«La sardinelle ronde, essentielle pour la sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest, continue à décliner»

par Ad Corten, Coordinateur de la coopération entre les Pays-Bas et la Mauritanie dans la recherche sur la pêche.

Des données limitées montrent déjà une nouvelle baisse de l'abondance de la sardinelle

La sardinelle ronde est la plus importante espèce de petits pélagiques pour les flottes nationales au Sénégal et en Mauritanie. Étant donné l’importance du stock pour la création d’emplois et la sécurité alimentaire et les graves menaces qui pèsent sur lui, il est étonnant que les deux principaux pays qui en pratiquent la pêche (la Mauritanie et le Sénégal) aient jusqu’à présent négligé de collecter suffisamment de données scientifiques pour faire l'évaluation des stocks. L'échantillonnage des captures artisanales en Mauritanie a été très faible en 2016 et 2017, malgré les fortes recommandations du groupe de travail de la FAO sur les petits poissons pélagiques en Afrique du Nord-Ouest. Pour le Sénégal, peu d'informations sont disponibles sur le niveau réel d'échantillonnage.

Bien que l'on ne dispose actuellement que de données limitées sur la sardinelle ronde, toutes ces données laissent présager une nouvelle baisse du stock. Les prises de sardinelles rondes en Mauritanie sont passées de 292 000 tonnes en 2016 à 172 000 tonnes en 2017; une baisse de 41%. Mais ces chiffres ont peut-être été affectés dans une certaine mesure par des déclarations erronées. En raison de la nouvelle réglementation concernant la quantité maximale de sardinelles rondes pouvant être utilisées pour la farine de poisson (10 000 t / an / usine), certaines usines de fabrication de farine de poisson ont probablement faussement déclaré une partie des débarquements de sardinelles en bonga. En effet, les captures de bonga déclarées en 2017 ont augmenté d'environ 40 000 t , et il est probable que cette augmentation ait en réalité consisté en sardinelles rondes. Cependant, même si nous tenons compte de ces erreurs de déclaration, les captures de sardinelles rondes en 2017 ont quand même chuté de 80 000 tonnes par rapport à 2016…

Pour le Sénégal, par contre, les captures de sardinelles rondes semblaient être restées stables en 2017 par rapport à 2016, environ 190 000 tonnes. Toutefois, ces chiffres n'incluent pas les captures utilisées pour la farine de poisson. Par conséquent, les débarquements réels de sardinelles rondes au Sénégal en 2017 pourraient avoir été supérieurs à ceux de 2016. Il convient toutefois de noter que, selon les organisations de pêcheurs, les sardinelles rondes étaient très rares dans les eaux au nord de Dakar pendant la saison 2017-2018. Les fortes captures de sardinelles rondes en 2017 ont vraisemblablement été effectuées au sud de Dakar et devaient consister principalement en de jeunes poissons.

En Mauritanie, les captures par unité d'effort de pêche (CPUE) des pirogues et des senneurs côtiers ont considérablement chuté entre 2016 et 2017. La CPUE des chalutiers de type russe en Mauritanie a également accusé une forte baisse en 2017. Une CPUE en baisse est un indice fort que le déclin des captures de sardinelles rondes en 2017 est dû à une baisse de l'abondance du poisson et non à une réduction de l'effort de pêche.

Une étude acoustique réalisée par le bateau de recherche norvégien Dr Fridtjof Nansen en mai-juillet 2017 dans la zone allant du Maroc au Sénégal a produit l'estimation du stock de sardinelles rondes la plus basse du nord-ouest de l'Afrique depuis le début de ces études en 1995. En résumé, on peut conclure que toutes les informations disponibles font état d'une baisse substantielle de l'abondance de sardinelles rondes en 2017.

L'effet de l'industrie de la farine de poisson

Lors d'une réunion avec des représentants des organisations de pêcheurs sénégalais CONIPAS, FENAGIE et APRAPAM en janvier 2018, toutes les organisations ont exprimé leurs inquiétudes par rapport à la diminution des captures de sardinelles rondes, en particulier dans la zone située au nord de Dakar (la «Grande Côte»). Selon ces organisations de pêcheurs, de nombreux pêcheurs ont quitté l'industrie en raison des faibles captures. En fait, les pêcheries en Mauritanie et au Sénégal exploitent différentes composantes du stock de sardinelles rondes. On sait que la pêche sénégalaise au sud de Dakar exploite principalement les poissons les plus jeunes, alors que la pêche en Mauritanie et dans la partie nord du Sénégal dépend des poissons adultes qui effectuent la migration saisonnière du Sénégal vers la Mauritanie et le Maroc. Un épuisement de la composante adulte du stock aura donc un impact plus fort sur les captures en Mauritanie et dans le nord du Sénégal que sur les captures dans le sud du Sénégal.

Les données recueillies en Mauritanie au cours des 19 dernières années indiquent que la mortalité par pêche a augmenté progressivement. Entre 1999 et 2013, cela était dû à l'exploitation de la sardinelle par des chalutiers étrangers en Mauritanie et probablement aussi à une augmentation progressive des efforts de la flotte artisanale sénégalaise. Après 2012, la place des chalutiers étrangers en Mauritanie a été reprise par l'industrie de la farine de poisson. Le développement de cette industrie en Mauritanie a été bien documenté. Plus récemment, une industrie de la farine de poisson s'est également développée au Sénégal et en Gambie. Pour ces pays, peu ou pas d'informations sont disponibles sur les quantités de poisson utilisées pour la farine de poisson, ni sur la composition en espèces de ces captures. Très probablement, la majeure partie des captures utilisées pour la farine de poisson consistent en sardinelle (ronde et plate). Cela a été aussi affirmé par une représentante des femmes transformatrices sénégalaises engagées dans l’industrie du fumage de la sardinelle, qui a expliqué que leur activité était menacée en raison de la concurrence des usines de farine de poisson qui ont acheté toutes les sardinelles.

Alors que l'effort des flottes artisanales des années précédentes était limité par la demande du marché de la consommation humaine, cette restriction n'existe plus pour le moment. Les usines de farine de poisson peuvent absorber de grandes quantités de poisson, ce qui incite les pêcheurs artisanaux à augmenter leur effort de pêche. Les usines de farine de poisson mauritaniennes ont même introduit une toute nouvelle flotte de senneurs turcs efficaces pour leur fournir du poisson. Les pêcheurs sénégalais de Casamance débarquent maintenant des prises dans des usines de fabrication de farine de poisson en Gambie. Parfois, ces débarquements sont si importants que même les usines de farine de poisson ne peuvent pas les absorber. En conséquence, des quantités considérables de sardinelles sont déversées en mer ou à terre.

En conclusion, les données limitées disponibles montrent que le stock de sardinelles rondes du nord-ouest de l’Afrique a encore été réduit ces dernières années par une augmentation de l’effort de pêche. La principale cause de cet effort accru est le développement d’une industrie de la farine de poisson dans la région. Ce développement a accru les possibilités de débouchés pour les flottes artisanales et a même amené une toute nouvelle flotte en Mauritanie pour capturer le poisson destiné aux usines de fabrication de farine de poisson.

Les groupes d’âge plus âgés de la population de sardinelles rondes sont épuisés et la pêche dépend maintenant largement des poissons les plus jeunes. Les flottes qui exploitent la partie adulte de la population, comme celles du nord du Sénégal et de la Mauritanie, sont les plus durement touchées par l’absence de poissons plus âgés. La surexploitation du stock constitue une menace sérieuse pour l'emploi de plusieurs milliers de pêcheurs et de femmes fumeuses de poisson au Sénégal, ainsi que pour la sécurité alimentaire de millions de personnes en Afrique de l'Ouest.

L'évaluation du stock est sérieusement entravée par le manque d'échantillonnage en Mauritanie et par les mauvaises données fournies par le Sénégal au groupe de travail de la FAO. Compte tenu de l'importance sociale et économique de la sardinelle pour la Mauritanie et le Sénégal, il est absolument essentiel d'investir de manière appropriée dans la recherche sur les petits pélagiques, en particulier la sardinelle, dans les deux pays, et dans la coopération entre les pays, afin d'obtenir le meilleur données scientifiques possibles.