Conservation de la Nature, Pain Pour le Monde et le CAOPA is Confédération Africaine des Organisations Professionnelles de Pêche artisanale qui examine comment les Directives volontaires peuvent être utilisées pour garantir que les politiques de pêche respectent et promeuvent la pêche artisanale durable

Une des principales barrières à la pêche durable : Le rôle des agents consignataires de pêche en Afrique

Les agents consignataires jouent un rôle crucial dans la facilitation des opérations de la pêche industrielle en Afrique. Tous les navires utilisent au moins un, sinon plusieurs agents. Et dans la plupart des pays, un navire de pêche battant pavillon étranger est légalement tenu d'utiliser un agent local. Dans les accords de pêche de l'UE avec les pays africains, l'utilisation d'un agent consignataire local est également obligatoire pour les opérateurs; c’est une clause dans la plupart des protocoles d'accords. Mais des experts du secteur et des opérateurs de pêche estiment que le rôle de nombreux agents consignataires pose problème – c’est une source de corruption considérable et de pratiques commerciales contraires à l'éthique. 

Si la corruption impliquant des agents consignataires et des autorités se limitait à quelques cas isolés, ce ne serait pas un grand problème. Mais il semble qu’en plusieurs endroits, ce type de corruption est considéré comme un mode de fonctionnement normal ; c’est comme ça que fonctionne la pêche. Nous souhaitons généralement que la prise de décision dans le domaine de la pêche repose sur des considérations relatives à la durabilité et au développement social et économique, y compris pour les politiques qui favorisent les pêches artisanales. Mais ce qui est décrit ici, c’est que pendant des décennies dans certains pays, la prise de décision a été motivée par les intérêts personnels de certains fonctionnaires et agents consignataires, dont la principale source de revenus est l’argent versé par des opérateurs étrangers aux agents consignataires, y compris pour des services surfacturés ou inutiles. Pour cette raison, des experts en matière de pêche estiment que les agents consignataires constituent, selon eux, l'une des menaces principales à la gestion responsable des pêches dans de nombreux pays africains.

Qui est et qu’est-ce qu’un agent consignataire

En Afrique de l'Ouest, l'histoire des agents consignataires de pêcheremonte au début des années 1980. Avec l'extension des eaux territoriales et l'intensification de la pêche industrielle, ce fut une année de croissance considérable du nombre de navires opérant dans les eaux africaines. Avant cette période, la pêche industrielle dans les eaux côtières africaines était dominée par des entreprises publiques de l'ex-Union soviétique, et des navires de pays européens opérant dans le cadre d'accords bilatéraux et privés. Ces accords d'accès avaient tendance à être négociés entre les gouvernements et, dans le cas de l'Union soviétique, impliquaient la mise en place de grandes initiatives de sociétés mixtes, et dont la rumeur disait qu’ils faisaient partie d’accords plus larges, de type militaire.

Ces changements intervenus dans les années 1980 sont arrivés alors que l'ajustement structurel provoquait des désastres, et que plusieurs pays côtiers étaient la proie de conflits civils. Des centaines de navires, dont un nombre croissant provenant d'Asie, opéraient donc dans des pays où les administrations ne fonctionnaient guère, à cause d’un manque de législation, de ressources et de lignes de communication. Il semblerait qu'une femme du Ghana ait été la première personne à y voir une opportunité commerciale. Elle était auparavant employée au Ghana en qualité de Secrétaire Permanente du Ministère de l'Agriculture. Après avoir noué des contacts personnels avec des compagnies de pêche asiatiques, elle a offert ses services pour aider ces entreprises à rencontrer les personnes compétentes dans d'autres pays d'Afrique de l'Ouest et est devenue la facilitatrice pour l’obtention de licences de pêche. Elle a poursuivi en créant une agence de consignataires travaillant dans toute la région, avec des bureaux dans plusieurs pays, dont le Libéria et la Guinée. Aujourd'hui, elle est considérée comme une femme d'affaires extrêmement prospère et est peut-être à l’origine de la vocation de nombreux autres agents inspirés par son succès.

Aujourd'hui, les agents consignataires de pêche peuvent fournir plusieurs services allant de la demande de licences, l’organisation des inspections de navires, le recrutement des équipages, l’organisation du ravitaillement, la réception et la transmission des informations du navire aux autorités, et même l'enlèvement des ordures des navires faisant escale au port. Certaines compagnies d'agents fournissent tous ces services aux navires de pêche, et d’autres sont des agents qui fournissent certains de ces services à une gamme de navires, pas seulement des navires de pêche. Mais il semble plus fréquent en Afrique que les opérateurs de pêche utilisent des agents différents pour différents services, et il y a des agents qui se spécialisent dans l'acquisition de licences de pêche. Même dans le cadre d'accords d'accès bilatéraux, les opérateurs individuels paieront un agent local pour préparer la documentation et récupérer la licence qui est à leur nom. Des opérateurs européens déclarent payer environ 1500 Euros par an aux agents pour ce service, bien que certains soient invités à payer beaucoup plus. Il ne fait aucun doute que les frais payés aux agents sont un coût considérable pour l'industrie, et une activité lucrative pour ces agents.

Les agents consignataires sont habituellement des citoyens locaux, bien qu'il existe des exemples d'étrangers qui travaillent également comme agents. Il y a quelques années, le consul espagnol en Guinée-Bissau était le contact commercial des navires de pêche espagnols, facilitant l’acquisition de licences et offrant des services diplomatiques. Dans certains pays, comme les Seychelles, les agents sont certifiés et reçoivent l’agrément officiel d’exercer. Mais il y a plusieurs pays où le statut juridique des agents est difficile à identifier. En effet, dans de nombreux pays, le secteur semble exister d'une manière relativement informelle. On signale que, par exemple, les navires de pêche néerlandais travaillant en Mauritanie utilisent le même agent local depuis des années, bien qu’il n'y ait pas de contrat formel entre eux et que tout soit fait sur base de la confiance. D'autres représentants de l'industrie confirment que le fait de travailler avec des agents sans contrats a été pratique courante, ce qui rend leurs responsabilités plutôt vagues.

Corruption institutionnalisée?

A première vue, il semblerait que les agents fournissent un service utile à la fois à l'industrie de la pêche et aux autorités locales. L'agent prépare la voie aux navires de pêche travaillant dans des pays réputés difficiles. Comme l'a expliqué un représentant de l'industrie de l’Europe : "travailler sans agent dans des pays comme l'Angola ou la Guinée serait impossible". Et pour les autorités locales, il s’agit d’une personne familière qui sert de contact pour les entreprises étrangères qui peuvent rarement venir au port, et qui ne peuvent pas être contactées facilement ou avec lesquelles il est peut-être difficile de discuter. Pour un grand nombre de navires de pêche étrangers, toutes les transactions avec les autorités de pêche locales sont ainsi réglées par leur agent - non seulement pour le payement des licences, mais aussi pour la transmission de leurs données sur les captures et les activités de pêche.

Mais il existe de sérieuses inquiétudes au sujet de cet arrangement. Un aspect concerne des conflits d'intérêts généralisés. De nombreux agents consignataires de pêche prospères sont soit des anciens employés du département des pêches ou des responsables politiques ou militaires. Il n'est pas non plus rare de rencontrer des agents de pêche qui sont des agents en fonction dans l'autorité de pêche ou le gouvernement. Par, un ancien directeur de la Commission du Thon de l'Océan Indien a été obligé de démissionner lorsqu'on a découvert qu'il avait créé une société d'agents de pêche offrant des services aux bateaux de pêche du thon des Seychelles. Lorsque les informations sur une enquête menée par Interpol dans un incident de piraterie impliquant des navires figurant dans son registre de consignataire avaient été rendues publiques, Il avait transféré la propriété de la société de consignation à son épouse dans le but de dissimuler qu’il était en même temps autorité de pêcheet agent consignataire.

Dans de nombreux pays, il est dit qu'il existe un arrangement de longue date selon lequel les frais payés aux agents de pêche par les propriétaires de navires sont partagés avec certains membres des autorités de pêche. Cela ne se fait pas de manière légale ou transparente, mais représente plutôt des pots-de-vin institutionnalisés. En effet, l'argent versé à certains cadres supérieurs du secteur de la pêche par des agents constituerait un revenu supplémentaire stable pour eux. Un expert au fait de la situation du secteur des pêches de l'Afrique de l'Ouest et qui s’est intéressé au travail des agents de pêche depuis des décennies estime que cela peut se comprendre compte tenu des très bas niveaux de salaire versés aux hauts responsables de l’administration de la pêche; le salaire mensuel que perçoit un directeur des pêches dans un des pays d’Afrique de l'Ouest est de plus ou moins 500 US dollars, d'autres pourraient percevoir encore moins.

Des problèmes persistants de détournement de licences de pêche dans certains pays africains ont été relevés. Il a été signalé dans des pays comme Sao Tomé-et-Principe, la Guinée-Bissau, la Tanzanie et le Mozambique, que dans le passé - et peut-être encore aujourd'hui - certains opérateurs paient les coûts de licence et l'argent des amendes directement sur les comptes personnels de certains hauts fonctionnaires. Cependant, il semble plus courant que les agents jouent un rôle d’intermédiaire dans ce type de détournement de fonds de l'État, et obtiennent également leur part.

Au Libéria, le scandale qui a été très médiatisé concernant des navires de pêche de l’UE et d’Asie pêchant avec des licences frauduleuses en 2014 impliquait également un agent consignataire local, qui était, là encore, un parent d'un haut fonctionnaire du gouvernement. Les personnes impliquées prétendent que le problème serait survenu du fait que l'agent n'a pas versé une part des droits de licence au ministre concerné cette année-là, comme il l'aurait fait pendant plusieurs années auparavant. Le ministre a demandé l'argent, et l'agent a demandé aux propriétaires de navires de payer une deuxième fois, ce qu'ils ont refusé de faire. La réponse du ministre fut de déclarer nulles et non avenues les licences, et d’affirmer qu'elles avaient été émises de façon irrégulière, ce qui n’était pas le cas.

Plus récemment, une autre arnaque a été découverte en Tanzanie, où il a été révélé que des agents travaillant avec des hauts fonctionnaires avaient vendu des licences à des navires étrangers, mais détourné les fonds vers des comptes bancaires privés. Une personne connaissant bien le secteur a déclaré que cette pratique avait été courante pendant des années et avait impliqué de très hauts cadres du ministère des Pêches.

Le point de vue de l’industrie

Il est possible que les propriétaires de navires de pêche ignorent totalement que l'argent versé aux agents consignataires est ensuite détourné vers les comptes bancaires privés de fonctionnaires. Mais cela est peu probable. En effet, une source ayant des contacts étroits avec les flottes de pêche thonièresprises dans le scandale des licences au Libéria a déclaré que l'industrie de la pêche avait été prévenue des implications juridiques si cette situation se présentait - ils payaient des millions d'Euros aux agents qu’ils savaient donner des dessous-de-table aux fonctionnaires. Cela les rendait complices de corruption, ce qui les mettrait en violation des lois de leur pays d'origine sur les paiements de pots-de-vin dans un pays étranger.

En raison de ces types de problèmes, depuis quelques années, les propriétaires de bateaux, du moins de l'UE, ont insisté pour que les paiements s’effectuent au trésor central. Cela a sans doute coupé une source lucrative de revenus pour les fonctionnaires corrompus. Pourtant, certains représentants de l'industrie croient que cela a résulté en des moyens plus novateurs de gagner de l'argent de façon illicite dans le secteur. En effet, certains pensent que les sommes obtenues par les agents consignataires pour d'autres services que l’obtention de licence ont augmenté alors que les paiements de droits de licence étaient effectués directement au trésor central.

Un exemple vient encore du Libéria, où la législation nationale exige maintenant que les navires soient soumis à des inspections annuelles pour obtenir l'autorisation de pêcher, à l’exemple de nombreux autres pays qui suivent des conseils dans le cadre de la lutte contre la pêche INN. Il incombe aux opérateurs de navire de payer les frais des inspecteurs. L'inspection moyenne devrait prendre environ une demi-journée. Mais les opérateurs de navires doivent organiser les inspections par l'intermédiaire de leur agent consignataire local, qui semble gonfler les coûts. Selon une source, les agents ont facturé les honoraires des inspecteurs du gouvernement pour quatre jours par inspection et ont déclaré que les propriétaires de bateaux doivent payer un tarif journalier de 300 Euros pour chaque inspecteur, en plus du payement de leurs vols, hébergement à l’hôtel et restauration. Les opérateurs de navires payeraient aux agents jusqu'à 5000 Euros par inspection.

Récemment, des opérateurs de navires espagnols et français se sont rendu compte qu'ils payaient le même agent, avec les mêmes inspecteurs pour les mêmes jours, de sorte que l'agent doublait au moins son revenu sans fournir la totalité du service requis. Il y a aussi un doute considérable sur le fait que les agents versent le montant total aux inspecteurs. Le point important est que les opérateurs n’ont aucun moyen de le vérifier, vu que les autorités ne rendent pas publiques les structures de coûts des inspections.

Une sphère d’influence croissante?

Au-delà des licences et des inspections, il existe également d'autres sources lucratives de revenus pour les agents et les représentants du gouvernement. Une source provient des règlements extrajudiciaires pour les infractions en matière de pêche. En d'autres termes, les propriétaires de navires accusés de crimes peuvent se retrouver à payer de l'argent à leurs agents pour sortir du pétrin. C'est à la fois une situation très vulnérable à l'extorsion contre les propriétaires de navires, et un moyen facile d'éviter les sanctions.

En 2009, par exemple, les autorités de Guinée-Bissau ont arrêté trois navires ; un pétrolier et deux navires de pêche appartenant à l'Espagne, pour ravitaillement sans autorisation. L'affaire concernant le pétrolier, Virginia G, avait duré pendant plusieurs années, et l'équipage retenu en captivité pendant 14 mois. Les propriétaires du pétrolier ont réfuté l’accusation selon laquelle le ravitaillement en carburant a été effectué dans les eaux territoriales de la Guinée-Bissau. L'affaire a été finalement portée devant le Tribunal international du droit de la mer. Les documents justificatifs de l'affaire présentés par les propriétaires de Virginia G montrent que le capitaine du pétrolier a parlé au propriétaire des navires de pêche le lendemain de l'arrestation. Les deux navires de pêche ont quitté le port ce jour après avoir été arrêtés à côté du pétrolier, et le capitaine du pétrolier a voulu savoir pourquoi. La raison était qu'ils avaient payé à leur agent local, le consul espagnol, 100 000 Euros, qui ont ensuite été transférés sur le compte privé d'un haut responsable de la sécurité.

Un agent prospère est souvent quelqu'un qui travaille en étroite collaboration avec les autorités gouvernementales ; il y a des gens qui croient que cela a donné lieu à des flux d'argent illicite entre agents et hauts fonctionnaires. Cependant, les relations entre les agents et les autorités de pêche ne sont pas toujours amicales. En Mauritanie, une affaire impliquant l'agent de la flotte de pêche hollandaise a été évoquée. Tout le monde savait qu’un haut cadre des pêches, chargé des inspections et des pénalités, empochait des sommes importantes d'argent provenant des pénalités. En fait, l'ampleur de ce détournement de fonds (une source pensait que c'était environ 10 millions d'Euros par an) a fait de lui un des hommes d'affaires les plus riches du pays, un proche allié du président et propriétaire de plusieurs entreprises, y compris dans l’industrie de la pêche. L'agent travaillant avec la flotte de pêche néerlandaise a écrit un article de journal révélant l'ampleur de cette corruption. En représailles, deux navires qui utilisaient l'agent ont été arrêtés sur la base d’une fausse charge, et il a été « recommandé » à la flotte de pêche néerlandaise de remplacer son agent par quelqu'un de proche du pouvoir politique. Un avocat local a alors contacté l'industrie de la pêche néerlandaise pour proposer le nom d'un agent de remplacement, qui veillerait également à ce que les chalutiers hollandais puissent contourner les lois nationales sur les restrictions de zones de pêche - un privilège illégal que d'autres navires d'origine non européenne ont apparemment accepté. Les Néerlandais ont refusé et continuent avec leur ancien agent.

Il y a d'autres rôles d'agents de pêche où l'on peut déceler un abus de pouvoir potentiel. Un domaine d'intérêt concerne le rôle des agents de pêche dans le recrutement de citoyens nationaux pour les équipages à bord des navires étrangers. Tous les navires qui doivent embaucher l'équipage local auront tendance à utiliser un agent pour cela, qui peut ne pas être le même utilisé pour obtenir des licences. Mais cette pratique est également préoccupante en ce sens qu’elle permet, en échange de pots-de-vin, de donner des emplois à des personnes qui ne sont pas bien formées. On constate aussi des abus dans les contrats de travail. Le rôle de ces agents dans les conflits du travail mérite une recherche plus approfondie, car ils peuventêtre des acteurs importants dans l'exploitation des équipages.

Les agents sont également utilisés dans certains pays pour collecter et distribuer des prises accessoires, lorsque des navires de pêche sont obligés de les débarquer. Mais il est difficile de trouver des informations relatives aux frais payés pour cela, et à la manière dont les agents exploitent et distribuent le poisson. Encore une fois, c'est un thème qui souligne l'influence croissante des agents, en l’absence d’une réglementation et une transparence adéquates.

La plus grande incidence?

Les histoires rapportées sur le rôle des agents consignataires dans la pêche en Afrique soulèvent de nombreuses craintes. En effet, un grand nombre de navires de pêche étrangers - peut-être la majorité dans plusieurs pays - obtiennent des licences de pêche par le biais d’agents impliqués dans une corruption systémique. L'industrie de la pêche est évidemment préoccupée par l'extorsion dont elle fait l’objet, et sans aucun doute beaucoup s'inquiètent des risques pour leur réputation. Mais le problème le plus important réside au niveau des implications pour une pêche responsable et durable.

Dans une situation similaire signalée en Mauritanie, un représentant de l'industrie de l'UE a déclaré qu'il n'est pas inhabituel d'être contacté par des agents offrant des licences à des conditions intéressantes, mais illégales. Comme noté plus haut, cela peut être de permettre à des bateaux de ne pas suivre la réglementation nationale, comme par exemple de pêcher dans des zones réservées à des embarcations artisanales ou semi industrielles. Au Gabon, par exemple, un agent a affirmé pouvoir offrir des licences qui autorisaient au navire industriel à utiliser en mer des navires de ravitaillement (‘supply’), bien que cela ait été interdit dans le cadre de l'accord de l'UE avec le pays. D'autres navires - pêchant grâce à des accords privés au Gabon – semblent avoir ce genre de licences fournies par l'agent. Parfois, ces offres proposées par les agents peuvent être des escroqueries, comme celle qui offrait récemment aux compagnies françaises de pêche thonière des licences pour les senneurs aux Maldives, alors que les Maldives ont interdit la technique de la senne. Mais il est clair qu'il existe des incitations pour les agents à fournir au secteur industriel des autorisations pour entreprendre une pêche non durable et dommageable, et aussi pour vendre beaucoup plus de licences que ce qui est durable.

Au Libéria, cette année, la décision du Président d’abroger une loi qui interdisait aux navires industriels de pêcher dans la zone de 6 milles marins de la côte était apparemment promue par l'agent des bateaux de pêche asiatiques ; l'agent était également un proche parent d'un haut fonctionnaire. Une modification de la loi rendra les opérations des bateaux, et donc la vente de licences à ces bateaux de pêche, beaucoup plus faciles et, en fait, l’agent avait déjà fait une promesse de faire modifier la loi, ce qui explique pourquoi ces entreprises asiatiques avaient déjà investi dans des installations terrestres pour transformer le poisson. Heureusement, il semble avoir eu une opposition aux souhaits de l'agent et de ses clients en raison de l'indignation généralisée à la proposition de modification de la règlementation de la pêche.

Lorsque les inspections des navires deviennent un moyen pour les agents et leurs relais au pouvoir de gagner des revenus, il est difficile que les inspecteurs fassent un travail honnête. Et là où les hauts fonctionnaires, sont de mèche avec les agents des navires, nous pouvons nous attendre à ce que ces navires bénéficient d’une certaine clémence quand il s'agit de violer les règles. Nous ne devons pas imaginer que tous les agents du secteur de la pêche en Afrique soient véreux, ni que ces problèmes sont spécifiques à l’Afrique, mais il semblerait que les agents consignataires y opèrent dans un environnement trouble et mal réglementé. Alors que certains opérateurs de navires se plaindront d'être volés, il y en aura d'autres à qui cela profitera.

La prétendue corruption entre agents et cadres supérieurs pourrait être une raison pour laquelle des gouvernements s’opposent aux réformes de la pêche, y compris en matière de transparence. Du moins, c'est le point de vue d'un expert expérimenté en matière de pêche travaillant sur certains des plus grands projets de donateurs du secteur des pêches en Afrique de l'Ouest. Selon cette personne, «si vous voulez comprendre pourquoi l'industrie de la pêche est si mal réglementée, et ce qui entraîne des décisions apparemment mauvaises, y compris la vente de trop nombreuses licences, vous devez comprendre le rôle des agents de pêche et le flux d’argent ». En effet, les informations relatives à ce que les pays africains gagnent de la pêche étrangère ne sont habituellement pas dévoilés. D’où  l'argument selon lequel les compagnies de pêche étrangères payent des droits de licence très bas. Ce que l’on cache est le montant réel payé par les navires à leurs agents consignataires, puis le montant qui va dans les poches des fonctionnaires, plutôt qu’au trésor central. Si on tient compte de cette information, la valeur de la pêche étrangère serait bien différente de ce que l’on pense habituellement. Et bien sûr, il y a une farouche opposition à faire quelque chose à ce sujet. Comme l'a déclaré cette source, « nous avons essayé d'organiser des réunions directement avec l'industrie de la pêche à ce sujet, mais le Ministre refuse de nous permettre de rencontrer l'industrie sans que les agents soient invités ».

Que peut-on faire?

Malheureusement, il y a peu de transparence sur les activités de ces agents de pêche et sur la corruption qui y est liée. Une très grande attention internationale est focalisée sur la pêche industrielle illégale en Afrique, considérés comme « pillant les océans », et les États africains sont souvent décrits comme disposant de peu de ressources et n'ayant aucune chance contre de puissantes compagnies étrangères.

Compte tenu de ce qui est allégué sur le rôle des agents consignataires dans le secteur, cet accent mis uniquement sur la lutte contre la pêche INN peut échouer à mener à une pêche durable. Une étude récente menée par l’Université de Colombie britannique a présenté un chiffre très élevé de la valeur de la pêche INN en Afrique de l'Ouest (deux milliards et demi de dollars !) et a exhorté les États africains à faire plus d’efforts pour capturer les navires de pêche illégaux afin de pouvoir gagner plus en termes d’amendes. En réalité, compte tenu du rôle des agents et la corruption systémique dans de nombreux pays, la pêche illégale peut ne pas constituer la plus grande menace pour les pêches durables et, sans réformes politiques, l'application de la loi contre la pêche INN isolément pourra être continuellement sapée par des intérêts personnels.

Face à cette réalité, certains acteurs insistent sur la transparence et le développement de lignes directrices ou de normes éthiques pour les agents consignataires. Une bonne partie de la corruption impliquant des agents pourrait être beaucoup moins facile si les informations sur les navires ayant des licences, les termes de leurs licences et les détails des paiements étaient rendus publics et accessibles. Là où les agents s’occupent d’autres services,  le coût de ces services devrait être publié par les autorités nationales - ce qui rendra beaucoup plus difficile le vol d’une partie de ces taxes par les agents et les fonctionnaires. Un exemple clair est celui des frais pour le traitement des licences. Un autre est la structure des frais pour les inspections des navires, y compris les taux d’indemnités journalières des inspecteurs.

Une autre idée est qu'il devrait avoir aussi un registre public d'agents. Le fait que, dans certains pays, les opérateurs de navires se tournent vers les autorités locales de pêche pour leur recommander des agents, peut faciliter certaines des relations corrompues entre ces autorités de pêche et les agents.

Des discussions plus poussées sur les normes éthiques pour les agents méritent d’être menées. Un simple point de départ serait de concevoir des règles concernant les conflits d'intérêts et les collusions entre consignataires et autorités, ce qui signifie qu’il est interdit aux fonctionnaires et à leurs familles d’occuper des fonctions d'agents. Cela n'empêcherait pas d'autres personnes qui servent en qualité d'agents qui veulent verser des pots-de-vin aux fonctionnaires, ce qui pourrait ne pas être totalement efficace. Mais il est également indéfendable de permettre à l'épouse ou au frère du ministre des pêches de servir en qualité d'agent privé pour les navires de pêche étrangers, et encore moins le directeur du service des pêches qui le fait lui-même.

D'autres idées pour réformer cette situation résident dans les modifications apportées au sein des autorités nationales de pêche. Ceux qui voient les salaires extrêmement bas versés aux fonctionnaires des pêches, ainsi que les bureaucraties lourdes comme cause principale du problème, souhaitent que les autorités de pêche soient privatisées ou transformées en organisations parapubliques (tel est le cas aux Seychelles), ce qui permettra donc de verser des salaires plus compétitifs, d'embaucher et licencier plus facilement le personnel.

Pourtant, un problème plus fondamental est de savoir si certains des services fournis par les agents sont en fait nécessaires ? Les agents sont devenus incontournables en partie à cause des faiblesses des autorités nationales de pêche. Mais cet état de choses semble être maintenu délibérément pour permettre l'abus de pouvoir.

La question de savoir pourquoi les opérateurs de navires doivent payer un agent pour traiter et retirer un permis de pêche n'est pas claire. L'autorité nationale de délivrance des licences devrait être en mesure de fournir un service électronique de délivrance de licence qui supprimerait le besoin d’un agent consignataire pour obtenir une licence . Par exemple, dans le cas des accords de pêche de l'UE, au lieu d’exiger les propriétaires de navires l’utilisation d’un agent local pour les services, y compris les licences, l'UE pourrait insister pour que les autorités compétentes fournissent ce service dans le cadre de l'accord.

On pourrait en dire autant des autres fonctions des agents - est-il nécessaire que des agents s’occupent d’organiser des inspections? Les autorités nationales pourraient-elles organiser cela et communiquer avec les propriétaires de navires eux-mêmes ? Pourquoi les agents sont-ils utilisés pour collecter des données de captures auprès des navires de pêche ? Si l'argument qui sous-tend l'utilisation des agents repose sur l'idée que le fait de travailler avec des gouvernements opaques et bureaucratiques est trop compliqué et prend du temps pour l'industrie, la réponse consiste à améliorer les services gouvernementaux et non à établir un secteur d'activité lucratif pour des intermédiaires bien connectés, mais finalement irresponsables qui semblent enclin à l'extorsion, à la corruption, aux détournements de fonds et aux conflits d'intérêts.

La production de farine de poisson en Afrique de l’Ouest: Enjeux pour les communautés côtières

Dans un contexte ou la production de farine de poisson ne cesse de croître en Afrique de l’Ouest, les partenaires de CAPE organisent une rencontre régionale pour discuter des impacts locaux sur la sécurité alimentaire, l’emploi, la santé, les ressources. Nous soulignons ici les inquiétudes principales, ainsi que quelques questions qui informeront la rencontre. Une marche à suivre vous est proposée pour envoyer vos contributions qui enrichiront les débats. Donnez nous votre avis!

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Les communautés de pêche artisanale du Liberia préoccupées par la décision du Gouvernement en faveur des chalutiers

Le 9 juin, prenant la parole au site de débarquement du poisson de West Point, un canton de Monrovia, capitale du Liberia, Jerry Blamo, Secrétaire Général de l’Association des Pêcheurs Artisans du Liberia (LAFA) a appelé le Gouvernement à revoir son décret No. 84, qui propose de réduire la Zone Exclusive de Pêche (IEZ) du pays de six à trois milles nautiques. Les représentants du secteur de la pêche artisanale des neuf régions côtières du Liberia se sont réunis à West Point pour écouter la déclaration de LAFA. Ils craignent tous que la réduction de la Zone Exclusive Côtière, réservée actuellement au secteur de la pêche artisanale, permette aux chalutiers industriels un plus grand accès aux eaux côtières du Liberia : "Nous sommes préoccupés du genre de bateaux qui viendront pêcher dans les eaux libériennes, en raison des expériences fâcheuses vécues avec les chalutiers asiatiques", souligne Jerry Blamo.  


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Il y a approximativement 33 000 personnes employées dans le secteur de la pêche à petite échelle, composé des sous-secteurs artisanal et semi-industriel. Le sous-secteur de la pêche artisanale emploie actuellement plus de 2000 anciens combattants de la guerre civile libérienne dans toutes les neuf régions côtières et de nombreuses épouses de combattants de guerre décédés sont également employées dans ce secteur.

Le sous-secteur artisanal comprend 3 000 pirogues (allant jusqu’à 7 m de long) utilisant des pagaies ou des voiles, avec jusqu’à trois personnes à bord et exploitées par des libériens. Le sous-secteur semi-industriel est composé d’environ 500 plus grandes pirogues (jusqu’à 15 mètres de long), utilisant un petit moteur de 40cv, employant jusqu’à 15 personnes à bord. Les pêcheurs artisans utilisent principalement des hameçons, de longues lignes, des filets maillants, ciblant des espèces comme les barracudas, les maigres tandis que les canots utilisent des filets à anneau et à senne coulissante pour capturer les petits poissons pélagiques et aussi des requins. 

Depuis 2010, les dispositions de la règlementation relative à la pêche incluent une Zone Exclusive Côtière (IEZ) de six milles marins qui protège les activités de la pêche à petite échelle. Cette zone est réservée seulement à l’usage des "activités de la pêche de subsistance, artisanale et semi-industrielle". 

Cette règlementation de 2010 a été adoptée après de nombreuses rencontres consultatives avec les acteurs, avec le soutien du Programme Régional des Pêches en Afrique de l’Ouest (PRAO) financé par la Banque mondiale. Un document de la Banque mondiale de 2016 décrit comment la zone des 6 miles a conduit à une réduction de la pêche industrielle: 

Au Libéria, l'accès des bateaux industriels à la zone de six milles a été interdit, ce qui permet aux pêcheurs artisans de pêcher en toute sécurité dans cette zone. Depuis 2011, les communautés de pêche artisanales libériennes ont connu un changement positif dans l’abondance et la taille des poissons. Le volume total de poissons capturés a plus que doublés par rapport aux niveaux de 2009, tel qu'indiqué par le programme scientifique communautaire et la collecte de données sur l'évaluation des stocks de poissons du PRAO ... Au cours de la mission de la Banque mondiale de janvier 2016, les communautés de pêche locales (à Robertsport) ont expressément exprimé la nécessité de continuer à soutenir ces efforts qui ont diminué les incidents avec les chalutiers et augmenté leurs revenus tirés de la pêche.

Cependant, ce succès a été terni par les plaintes, presque quotidiennes, des pêcheurs artisans concernant des incursions de chalutiers industriels étrangers qui pêchent illégalement dans la Zone Exclusive Côtière (IEZ) de 6 milles. En 2012, le BNF (Bureau des Pêches Nationales) a géré le cas de 38 navires étrangers accusés de pêcher illégalement dans les eaux libériennes. 31 de ces dossiers ont été clos, après payement d’amendes au gouvernement libérien à hauteur de 6,2 million US$ entre 2011 et 2013. Mais les pêcheurs artisanaux se plaignent encore presque quotidiennement. Début 2017, plusieurs bateaux pêchant illégalement ont encore été arrêtés, battant pavillon nigérian, chinois et ghanéen, appartenant à des chinois, hollandais et espagnols.

Le décret N° 84

Le 22 avril 2017, la Présidente du Libéria Ellen Johnson Sirleaf a pris le décret N° 84 relatif à la gestion des Ressources de pêche du Libéria. Le décret souligne que « les ressources de pêche de la République du Libéria ont été sous-utilisées depuis plus d’une décennie et le Gouvernement du Libéria a l’intention de promouvoir l’investissement dans ce secteur pour garantir le développement durable et l’utilisation de cette ressource naturelle ». Le Gouvernement a insisté sur le fait que ce développement des opérations de pêche aidera la balance de paiement du pays et la situation des opérations de change, étant donné que le pays importe environ 50 000 tonnes de poissons par an. 

La moitié de la population libérienne vit le long de la côte, avec 80% de libériens qui dépendent directement de la pêche pour les protéines animales. Toutefois, les libériens consomment une moyenne modeste de 5kg de poisson par habitant par an, tandis que la moyenne des autres pays côtiers d’Afrique subsaharienne est de 17 kg. 

En vertu du décret, il est accordé à la Liberia Maritime Authority (LMA - Autorité Maritime du Libéria)  "la pleine autorité de contrôle, de surveillance et fiscale du Bureau des Pêcheries Nationales et des ressources de pêche du Libéria en attendant la promulgation de la loi sur les Pêches Nationales".  Le décret a chargé la LMA de s’assurer que des dispositions sont prises y compris la réduction de la Zone Côtière Exclusive (IEZ) de six milles nautiques à trois milles nautiques, « pour s’assurer que la pêche industrielle et semi-industrielle puisse reprendre et redevenir viable ». D’autres mesures sont notamment le fait que les navires de pêche d’un tonnage brut inférieur à 500 tonnes sont exempts de frais portuaires; les conditions d’obtention de permis de pêche et le régime fiscal seront également révisés pour faciliter les activités de pêche industrielle. Le Gouvernement a par ailleurs insisté sur le fait que les navires de pêche devront débarquer leurs captures au Libéria, afin que le marché local reçoive davantage de poisson et réduise ainsi les importations de poisson de la Sierra Leone et d’autres pays. 

En 2017, seulement deux chalutiers de pêche démersale, d’origine coréenne, étaient autorisés à pêcher dans la ZEE du Libéria. Jusqu’à ce qu’il signe un accord de pêche du thon avec l’UE, le Libéria n’avait pas d’accord de pêche bilatéral avec un pays tiers, et n’avait pas d’accord privé avec des sociétés individuelles. Il n’existe aucune société mixte avec des compagnies de pêche étrangères, ni de sociétés libériennes disposant d’accords d’affrètement pour les bateaux de pêche étrangers. Cependant, il existe un intérêt considérable pour les navires industriels étrangers d’opérer dans la zone côtière de 6 milles, où leur accès est actuellement interdit, ce qui explique des niveaux élevés de pêche illégale. Le décret, en leur permettant d'accéder à la zone entre 3 et 6 milles, encouragera de nombreux navires souhaitant faire du chalutage dans la zone côtière à acheter une licence.

Réactions au décret

Ce décret a causé de vives inquiétudes au niveau des communautés de pêche. En réponse, LAFA a envoyé une lettre aux Présidents de la Chambre des représentants et du Sénat pour leur expliquer que ce décret « va créer de sérieuses difficultés aux pêcheurs artisans qui travaillent d’arrache-pied mais sont dans la pauvreté ». Les membres de la Chambre des Représentants ont voté unanimement pour que la lettre soit transmise à la Présidence et qu’ils rencontrent la Présidente, à cause de la gravité de la plainte.

L’Union Européenne a également réagi. Dans une lettre adressée à la Présidente Ellen Johnson Sirleaf, l’UE a exprimé sa préoccupation sur les implications du décret 84. Par l’intermédiaire de son Ambassadeur au Libéria, l’UE dit croire que les mesures introduites ne conduiront pas à des investissements durables. Elle a noté que le décret 84 conduira à un épuisement accéléré des stocks de poisson actuels, ce qui entrainera une réduction des opportunités économiques du secteur et l’accroissement de l’insécurité alimentaire. Dans la lettre, l’UE a fait une référence spécifique au paragraphe 2.b du décret qui parle de la réduction de la Zone Côtière Exclusive (IEZ) de 6 milles à 3 milles, ainsi qu’au paragraphe 2.c qui stipule que les ressources de pêche à capturer ne doivent pas excéder 100 000 tonnes par an. Selon l’UE, les mesures ne semblent pas être basées sur le principe de précaution du code de conduite de la FAO pour une pêche responsable.

L'UE termine en soulignant son dialogue continu avec la Banque mondiale concernant ce décret. En effet, les impacts de mesures comme la réduction de la zone IEZ risquent de nuire au travail accompli par le gouvernement du Libéria avec le soutien de la Banque mondiale.

LAFA, avec le soutien de la CAOPA, - la Confédération Africaine des Organisations Professionnelles de la Pêche Artisanale dont elle est membre-, a également pris l’initiative de rencontrer les décideurs libériens, y compris l’Autorité Maritime du Libéria (LMA) et le Bureau National des Pêches (BNF). Le BNF a confirmé que le gouvernement n’a pas encore mis en œuvre le décret; et que la mise en œuvre débuterait par un an d’essai. Le Commissaire de la LMA a exprimé sa disponibilité à rencontrer la LAFA pour échanger sur les mesures stratégiques à examiner, avant la mise en œuvre, pour éviter les conflits entre chalutiers et pêcheurs artisans, et pour prévenir et empêcher la pêche INN et la surpêche.

Cela est quelque peu rassurant pour LAFA, mais les hommes et les femmes des communautés de pêche artisanale promettent de surveiller de près la situation et de continuer leurs actions envers les décideurs libériens, particulièrement dans le contexte des élections générales d’octobre.

Pour Jerry Blamo, s’adressant à ses collègues à West Point, le décret passe quelque peu à côté de la question, étant donné qu’il ne prend pas en compte le potentiel qu’à le secteur artisan, - que ce soit les petites pirogues ou les plus grandes pirogues semi industrielles- d’apporter plus de poisson aux populations, s’il bénéficie d’un appui adapté:  "L’amélioration des infrastructures de base, comme les équipements sanitaires, de manutention du poisson, les aires de transformation et de stockage des produits transformés artisanalement doivent être une priorité du gouvernement, plutôt que la réduction des droits d’accès des pêcheurs artisans." 


Relations de pêche entre l’UE et le Libéria

Depuis la fin de 2015, l’Union Européenne et la République du Libéria ont un Accord de Partenariat de Pêche Durable (APPD) de 5 ans dans le secteur de la Pêche permettant au bateaux de pêche thoniers de l’UE de pêcher dans la ZEE du Libéria. En retour, l’UE paye au Libéria une compensation annuelle de 650 000 euros, dont 50% sont affectés au soutien de la politique de pêche du Libéria, y compris le renforcement de sa capacité de suivi, contrôle et surveillance de ses pêcheries. 

La pêche INN est une préoccupation majeure dans les relations de pêche entre l’UE et le Libéria: le 23 mai 2017, le Libéria était pré-identifié comme pays tiers ne coopérant pas, selon la réglementation de l’UE, à la lutte contre la pêche illégale, non reportée et non réglementée (INN). La raison donnée par la Commission européenne est que «Le Libéria a le deuxième plus grand registre de transport maritime au monde, qui inclut plus de 100 bateaux de transport de pêche immatriculés sous son pavillon. Les autorités nationales en charge de la pêche n’ont pas l’information ou les moyens de contrôler cette flotte. Ce manque de contrôle a été confirmé par l’inscription d’un de ces bateaux libériens sur la ‘liste noire’ internationale en octobre dernier. Le Libéria a pris des mesures de réforme y compris la révision de ses lois en matière de pêche, mais des progrès tangibles n’ont pas suivi. La Commission espère que la pré-identification va améliorer la sensibilisation politique sur ce sujet et encourager le pays à mettre en œuvre les réformes nécessaires dans la gouvernance des pêches ».

L’Association des Pêcheurs Artisans du Libéria

L’Association des Pêcheurs Artisans du Libéria (LAFA) a été créée en décembre 2009 comme organisation faitière de toutes les associations de pêche représentant les intérêts des communautés de pêche des neuf (9) régions côtières du Libéria avec plus de trente-trois mille (33 000) pêcheurs et un total de cent quatorze (114) communautés de pêche le long de la côte libérienne. Les activités de la LAFA couvrent un éventail de domaines tels que la pêche, la transformation et la conservation, et la commercialisation du poisson.

Pour plus d’informations, vous pouvez contacter LAFA: : liberiaartisanalfishermen@yahoo.com 

 

 

l'Eveil du FiTI...

Le 27 avril 2017, l’Initiative pour la Transparence des Pêches (FiTI) était officiellement lancée à Bali. C’était le résultat de deux années de consultations, dirigées par un groupe consultatif international, composé d’importantes ONG du domaine de la pêche, de gouvernements, de représentants de la pêche industrielle et de la pêche artisanale et d’organisations internationales, notamment la Banque Mondiale et la Banque Africaine de Développement. Le résultat principal du lancement fut le « standard de la FiTI » qui définit comment fonctionne la FiTI et les informations à publier par les pays qui mettent en œuvre l’initiative.

Lors du lancement, au moins quatre pays se sont engagés à mettre en œuvre la FiTI : la Mauritanie, les Seychelles, l’Indonésie et la République de Guinée. Des gouvernements de plusieurs autres pays ont également montré un intérêt. Le Conseil International de la FiTI regroupe des ONG (Greenpeace, Bread for the World, Oceana, WWF, etc.) et des représentants des gouvernements des quatre pays pilotes qui mettent en œuvre l’initiative ainsi que de la Suède. Il a été plus difficile de trouver des représentants de l’industrie pour le Conseil International de la FiTI, et jusque-là, il n’y a qu’un seul engagement du côté industriel, celui de la flotte de pêche russe. Cependant, une chose positive est que la moitié des sièges disponibles pour les représentants de l’industrie sera réservée au secteur de la pêche artisanale, et la CAOPA est d’ores et déjà confirmée comme membre du conseil d’administration de la FiTI, ainsi que le représentant des pêcheurs traditionnels d’Indonésie.

 

Développement du standard de la FiTI

Le fait que la FiTI soit parvenu à décoller montre qu’il existe un large consensus comme quoi le manque de transparence est un problème considérable dans les pêcheries. Cela a été un point clé du plaidoyer de nombreuses ONG travaillant sur les réformes nécessaires dans la pêche, ainsi qu’une question soulevée depuis longtemps par les organisations de pêche artisanale. Bien qu'il y ait un certain désaccord concernant jusqu’où la transparence doit aller, et sur ce qui constitue une information sensible sur le plan commercial, des organisations intergouvernementales, comme la Commission européenne, ainsi que des représentants du secteur de la pêche industrielle commencent aussi à montrer un intérêt pour l’initiative.

Au départ, la FiTI se préoccupait surtout de l’amélioration de la transparence sur la question de savoir qui a le droit de pêcher, ce qui est payé pour ce droit et ce qui est pêché. Toutefois, ceci était considéré très restrictif, et une grande partie du travail du groupe consultatif international était de re-réfléchir sur le type d’informations à prendre en compte par la FiTI et pourquoi. A la suite de ce processus, le standard de la FiTI comprend maintenant 12 éléments de rapport. Ce sont des domaines thématiques sur lesquels il est demandé aux pays de publier les informations. Les 12 conditions sont: 

1. La création d’un registre public des lois, règlementations nationales en matière de pêche et de documents de politique officiels.

2. La publication d’un résumé de lois et de décrets sur les régimes fonciers applicables aux pêches. 

3. La publication de tous les accords d’accès à la pêche étrangère ainsi que les études sur les impacts environnementaux, sociaux et économiques de ces accords. 

4. La publication de rapports nationaux sur la situation des stocks de poissons.

5. La publication d’un registre en ligne à jour des bateau industriels autorisés à pêcher, ainsi que les informations sur leurs paiements et captures enregistrées (agrégées pour chaque état) et les études sur les impacts sociaux, économiques et environnementaux.

6. La publication d’information sur le secteur artisanal, y compris le nombre de pêcheurs, leurs capture et transferts financiers à l’état et   toutes les études sur les impacts sociaux et économiques de ce secteur.

7. La publication d’informations sur le secteur post-capture et le commerce du poisson.

8. La publication d’informations sur les efforts d’application de la loi, y compris une description des efforts de s’y conformer par les pêcheurs et un registre des infractions et protections du secteur.

9. La publication d’informations sur les normes du travail du secteur de la pêche et des efforts faits pour les appliquer.

10. La diffusion d’informations sur les transferts gouvernementaux et les subventions accordées au secteur de la pêche. 

11. La publication d’informations sur l’assistance officielle pour le développement concernant les projets du secteur public relatifs à la pêche et à la conservation marine.

12. Des informations sur le statut du pays concernant la transparence dans la propriété effective.

Au départ, il était envisagé que la mise en œuvre de la FiTI impliquerait la production d’un rapport national détaillé avec toutes les informations et données requises concernant ces 12 éléments. Certains domaines thématiques seraient rapportés chaque année, d’autres tous les deux ans. Vers la fin de la phase conceptuelle de la FiTI, on s’est rendu compte que l’idée de faire produire des rapports substantiels annuellement par les pays n’était pas judicieuse. Cette idée n’était pas seulement considérée coûteuse mais un aspect plus important était qu’elle pourrait saper d’autres efforts de compilation et de publication de données relatives au secteur de la pêche. Maintenant, l’accent est mis sur la publication par les gouvernements des informations directement sur leurs propres sites web, et non par le biais d’un rapport de la FiTI. Le rôle de la FiTI sera principalement de contrôler la validité de cette information publique. L’ambition de la FiTI est donc de voir les autorités publiques améliorer leur approche en matière de fourniture d’informations crédibles, plutôt que de produire de longs rapports techniques indépendants.

Une des premières critiques à l’encontre de la FiTI est qu’elle mettait un fardeau disproportionné sur les pays en développement, parce que beaucoup d’entre eux ont des capacités limitées en matière de collecte et de publication de données. Une préoccupation était que cela rendrait la FiTI irréalisable pour les pays pauvres, y compris ceux ayant de substantielles pêches artisanales. Par conséquent, le standard de la FiTI insiste maintenant sur l’idée d’« amélioration progressive ». Il est attendu des pays la publication, de manière accessible, des informations dont ils disposent. Au cas où ils ne disposent pas des informations requises dans le cadre du standard de la FiTI, ils ont l’obligation de développer des plans, et de donner des délais, pour la collecte et la publication de ces informations. L’incapacité d’obtenir les informations demandées par la FiTI n’empêche donc pas les pays d’obtenir un « statut conforme », tant qu’ils sont honnêtes sur leur manque de données et conviennent d’un plan et d’un délai d’amélioration de la situation.

Comment la FiTI essaie d’améliorer les informations en matière de pêche au niveau national

Il est communément admis que la transparence est un élément nécessaire de la gestion responsable de la pêche, et il existe trois principaux moyens par lesquels les travaux de la FiTI pourraient avoir un impact positif.

Premièrement, la FiTI se bat pour faire connaître des données qui ont été autrement cachées du public. C’est ce à quoi la plupart des gens pensent en termes d’initiative de transparence. Par exemple, dans de nombreux pays, les informations sur les navires de pêche autorisés, les accords d’accès et les captures globales sont considérés confidentiels, ou au moins les autorités n’estiment pas qu’il est nécessaire de rendre ces informations publiques. 

Deuxièmement, la FiTI essaie de vérifier si l’information disponible dans le domaine public est fiable et complète. La FiTI exige une évaluation externe de l’information par un consultant indépendant, ainsi qu’une vérification supplémentaire des résultats par un groupe national multi-acteurs, composé d’OSC, de représentants du secteur de l’industrie et du gouvernement. Ainsi, la FiTI ne vise pas seulement à lever le voile de la confidentialité, mais aussi à fournir une crédibilité renforcée des données détenues par les autorités publiques.

Troisièmement, la FiTI projette de faire connaître les sujets pour lesquels les autorités publiques ne collectent pas les informations et cela nécessite que le groupe national multi-acteurs s’accorde sur la façon dont ce manque d’information sera comblé. Ainsi, la FiTI donne l’occasion aux pays de faire le point des connaissances existantes dans le secteur de la pêche, et développer des plans nationaux d’amélioration de ces connaissances.

Ces trois aspects de la FiTI doivent faire l’objet d’une même considération. Dans certains pays, la plus importante contribution de la FiTI sera de clarifier les domaines où les données déjà publiées contiennent des erreurs, et dans d’autres cas, la contribution consistera à exposer et lutter contre les approches restrictives à la collecte des données à publier. 

Comment les informations de la FiTI soutiennent les efforts de réforme de la gouvernance internationale des pêches

La FiTI a un objectif restreint d’accroitre la disponibilité et la crédibilité des informations sur la pêche. Elle n’essaie pas de s’impliquer dans un autre plaidoyer, comme celui de faire des commentaires sur l’effectivité de la gestion de la pêche ou la durabilité de la pêche. C’est, par essence, un exercice de contrôle des faits. Néanmoins, la FiTI a été développée afin de soutenir plusieurs autres efforts de réforme de gouvernance internationale de la pêche. Ceci inclut par exemple :

  1. En demandant aux autorités nationales de publier les études les plus récentes sur la situation des stocks de poissons, ainsi que les informations sur les captures et les rejets, l’objectif de la FiTI est de contribuer aux débats nationaux sur la pertinence des politiques et pratiques pour atteindre la pêche durable.
  2. La FiTI oblige les pays mettant en œuvre l’initiative à publier les informations sur les accords d’accès à la pêche, notamment la publication de toute étude sur les impacts sociaux, économiques et environnementaux de ces accords. Cette mesure a déjà été prise par l’UE, et est demandée par un nombre croissant d’organisations régionales de gestion des pêches, mais rencontre l’opposition de la plupart des autres principales nations de pêche et des pays côtiers engagés dans les accords d’accès à la pêche. Pour l’UE, la FiTI contribuera à établir des “règles du jeu équitables” alors qu’elle pourrait de manière plus importante conduire à des débats nationaux plus accrus sur les accords de pêche avec d’autres pays étrangers et leurs effets au sens large, notamment sur la pêche artisanale et la sécurité alimentaire.
  3. La FiTI soutient les efforts internationaux de lutte contre la pêche illégale et les niveaux de la pêche légale non viables. Elle exige aux pays de publier des listes détaillées de navires titulaires d’une licence de pêche, ainsi que des informations sur les poursuites et les ressources utilisées pour l’application de la loi. Il est généralement reconnu que le manque de transparence a facilité la fraude et la corruption dans le secteur de la pêche. Cette liste de navires autorisés à pêcher contribuera par ailleurs à soutenir les efforts de la FAO visant à établir un registre mondial des navires de pêche.
  4. La FiTI demande la publication de dispositions relatives aux régimes fonciers, y compris la description de la façon dont les autorités nationales garantissent la codification et la protection des droits de la pêche artisanale. De cette façon, la FiTI soutient la mise en œuvre des directives internationales sur la Gouvernance Responsable des régimes fonciers. 
  5. La FiTI demande aux gouvernements de collecter et de publier diverses informations sur le secteur de la pêche artisanale, y compris les informations sur leurs contributions sociales, économiques et sur la sécurité alimentaire. Si ces informations ne sont pas disponibles, alors, les pays doivent convenir d’un délai pour la collecte et la publication de ces informations. La FiTI soutient alors la mise en œuvre des lignes directrices de la FAO sur la sécurisation des pêches artisanales durables dans le cadre de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la pauvreté. 
  6. La FiTI demande aux pays participant à la mise en œuvre de l’initiative de publier les informations sur les efforts nationaux de collecte d’informations sur la propriété effective des navires de pêche. Dans le cours terme, cela ne signifie pas que les pays produiront des listes complètes des propriétaires réels, mais cela vise à galvaniser la prise de conscience internationale et le soutien à la transparence de la propriété effective.
  7. L’inclusion de l’information sur les normes du travail du secteur de la pêche soutient les efforts internationaux d’abolition de l’esclavage et de la traite des êtres humains, et peut être utilisée pour mieux plaider pour la promotion de la ratification de la convention de l’OIT sur le travail dans le secteur de la pêche. 
  8. La demande faite aux pays de publier les informations sur les transferts gouvernementaux en faveur du secteur de la pêche appuie les efforts internationaux, y compris à travers l’OMC, visant à faire prendre conscience de l’ampleur et de l’impact des subventions en matière de pêche, et a pour objectif de stimuler les débats à l’échelon national sur la contribution des subventions visant au renforcement des capacités de la pêche non durable, ainsi que la distribution de subventions entre différents secteurs de la pêche, comme entre la grande pêche et la pêche artisanale.  
  9. La demande faite aux pays de collecter et de publier les informations sur les projets de développement du secteur de la pêche vient en appui aux efforts internationaux d’accroissement de l’effectivité de l’aide, et félicite l’Initiative Internationale pour la Transparence de l’Aide. 

La FiTI aura-t-elle un impact durable sur la gouvernance de la pêche ?

La principale supposition de la FiTI est que l’accès croissant du public à l’information renforcera la participation active aux débats au niveau national sur les réformes de la pêche, et laisse entrevoir la perspective de la responsabilité des autorités publiques.    

Une question majeure est de savoir s’il y a la possibilité, au niveau national, d’entreprendre des analyses complémentaires de l’information produite. Un risque est que la FiTI peut réussir à collecter l’information publique, mais le manque d’intérêt ou de possibilité d’exploiter cette information n’entrainera pas de changement positif dans la gouvernance de la pêche. Ceci a besoin d’être évalué, parce que la FiTI est mise en œuvre dans différents pays. Le risque peut être exagéré, car la demande de transparence accrue a été prévalente depuis plusieurs années, y compris parmi les organisations environnementales et les groupes travaillant sur les droits de la pêche artisanale. Néanmoins, pour augmenter l’impact que la FiTI aura sur la gouvernance de la pêche il faudra soutenir les groupes locaux et les chercheurs, notamment les journalistes, pour exploiter davantage les données fournies par les gouvernements participant à la FiTI.

En fin de compte, toutefois, le succès de la FiTI pour aider à atteindre des réformes de gouvernance durable repose sur la supposition que la transparence peut conduire à la responsabilité. Si les nouvelles informations soutiennent les recommandations de politique ou révèlent des cas d’abus de pouvoir, de fraude ou de corruption, rien de cela ne conduira au changement si les autorités publiques ou le secteur privé subissent peu de pression de la part de leurs citoyens et de la communauté internationale pour les amener à faire des réformes.

Dans ces cas, le risque couru par la FiTI est qu’elle offrira aux gouvernements et aux compagnies une respectabilité de façade, tant qu’elle permet une poursuite de l’activité inchangée. Cette menace prévaut surtout dans les pays dirigés par des gouvernements autoritaires, avec des moyens limités de participation au processus de prise de décision et des bas niveaux de liberté individuelle et de la presse.  Il est par conséquent crucial que ceux qui sont engagés dans la FiTI, y compris au niveau international, promeuvent davantage d’efforts pour comprendre, et faire face aux formes d’oppression, d’autoritarisme, de manque de liberté individuelle et de la presse qui minent la bonne gouvernance de la pêche.

Deux autres questions affecteront également la question de savoir si la FiTI a des impacts durables sur la gouvernance de la pêche. 

Aborder l’accès à l’information comme un droit

Le standard de la FiTI n’essaie pas d’encourager les autorités nationales à légiférer sur l’accès à l’information. En fait, la critique d’autres initiatives de transparence existantes est qu’elles traitent la liberté d’information et de participation comme un geste volontaire, plutôt qu’un droit. Il serait beaucoup mieux si les pays adoptaient des lois qui garantissent aux citoyens le droit d’accès à l’information et le droit de participer à la prise de décision. Dans le long terme, cela peut être vu comme une approche plus forte, autrement, les acquis obtenus par la FiTI seraient de courte durée, car ils dépendent de la bonne volonté des autorités et des partenaires de la pêche étrangère.  

Cette contrainte de la FiTI reste importante, et sans doute, elle devrait faire plus pour promouvoir l’accès à l’information comme un droit. La Convention d’Aahrus de l’Union Européenne fournit un des exemples les plus frappants, et forme la base des lignes directrices de Bali des NU portant établissement de lois et institutions relatives à l’accès à l’information, la participation et l’accès à la justice. C’était peut-être une occasion manquée de ne pas lier les lignes directrices de Bali au lancement de la FiTI, qui ont eu lieu dans la même ville. En définitive le but de la FiTI devrait être de s’assurer que les pays intervenant dans la mise en œuvre adoptent une législation similaire à la Convention d’Aahrus, dans le cas contraire, leur engagement en faveur de la transparence peut être précaire et sujet à caution. 

Faire le commerce sur la base du statut conforme

Une autre question qui se pose avec la FiTI est la prise en compte des pays étiquetés comme étant « conformes » au standard. Pour certains, cela peut être vu comme une dimension attractive de la FiTI. Comme de nombreux pays s’inscrivent, d’autres seront contraints d’en faire autant, avec pour résultat final une amélioration graduelle de la transparence dans un plus grand nombre de pays. Une logique similaire est utilisée pour d’autres initiatives volontaires internationales, comme l’éco-étiquetage. Ces pêcheries qui peuvent prouver des références environnementales à travers des systèmes de certification volontaire, sont récompensées par des accès au marché plus sécurisés, ce qui signifie que celles qui ne le font pas sont obligées de s’engager dans ces efforts d’éco-étiquetage si elles veulent maintenir leur part d’accès au marché ou l’accroître.  

La préoccupation pour ces pays qui décident de ne pas participer à la FiTI est que cette décision peut être vue négativement par d’autres et cela pourrait influencer les décisions sur l’accès au financement des donateurs étrangers, ou même la négociation d’accords commerciaux. Un pays peut avoir des motifs valables pour lesquels il ne veut pas faire partie de la FiTI, tels que le manque de ressources ou simplement que le pays pense qu’il arrive à améliorer l’engagement civique sans avoir besoin d’une initiative internationale.  En fait, lors du lancement de la FiTI à Bali, le chef de l’Agence de la Pêche du Forum des Iles du Pacifique a exprimé les doutes de ses Etats membres sur la FiTI.  

En outre, l’obtention du statut de pays conforme ne signifie pas qu’un pays est plus transparent qu’un autre qui n’est pas partie de l’initiative, de même, l’obtention de l’écolabel ne signifie pas qu’une industrie de pêche est mieux gérée qu’une qui n’en a pas. Cela s’applique particulièrement à la FiTI, étant donné que la décision d’insister sur l’« amélioration progressive » signifie qu’un pays peut, pour un temps, être conforme sans publier beaucoup d’informations. Peut-être beaucoup moins d’informations qu’un pays qui n’est pas partie de la FiTI.

Le dilemme ici est que la transparence est importante, et qu’une pression internationale doit s’exercer sur les pays pour les amener à opérer des réformes. En effet, Lack of transparency in the fisheries is a well recognized and widespread problem andprogress to improve this has been very slow in many countries.

Les accords d’accès à la pêche publique ne devraient pas être passés avec des pays qui gèrent la pêche de manière très opaque, et cela serait justifié pour favoriser les investissements dans des pays où la pêche est gérée plus ouvertement. Mais le risque est de promouvoir la FiTI comme un moyen valide d’aider à influencer ces décisions. Si cela est le cas, la FiTI pourrait être vue, surtout par les gouvernements des pays en développement, comme une obligation coûteuse.

Le FiTI est un mécanisme visant à aider les pays à améliorer et à communiquer leur engagement pour une pêche responsable. Toutefois, l'obtention d'un statut ‘conforme’ au FiTI ne doit pas être pris comme signifiant qu'un pays est nécessairement plus transparent que d'autres. Plus important encore, cela ne signifie pas non plus que le pays gère nécessairement ses pêcheries de manière responsable. La FiTI ne fournit pas cette analyse.

Le statut d'un pays adhérant au FiTI ne devrait donc pas être utilisé pour justifier des décisions commerciales et d'investissement. Certains des pays impliqués dans l'initiative espèrent sans doute que ce sera le cas. Cela serait une source de préoccupation, en particulier pour les pays qui pourraient avoir des raisons légitimes de ne pas s'engager dans l'initiative

Aller de l’avant avec la FiTI 

La FiTI fournit un moyen pratique visant à améliorer la disponibilité et la fiabilité d’informations sur la pêche. La FiTI comble ainsi un fossé dans les efforts de réforme de la pêche internationale, vu qu’aucune autre initiative n’existe qui aborde la question de la transparence de manière concertée.  

Il y a des opportunités dans l’utilisation des données provenant de la FiTI pour promouvoir les efforts des réformes en matière de pêche, et le cas échéant, faire la pression pour plus de responsabilité des autorités nationales et du secteur privé. Cela dépend en grande partie de la manière dont les citoyens et les parties prenantes réagiront aux informations fournies grâce à la FiTI, et la mesure dans laquelle les pays participants adhéreront à l’idéal d’« amélioration progressive » et de participation multi-acteurs. Dans plusieurs contextes, le succès de la FiTI sera alors influencé par les ressources et la capacité des organisations de la société civile, des organisations de pêche et des journalistes à promouvoir et à s’engager dans les débats publics et aux processus de prise de décision. En fin de compte, l’impact de la FiTI dépendra de la volonté de ceux qui ont le pouvoir d’écouter et d’agir sur les recommandations de la société civile et du secteur de la pêche. Toutefois, une menace à la crédibilité de la FiTI est le processus de sa mise en œuvre dans les pays où les gouvernements continuent de limiter les libertés individuelles et de la presse et la participation réelle à la prise de décision. La FiTI ne doit pas être autorisée à doter ces gouvernements d’un statut de légitimité.

Pêche à petite échelle : entre le marteau et l’enclume ?

Au cours des cinq dernières années, "l’Economie Bleue" a émergé comme un nouveau concept de la gouvernance globale des océans. Ce concept remonte habituellement au Sommet de Rio+20 de la Terre de 2012. Il était prôné comme étant complémentaire à l’économie verte, mettant à la fois l’accent sur la nécessité de lutter contre la dégradation de l’environnement et la progression vers une économie plus durable qui soutient la réduction de la pauvreté. (Voir le document de réflexion des Nations Unies sur l’économie bleue). 

Depuis Rio+20, de nombreux gouvernements et organisations internationales ont adopté des programmes et politiques d’économie verte. Certains l’appliquent seulement aux océans, tandis que d’autres adoptent une perspective plus large et voient l’économie bleue comme intégrant également les écosystèmes d’eau douce. Etant donné que l’économie bleue gagne en popularité, il a commencé à être utilisé de manière interchangeable avec le concept de ‘croissance bleue’. La relation qui existe entre les deux peut porter à confusion, bien que comme l’indique la FAO :

Les partisans de la 'Croissance bleue' préfèrent cette terminologie à celle d’« Economie bleue», pour soulignerle besoin de croissance, car le concept d’«économie verte», a subi des critiques dans certains milieux de développement en particulier son accent précoce sur la conservation et la protection de l'environnement au détriment de la croissance économique et du développement social.

Un des premiers programmes de croissance bleue a été lancé par l’UE en 2012. Il se caractérise par la fourniture de ressources et de recherche pour soutenir cinq secteurs de croissance, notamment le tourisme côtier, l’exploitation minière offshore, l’énergie bleue, la biotechnologie marine et l’aquaculture. L’UE pense que ce sont des secteurs ayant plus de potentiel de générer de la valeur ajoutée et des emplois. Bien que d’autres sources de financement de l’UE soutiennent la pêche, le secteur de la pêche est largement absent de la stratégie de croissance bleue de l’UE. 

Cette situation contraste avec l’Initiative de Croissance Bleue lancée par la FAO en 2013, qui est mise en œuvre dans 10 pays en développement en Afrique et en Asie. Elle met un accent particulier sur le secteur de la pêche à petite échelle. Elle se recoupe avec la stratégie de l’UE en matière d’aquaculture, mais est différente de celle-ci en ce sens qu’elle met l’accent sur les paiements des services liés aux écosystèmes, notamment le 'carbone bleu'.   

En Afrique, la Croissance Bleue est devenue de plus en plus importante en tant que cadre global de travail de l’Union Africaine sur les habitats marins et d’eau douce soutenu et promu par la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique. Une stratégie de Croissance Bleue est également en train d’être développée par des pays et organisations inter gouvernementales de l’océan indien occidental. Toutefois, la direction que prendront les stratégies propres de l’Afrique en matière de croissance bleue n’est pas encore clairement définie ; suivra-t-elle l’approche de l’UE ou celle de la FAO. Néanmoins, il est clair que nous assistons à un regain d’intérêt et d’activités pour faire de la ‘Croissance Bleue’ une réalité. 

Du point de vue des communautés de pêche à petite échelle en Afrique, une question majeure est de savoir comment la ‘Croissance Bleue’ les affectera? La Croissance Bleue est-elle compatible avec d’autres engagements internationaux sur les réformes de pêche, tels que les ‘directives de la FAO sur la sécurisation de la petite pêche durable’ et les directives volontaires sur la gouvernance responsable de la tenure des terres, de la pêche et des forêts’ ?

Croissance bleue : Un nouveau paradigme ?

La manière dont le concept d’économie bleue et de Croissance Bleue est présenté suggère une nouvelle réflexion essentielle sur la manière dont les gouvernements gèrent les écosystèmes marins. Le concept est présenté comme un ‘changement de paradigme’. L’Union Africaine considère la Croissance Bleue comme étant la 'Nouvelle frontière de la Renaissance Africaine'.

Cela n’est pas nécessairement le cas. Le concept d’économie bleue présenté principalement à Rio+20 comme moyen de garantir l’importance des océans, a été particulièrement souligné dans l’accord final notamment pour les petits Etats insulaires, étant donné que leur économie dépend dans une grande mesure des écosystèmes marins.

L’idée des pays qui gèrent les océans d’une manière qui équilibre l’activité économique à la durabilité environnementale est le message global transmis dans le concept d’économie bleue, mais les moyens ou outils de sa mise en œuvre ne représentent pas d’énorme changement comparativement à ce qui est connu depuis plusieurs années. Par exemple, une des principales politiques de la croissance bleue est que les autorités s’assurent que la gouvernance marine est abordée de manière intégrée, comprenant et renforçant ainsi les interactions entre différents utilisateurs et groupes d’intérêt. Dans les stratégies de croissance bleue, cette situation est souvent qualifiée de Gestion Intégrée des Mers, et est essentiellement la même que la Planification Spatiale Marine (PSM) qui a été développée depuis au moins le début des années 2000, la PSM est définie comme un ‘processus de politique publique d’allocation d’espace marin sur le temps dans le but d’atteindre les objectifs écologiques, économiques et sociaux qui sont définis par un processus politique’. 

Toutefois, il y a des aspects qui marquent l’émergence du concept du concept de croissance bleue comme en fait un changement de mentalité sur les océans. Au cours des cinq dernières années environ, des rapports et présentations sur l’économie bleue sont devenus très alarmants, sur les taux désastreux de dégâts causés à l’écosystème, notamment des dégâts causés par le changement climatique, la pollution et la surpêche. Toutefois, ils sont devenus très optimistes – sur l’immense richesse économique contenue dans les océans. Un grand nombre de nouvelles études sur l’économie bleue prétendent qu’elle est plus précieuse qu’on ne l’imagine.  

WWF a fait la une avec une étude en 2015, qui déclarait que les océans contribuaient à hauteur de 2,5 billions de dollars par an à l’économie mondiale. Un des messages de cette étude était que si l’économie bleue était considérée comme un pays, elle aurait la 7e plus grande économie du monde. De même, l’OCDE a publié un rapport relevant la valeur immense de l’économie de l’océan, qui a trouvé que l’océan valait 1,5 billions de dollars. Le secteur du pétrole et du gaz était de loin le secteur le plus important.  

Une déclaration commune autour de cette littérature est que les autorités et les investisseurs ont négligé l’économie bleue parce qu’ils n’apprécient pas à sa juste valeur la richesse économique en jeu ; c’est la raison pour laquelle les océans sont menacés et sous-performant. Pour rendre la cause plus attrayante, les estimations de la valeur potentielle de l’économie bleue prennent en compte les secteurs comme l’exploitation minière et la navigation, qui n’ont absolument aucun intérêt ou besoin d’habitats et d’écosystèmes océaniques sains. 

La croissance bleue est par conséquent basée sur l’argument selon lequel les océans peuvent être sauvés si nous comprenons combien d’argent nous pouvons tirer de cette activité. Par exemple, la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique écrit :

"En comprenant mieux les énormes opportunités émergeant de l’investissement et du réinvestissement dans les espaces aquatiques et marins de l’Afrique, l’équilibre peut basculer de la pêche illégale, la dégradation et l’épuisement vers un paradigme de développement bleu durable, qui sert l’Afrique d’aujourd’hui et de demain. Si l’économie bleue de l’Afrique est bien exploitée et gérée, elle peut constituer une source principale de richesse et propulser les fortunes du continent".

Cependant, cette compréhension étriquée de l’économie bleue ou croissance bleue, qui consiste à considérer seulement les profits économiques, a beaucoup plus à faire avec la commercialisation des océans qu’elle en a de la nouvelle réflexion politique. Cela soulève des questions préoccupantes sur la capacité des stratégies de la croissance bleue de reconnaitre et de surmonter les problèmes persistants qui ont conduit l’économie bleue dans une position périlleuse.

La valeur de l’économie bleue comme profits

L’idée selon laquelle le potentiel de richesse des écosystèmes doit être apprécié pour les protéger a été populaire pendant un certain temps, bien qu’elle ne tienne pas compte du fait que la dégradation de notre environnement a été surtout causée par la cupidité et la maximisation du profit, le rôle complice des gouvernements n’a pas été dû à la méconnaissance de l’argent en jeu. Néanmoins, cela a conduit à une documentation intéressante sur la manière dont les ‘services écosystémiques’ peuvent être mesurés. En d’autres termes, comment pouvons-nous mettre une valeur sur les avantages que tirent les populations de l’environnement et de la nature, qui couvrent plusieurs dimensions, allant des profits, à la nourriture, aux emplois, aux loisirs et au bien-être culturel et spirituel. Le sujet devient plus controversé lorsque ces évaluations des valeurs déterminent la manière dont la nature et l’environnement devraient être dimensionnées et allouées ; qui a la priorité d’y avoir accès et de l’exploiter. 

Les stratégies de croissance bleue, notamment l’initiative de croissance bleue de la FAO, est définie pour aider les pays à comprendre la valeur de leur économie bleue, qui devrait influencer à terme les débats sur la politique nationale et sous régionale. Cette situation est traitée comme un défi technique, pour lequel la valorisation des services écosystémiques peut être utilisée par les décideurs pour faire le bon choix.  

L'aspect inquiétant de la croissance bleue est la manière dont la valeur est si souvent simplifiée pour signifier les bénéfices et l’ensemble des emplois créés, comme le montrent les projets de l'UE sur la croissance bleue, mais aussi dans d'autres projets africains (bien que souvent par des consultants européens). Bien qu’ils soient des facteurs importants, les deux nécessitent d'autres questions ; de quelle façon est répartie la richesse, quelle est la qualité des emplois, etc. Mais il est tout aussi important, de tenir compte d'une série d'autres aspects, notamment le fait que la richesse publique n'est pas la même que la richesse privée, et, en matière d’écosystèmes partagés, les deux peuvent avoir une relation contrastée ; une plage qui est librement utilisée par tout le monde ne produit pas de richesse dans la comptabilité économique traditionnelle, alors qu'elle aurait produit de la richesse si elle était vendue à un promoteur. Plusieurs dimensions permettant de comprendre la valeur dans l'économie bleue qui vont au-delà des bénéfices et des emplois existent, comme l'explique le présent rapport sur les valeurs culturelles et sociales des habitats marins.

Une approche basée sur les profits peut ne pas être bénéfique à la promotion de la pêche artisanale durable, bien que son profil en termes de création d’emplois la place en bonne position.    Pourtant, un environnement politique où l'accent est mis sur la maximisation des fortunes provenant de l'économie bleue ne semble pas compatible avec la promotion de la pêche de subsistance et de petite échelle et des systèmes de production alimentaire, en particulier lorsque les pêcheurs font face à la concurrence provenant des aménagements immobiliers, du tourisme et de l'exploitation minière off-shore pour la terre et l'accès à la mer.

En fait, lorsque nous examinons la stratégie de croissance bleue de l’UE, l’accent est entièrement mis sur les secteurs ayant une importance économique majeure – l’exploitation minière, la biotechnologie marine, le tourisme, l'énergie bleue et l'aquaculture. La pêche n'est pas considérée comme une « perspective de croissance », elle est de ce fait exclue. C'est un précédent inquiétant pour les stratégies de croissance bleue dans d'autres régions, surtout que l'UE semble favoriser cette approche dans la manière dont elle envisage ses relations futures avec les pays en développement. [Lien].

L'approche de la FAO est tout à fait différente, car elle part du principe selon lequel la priorité devrait être donnée à la pêche artisanale. Un enjeu clé est la question de savoir si cette position peut être défendue lorsque les gouvernements nationaux examineront leurs priorités en matière de croissance bleue.

La marchandisation de la nature : le carbone bleu

La valorisation des services liés aux écosystèmes est un élément central de la perspective de la croissance bleue, en particulier par la FAO et ses partenaires dans l’Initiative de la Croissance Bleue. L’on assiste à une énorme croissance des études qui cherchent à mettre une valeur monétaire sur les avantages des écosystèmes. Malgré le désaccord sur la façon dont cela se mène et ce que l’on entend par valeur, l'évaluation des services écosystémiques peut être un outil utile pour les pêcheurs et les communautés côtières. Par exemple, le World Resources Institute, un promoteur de ces outils, souligne le cas de Belize où une évaluation économique des récifs coralliens a montré les coûts élevés du chalutage industriel de fond et les avantages cumulatifs que les communautés côtières locales obtiendraient si cette activité n’avait pas lieu. L'évaluation était jugée essentielle pour convaincre les autorités nationales d'interdire la pêche au chalut de fond.

Cependant, l'évaluation du service lié aux écosystèmes conduit inévitablement à la marchandisation des habitats des océans. C'est-à-dire que les services écosystémiques fournis par les océans et les habitats marins sont chiffrés, afin qu'ils puissent être payés, rendant ainsi les océans plus rentables. Les fonctions des écosystèmes marins, telles que la capacité des herbiers marins à stocker du carbone, sont appelées « classes d’actifs ». Ce jargon du secteur bancaire et financier définit de plus en plus les stratégies de croissance bleue.

Le marketing de cette idée suggère qu’il peut se faire d’une manière qui accroît les bénéfices tout en conservant simultanément la nature et en promouvant les intérêts des communautés défavorisées qui dépendent de ces services écosystémiques. C'est une caractéristique de la plupart des programmes internationaux en matière d'économie bleue et de croissance bleue. Le programme phare de croissance bleue de la FAO, ainsi que les travaux de la Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique, et les programmes de nombreuses grandes ONG internationales en matière d'environnement, décrivent tous comment les paiements à effectuer pour les services écosystémiques peuvent être utilisés comme moyen de préserver les océans et lutter contre le changement climatique.

L'exemple le plus tangible semble être le développement ultérieur d'initiatives qui visent à conserver des habitats tels que les forêts de mangrove et les herbiers marins par le payement des grandes quantités de carbone qu'ils stockent. L'idée est que cette fonction de stockage de carbone peut être évaluée, puis vendue, généralement à travers un dispositif de compensation. Déjà, en 2011, encouragées par l'UICN, de nombreuses organisations internationales et sociétés multinationales, notamment du secteur pétrolier, ont collaboré à l'établissement de l'Initiative Carbone Bleu. 

On ignore la mesure dont les stratégies de croissance bleues réussiront à établir des marchés de services écosystémiques bleus. Les mêmes stratégies ont été utilisées pendant de nombreuses années dans d'autres écosystèmes, tels que les forêts. La demande d'achat de crédits de carbone et d'autres produits similaires a été faible. Les prix n'ont jamais augmenté au point de permettre à ces marchés d’avoir un impact global. C'est une des raisons du scepticisme concernant le paiement des services liés aux écosystèmes. Cependant, il y a également ceux qui voient en la marchandisation des services écosystémiques, des risques considérables pour les communautés côtières et la pêche à petite échelle.

La manière dont le paiement des services écosystémiques fonctionne nécessite invariablement des sociétés externes, des cabinets de conseil et des organismes de certification. Très peu de moyens existent dans les pays en développement, et en particulier dans les communautés rurales pauvres où le carbone est stocké, pour établir des évaluations complexes, satisfaire les organismes internationaux de certification, et ensuite avoir les réseaux et les ressources nécessaires pour vendre les services écosystémiques. Ainsi, les projets de production de produits écosystémiques, tels que le carbone bleu, sont gérés par des entreprises étrangères ou des ONG.

Bien qu'il y ait des études de cas apparemment positives, il y a eu une résistance considérable à ce nouveau secteur d'activité parmi les communautés rurales et les ONG travaillant avec les peuples autochtones. Parmi les plaintes figurent des dispositifs de partage des avantages extrêmement injustes et le fait que le processus de valorisation des services liés aux écosystèmes incite systématiquement les acteurs étatiques ou privés à prendre le contrôle des terres dont dépendaient par ailleurs des groupes moins puissants. Une des observations portées à ces innovations est qu'elles soulèvent des questions difficiles concernant ceux qui sont les propriétaires légitimes des services écosystémiques et, par conséquent, qui peut revendiquer le droit de les vendre ? En outre, la création d'une nouvelle valeur marchande des services écosystémiques peut constituer un développement précaire pour ceux qui ont des droits d'utilisation informels ou non sécurisés. Ceci est une caractéristique de nombreux États côtiers des pays en développement, ce qui a conduit à la demande de directives sur la gouvernance responsable de la tenure. Comme le décrit Winnie Overbeek, qui écrit pour le World Rainforest Movement: 

"Les communautés sont absentes de tout le matériel de publicité du " Carbone bleu "... Les initiatives du " Carbone bleu "... imposées du sommet à la base ont tendance à entraver profondément la vie de ces communautés et à causer plus de problèmes que d'avantages ... [elles] impliquent nécessairement l'imposition d’une série de restrictions sur le mode de vie des communautés et la perte de contrôle sur leurs territoires, afin de convaincre les marchés financiers que le carbone - converti en "actifs" papier ou "titres" environnementaux - reste "correctement stocké" dans les forêts."

On ignore comment le carbone bleu sera payé, bien qu'il soit tout à fait possible que les crédits de carbone bleu soient vendus sur des « marchés de contreparties ». Toutefois, permettre aux entreprises, et peut-être même aux pays, d'acheter du carbone stocké dans des endroits comme les forêts ou les mangroves, afin de pouvoir produire du carbone équivalent provenant de la combustion de combustibles fossiles, est manifestement inacceptable et en contradiction avec la perspective de l'économie bleue. Comme le poursuit Overbeek:

"L'accent mis sur les projets de démonstration et de recherche consistant à mettre les mangroves sur les marchés du carbone mondial ne fait que remettre à plus tard les transformations structurelles nécessaires du modèle de production et de consommation basé sur la combustion de combustibles fossiles. Ces changements sont essentiels pour permettre à l'humanité de maintenir le réchauffement climatique dans certaines limites, afin d'assurer la survie future des mangroves et des écosystèmes côtiers en général et celle des communautés qui en dépendent. En ne proposant pas ces changements, la nouvelle tendance du " Carbone bleu" est une autre fausse solution à la crise climatique, ainsi qu'un moyen de maintenir et de renforcer le pouvoir des entreprises et des marchés financiers, tout en cachant leur responsabilité en matière de destruction majeure de l'environnement et en proposant à ces entreprises et à ces marchés de devenir une partie de la prétendue solution".

La commercialisation des environnements par la valorisation des services écosystémiques est par conséquent un autre aspect de mise en cause des stratégies de croissance bleu par la petite pêche et les communautés côtières. Comment la valorisation des services écosystémiques profite-t-elle à l'économie bleue, autre que l'offre des débouchés économiques accrus ? Quelles sont les garanties de protection des droits des populations côtières ?

Rendre durables les océans par la croissance

Dans la commercialisation de la croissance bleue, il est rare de réfléchir sur les tensions entre la croissance économique perpétuelle et l’utilisation durable des écosystèmes fragiles, qui, comme le témoignent de nombreux rapports sur l’économie bleue, ont atteint déjà leur point de rupture en matière de pollution, de dégradation d’habitats, d’acidification d’océans et de surpêche. Il est étonnant qu’aujourd’hui, le ‘discours’ le plus dominant sur la protection des océans de l’exploitation insoutenable fait fortement l’éloge des opportunités de le faire dans un sens qui peut augmenter considérablement les fortunes des gouvernements et du secteur privé. 

Le marketing de la croissance bleue est déjà critiqué pour l'incohérence des politiques. La stratégie de croissance bleue de l'UE, par exemple, favorise la recherche et l'investissement pour l'expansion de l'exploitation minière en haute mer, ce qui, de l’avis de plusieurs organisations, pourrait ne pas être compatible avec le maintien des écosystèmes marins ou le concept de l'économie bleue. Un rapport sur la relation entre la stratégie de croissance bleue de l'UE et la pêche à petite échelle a fait ressortir que, bien que cette stratégie soit susceptible d'accroître la valeur ajoutée à l'économie européenne, il y aura des coûts environnementaux croissants, susceptibles d'avoir un impact négatif sur les écosystèmes côtiers et ce qui aurait pour conséquence de menacer la pêche.

Par conséquent, l'augmentation de la croissance et la réalisation d'une économie bleue peuvent devenir des objectifs contradictoires. Cette situation n’est trop souvent pas prise en compte lorsque les architectes de la croissance bleue parlent de scénarios « gagnant-gagnant » faciles. Force est de constater que l'économie bleue mondiale ne peut pas continuer de croître sans stresser et épuiser davantage les écosystèmes marins. Pour la pêche de subsistance et à petite échelle, la promesse de la croissance bleue doit alors être abordée avec prudence. Il convient de reconnaître que la croissance bleue aura des coûts. Si nous voulons limiter ces coûts, en particulier pour les plus marginalisés et vulnérables, la croissance devra être restreinte dans certains secteurs de l'économie bleue. 

Négocier la croissance bleue pour la pêche à petite échelle africaine

Il existe de nombreux aspects attrayants du mouvement international vers une économie bleue contenus dans les propositions de croissance bleue. Malgré les contradictions inhérentes et le risque d'incohérence en matière de politique, il semble y avoir une prise de conscience accrue des conséquences des écosystèmes dégradés sur la société et les entreprises. Cela réaffirme la nécessité de placer les réformes de la pêche dans un contexte plus large ; de changement climatique, de la pollution et de la concurrence croissante pour l'accès aux océans. La question de la pêche ne peut être abordée isolément.

Pour la pêche artisanale, il est capital de s'engager avec le projet de réalisation de la croissance bleue. Cependant, il existe un certain nombre de problèmes qui pourraient aider la petite pêche à influencer la croissance bleue afin de minimiser les risques inhérents et les contradictions.

  1. Selon la perspective de la croissance bleue promue par la FAO et d'autres partenaires dans l’Initiative de la Croissance Bleue, il est essentiel que la pêche à petite échelle et le commerce après la pêche soient placés à l'avant-garde des stratégies de croissance bleue. L'approche de l'UE est préoccupante en ce sens qu’elle met l'accent sur les secteurs de grande valeur et de haute technologie, ce qui exclut le secteur de la pêche. L'UE doit reconnaître cette limite dans son projet de promotion de la croissance bleue dans les pays en développement.
  2. L'approche de la création et de l'évaluation de la croissance bleue doit aller au-delà de la considération de la valeur uniquement en termes de bénéfices et d'emplois et de durabilité uniquement dans le domaine de l’environnement. La discussion sur la croissance bleue doit tenir compte des dimensions sociales, sanitaires et culturelles. Encore une fois, l'UE donne un mauvais exemple ici, et il y a une tendance pour les autres à l'avant-garde des stratégies de croissance bleues à en faire autant.
  3. La perspective de croissance bleue pourrait être positive car elle devrait forcer une discussion plus large sur la cohérence des politiques. Identifier et débattre de la cohérence des politiques dans les stratégies de croissance bleue est essentiel pour la petite pêche dans les pays en développement. Les priorités d'investissement des gouvernements et des donateurs internationaux dans les secteurs de l'économie bleue, tels que le tourisme, le pétrole et le gaz et l'aquaculture offshore continueront de menacer la pêche sauvage, en particulier dans les zones côtières où le nombre de pêcheurs à petite échelle est élevé. Ces menaces ont des dimensions multiples ; elles contribuent notamment au changement climatique, à l’augmentation de la pollution et à la diminution de l'espace réservé à la pêche en mer et sur terre. Les stratégies de croissance bleue doivent identifier et prendre des mesures pour limiter cette incohérence en matière de politique, et insister sur le fait que la croissance bleue ne peut pas être un simple scénario gagnant-gagnant. 
  4. La croissance bleue annonce la perspective d’une attention plus soutenue à l'aménagement de l'espace marin et de la gestion maritime intégrée. Cette approche multipartite de gouvernance des écosystèmes partagés est primordiale et a été pratiquement absente dans de nombreux pays en développement. Cependant, l'expérience internationale montre que cela ne peut être atteint que s'il existe de solides droits politiques et civils, tels que l'accès à l'information, la liberté d'expression, une participation significative et l'accès à la justice. Ceux-ci ne sont pas présents dans de nombreux pays où la croissance bleue est préconisée. En outre, il faut reconnaître que les acteurs locaux et étrangers de l'économie bleue ont un accès inégal aux ressources et des capacités largement différentes pour influencer la prise de décision. En conséquence, la pêche à petite échelle peut être désavantagée dans les processus de planification nationale et régionale.  Les stratégies de croissance bleues doivent donc répondre aux préoccupations liées aux droits humains nécessaires et aux réformes liées à la gouvernance avant qu'il y ait une croissance substantielle des investissements. [À cet égard, la croissance bleue doit reconnaître les exigences pour les autorités nationales de réaliser et de protéger les droits civils et politiques prévus par les directives volontaires sur la gouvernance responsable de la tenure, les directives volontaires sur la sécurisation de la petite pêche durable et les directives de Bali relatives à l'accès à l'information, la participation et l'accès à la justice en matière d'environnement. Pour l'UE, les stratégies de croissance bleues promues dans la dimension extérieure de la politique commune de la pêche doivent reconnaître que ces obligations sont contenues dans la Convention d'Aarhus.

Des informations impartiales doivent être fournies au secteur de la petite pêche et aux communautés côtières sur le mode de paiement des services liés aux écosystèmes qui est mis en place pour la croissance bleue ainsi que les risques et les opportunités présentés par ces systèmes. L'établissement d'une valeur monétaire pour les bénéfices qu’offrent les habitats marins dont dépendent les pêcheurs depuis des générations, dans l'intention de demander aux autres de payer ces avantages, est une idée complexe. Cela soulève des questions difficiles sur les propriétaires des services écosystémiques, les droits des pêcheurs et d'autres groupes sur ces produits, et sur la manière de répartir les avantages de ces payements. La question du carbone bleu doit être débattue plus largement, et la discussion ne peut être menée par ceux qui ont un intérêt direct dans ces systèmes.