Une Banque Suisse Et Les Millions d’une Compagnie De Peche Thoniere Au Mozambique

En 2013, au Mozambique, une compagnie de pêche thonière a reçu 850 millions de dollars d’investissements afin d'acheter 24 bateaux de pêche et 6 bateaux de patrouille. Il s'agit d'un investissement énorme pour une seule entreprise de pêche - de loin le plus gros investissement du continent.

Les premiers communiqués de presse par les représentants du gouvernement et de la société ont annoncé que la compagnie allait faire au moins 200 millions de dollars de bénéfices chaque année, tout en offrant des milliers d'emplois et du poisson de haute qualité pour les marchés locaux. Deux ans plus tard, la situation est alarmante – l'entreprise fonctionne à perte, et l'État doit payer pour ses mauvaises créances. Il y a de nombreuses inquiétudes sur la façon dont les 850 millions ont été effectivement dépensés, en particulier sur les navires de patrouille achetés avec cet argent, armés de canons et de mitrailleuses, ainsi que sur l'impact écologique de cette nouvelle société de pêche. Certains bailleurs de fonds internationaux travaillant au Mozambique ont menacé de mettre fin à toute aide au pays vu la corruption potentielle qui entoure cette affaire, mais d’autres, comme la Banque mondiale et NORAD, ont continué à donner des millions de dollars d'aide supplémentaire au Mozambique pour améliorer les capacités de gestion des pêches.


En 2014, le Crédit Suisse et le WWF-Suisse ont publié un rapport sur la nécessité d'attirer des investissements accrus dans la conservation de l'océan, en particulier dans les pays en développement. C'est un exemple de la façon dont plusieurs ONG environnementales internationales ont fait campagne auprès des banques pour l'accroissement des investissements privés dans les pêcheries. Le rapport a également fait écho d’autres documents politiques produits par la Banque mondiale, sur la nécessité d'adopter une approche basée sur la richesse : les gouvernements africains doivent se concentrer sur la maximisation des rentes de la pêche, ce qui pourrait débloquer des milliards de dollars de bénéfices. D'aucuns ont fait valoir que cet avis est basé sur les statistiques erronées et ne tient pas compte du fait que le secteur le plus important pour les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire reste la pêche artisanale, pour qui une politique de maximisation de la rente pour l'État représente un danger.

En même temps que le Crédit Suisse travaillait avec le WWF sur cette vision pour des investissements accrus aider pour sauver les pêcheries africaines, la Banque Suisse travaillait également avec le gouvernement du Mozambique pour aider à financer le plus grand investissement dans une société de pêche africaine, "EMATUM". Le Crédit Suisse a accepté d'acheter 500 millions de dollars de dette qu'ils ont ensuite "ré-emballée" pour la vendre à des investisseurs grâce à un système d’Euro bons. Les dividendes offerts aux investisseurs étaient excellents - 8,5 % de bénéfice d'ici à 2020, et les bons étaient assortis d’une garantie du gouvernement du Mozambique. Le Crédit Suisse a vendu les bons en quelques semaines, ce qui a encouragé le gouvernement du Mozambique à approcher la Banque russe VTL pour vendre 350 autres millions de dollars de dette, ce qui porte l'investissement total dans la société EMATUM à 850 millions de dollars. Les bons de VTL se sont vendus en quelques semaines.

La justification du EMATUM

C’est une opinion communément répandue que, que pour profiter pleinement de ses ressources halieutiques, les pays africains doivent développer leurs capacités de pêche et de transformation du poisson. De nombreux États africains vendent simplement des licences à des flottes de pêche lointaine qui "payer, pêchent et partent". La valeur ajoutée est donc estimée minime, d’autant plus qu'il existe des frais considérables (souvent sous-estimés) pour les pays côtiers afin de gérer ces bateaux étrangers, ce qui dans certains cas est couvert par l'aide au développement. Le renforcement des capacités de pêche locales reste une ambition mise en exergue par les ministres africains dans leur stratégie de réforme de la pêche et l'aquaculture, publiée en 2014.

L'argument du développement de la pêche locale commerciale pour le thon a été utilisé pour justifier le financement d’EMATUM. En 2013, l'ancien Ministre des Pêches du Mozambique a expliqué à son Parlement qu’EMATUM reposait sur une étude de faisabilité prudente et qu’il était prévu que l'entreprise génère 200 millions de dollars par an. Cela signifierait qu’EMATUM augmenterait considérablement la valeur ajoutée de la pêche thonière à l'économie, qui était d’à peu près 4 millions de dollars par an provenant de la vente de licences aux entreprises étrangères, dont aucune ne débarque ses prises au Mozambique. EMATUM allait devenir un des plus grandes compagnies thonières mondiales, employant et formant des milliers de citoyens mozambicains et offrant à beaucoup d'autres du thon à un prix abordable. Ainsi que le dit le directeur de EMATUM au journal China Daily Journal en 2014 :

L'année dernière il y avait 130 navires exerçant la pêche dans nos eaux, et un seul du Mozambique. Cela nous a donné une indication de la valeur que pourrait atteindre notre secteur de pêche thonière. Le Mozambique est membre de la Commission des Thons de l'Océan Indien (CTOI), et nous risquions de perdre notre quota de pêche de thon, si nous ne développions pas une industrie durable. Les études de viabilité que nous avions faites indiquaient que nous pourrions gagner environ 200 millions de dollars par an, si nous mettions en place une flotte de 20 navires. Sur cette base, un plan stratégique a été approuvé par le gouvernement en juillet dernier pour établir une flotte nationale thonière. Malgré une côte longue de 2 800 kilomètres et d'énormes ressources marines, nous avons encore des défis du point de vue de la sécurité alimentaire. Alors pourquoi ne pas se lancer dans un projet aussi ambitieux ? Un projet qui nous permettrait non seulement de pêcher, mais aussi de créer une chaîne de valeur du thon, avec un effet multiplicateur sur notre économie. Notre défi est d’amener sur la table des Mozambicains la meilleure qualité au monde de thon, en créant la marque: 'Fait au Mozambique'

EMATUM est une entreprise privée, même si ces trois principaux actionnaires sont tous des organismes gouvernementaux – l'Agence pour l’Intelligence et la Sécurité, la société nationale de pêche du gouvernement, Emopesca, et l'Institut National pour la Gestion des entreprises d’Etat. Les 850 millions de dollars collectés via le Crédit Suisse et VTL devaient servir à acheter 30 navires – 24 bateaux de pêche (21 palangriers et 3 chalutiers) et 6 patrouilleurs. Il n'y a pas eu d’appel d’offres pour la construction des bateaux et le contrat a été octroyé à une entreprise française de Cherbourg.

Environ 300 millions dollars ont été affectés à l'achat des navires, et les 550 millions de dollars restants pour "l’équipement radar, les communications par satellite, les installations terrestres, le transfert de technologie, les droits de licence, la formation, les coûts de gestion et les frais pour le paiement des intérêts sur le prêt pour la première année", a expliqué l'ancien Ministre de la Pêche en 2013.

Le prospectus envoyé aux investisseurs sur EMATUM était très court – il tenait sur 3 pages. Il demeure strictement confidentiel (le Crédit Suisse a refusé de nous en donner une copie). Il n'y a aucune autre information ou analyse disponible dans le domaine public sur cet investissement. S’il y avait quelque doute quant à la capacité d’EMATUM de rembourser cet argent, les investisseurs avaient l'assurance donnée par le gouvernement, un pays qui a fait des découvertes de gaz de mer important. Comme le journal l'Economiste l’a souligné en Novembre 2013, les investisseurs étaient probablement au courant de ce qu’EMATUM était un placement à risques, mais ils "savent qu’il existe des réserves énormes de gaz au large des côtes du Mozambique, qui finiront par rapporter beaucoup de devises étrangères, même si le thon n'en rapporte pas".

Afin de pouvoir émettre de la dette pour financer EMATUM, le gouvernement a du contourner ses propres règles sur l'emprunt. La Loi sur le Budget 2013 au Mozambique fixer la limite maximale de garanties gouvernementales en remboursement de dettes à seulement 6 millions de dollars, et des garde fous sont en place, y compris un organisme de surveillance parlementaire, afin d'approuver les nouvelles dettes publiques. EMATUM a établi pour 850 millions de dollars de dettes garanties par le gouvernement, sans qu’il y ait aucune implication parlementaire. A lui seul, ce deal a fait augmenter la dette totale du pays de près de 60 %, alors que le pays est déjà parmi les plus endettés au monde.

Un investissement voué au naufrage ?

En partant avec une dette de 850millions de dollars, ainsi que des niveaux élevés d'intérêt à payer, il faudrait la compagnie fasse des gains spectaculaires pour rester à flot. Le Ministre de la pêche du Mozambique a rassuré le Parlement fin 2013, expliquant que les "risques fiscaux ont été pris en compte" et qu'il n'y avait aucun risque que l'entreprise fasse défaut pour ses remboursements. Cette déclaration semble négliger les doutes quant à la quantité de thon et d’autres poissons disponibles pour les activités de pêche de cette compagnie, et quant à la capacité pour une nouvelle société n'ayant une expérience ni dans la pêche, ni dans les conserves de poisson, ni dans le commerce avec les marchés étrangers, de faire des bénéfices.

En Mai 2015, la société a publié ses comptes pour les deux années précédentes, montrant qu'elle fonctionnait à perte. En 2014, la perte était de presque 25 millions de dollars. Cela a été expliqué  par le fait que seulement 9 bateaux avaient été fournis en 2014; 15 autres étaient en route, y compris les trois chalutiers qui approvisionneraient les bateaux en appât. Cependant, les activités de pêche avaient aussi rencontré moins de succès que prévu, avec les premières sorties de pêche "expérimentale" se soldant par un coût de 3 millions de dollars pour la compagnie. Il y a également eu le taux de change avec le dollar qui a aggravé les choses. Le Président de la société reste optimiste quant à l'avenir, disant récemment que la compagnie était toujours en bonne voie pour faire un bénéfice annuel de 200 millions de dollars, mais, malheureusement, tout cela sans doute devra servir à rembourser les prêts.

Face à la pression montante des investisseurs, le nouveau gouvernement élu en 2014 a dû prendre davantage de responsabilités pour le remboursement des dettes. Une première action a été de faire absorber 350 millions de dollars par la dette souveraine du gouvernement, montant qui a ensuite été porté à 500 millions de dollars, laissant EMATUM avec une obligation de rembourser seulement 350 millions de dollars. En 2015, le gouvernement a annoncé son intention de restructurer la dette – prolongeant les délais de remboursement- et de négocier un taux d'intérêt inférieur. Suite à cette annonce, la valeur des actions d’EMATUM a dégringolé.

Allégations de corruption?

Si EMATUM nécessite des apports massifs de fonds publics pour être sauvée, elle génère aussi des questions croissantes – pourquoi une compagnie de pêche privée devrait recevoir ces grandes quantités de fonds publics dans un pays qui connaît des niveaux très élevés de sous-développement et de pauvreté? Et si la société produit des bénéfices importants dans une décennie ou deux, cela va-t-il vraiment bénéficier aux citoyens mozambicains, ou surtout aux actionnaires et aux dirigeants de l'entreprise? L'effet multiplicateur n'est peut-être pas très évident, surtout si l'énorme dette causée par EMATUM absorbe des fonds qui auraient pu être utilisés pour combattre la pauvreté de façon plus évidente.

Plusieurs autres aspects de cette affaire ont inquiété les investisseurs et partenaires du Mozambique. Six des bateaux commandés étaient des bateaux de patrouille, destinés à assurer la surveillance et lutter contre la pêche illégale et la piraterie en mer. Les patrouilleurs fournis par une société française sont du type "HSI 32 interceptors", et un rapport de la compagnie indique qu’ils sont fournis avec un canon et deux mitrailleuses. Cela a causé une certaine anxiété concernant EMATUM car certains redoutent que les investisseurs aient sans le savoir financé l’achat d’armement, ce qui donnera à cette compagnie de pêche privée le contrôle de 6 bateaux équipés de matériel militaire, - plus que la capacité totale de la marine nationale du pays.

Mais, peut-être de façon plus significative encore, il y a eu une anxiété considérable concernant l'utilisation des 850 millions de dollars. La publication Africa Confidential a fourni un suivi régulier de cette histoire, et a récemment décrit que l'affaire est bien connue au Mozambique pour avoir canalisé "des centaines de millions de dollars dans les poches des individus près du sommet du parti et l'Etat".

Des politiciens de l'opposition ont décrit EMATUM comme le plus grand scandale financier dans le pays depuis l'indépendance. Des appels ont été lancés pour l'arrestation de l'ancien Président et Ministre des Finances, bien qu’ils soient tous deux protégés d'enquêtes gouvernementales par leur immunité.

La réponse des partenaires et donateurs étrangers

Etrangement, en dépit des grands montants d'aide au développement et d'années de travail pour améliorer la gestion de la pêche au Mozambique, le lancement d’EMATUM a été annoncé dans la presse sans discussion préalable avec les donateurs étrangers.

La plupart des partenaires et donateurs étrangers travaillent ensemble au Mozambique à travers un groupe connu sous le nom de G19. Ils ont publié une déclaration en 2013 disant que s'il y n'avait pas d'amélioration de la transparence concernant EMATUM, ils pourraient retirer tous les fonds d'aide pour le pays. Ceci, pour une courte période, a ressemblé à une confrontation importante entre le gouvernement et les bailleurs de fonds étrangers, qui ont non seulement fait du Mozambique l'un des pays du monde les plus dépendants de l'aide extérieure, mais qui ont aussi fourni plus d'argent pour le développement de la pêche au Mozambique que dans n'importe quel autre pays en Afrique.

De toute évidence, la transparence a fait défaut dans EMATUM, et les problèmes qui lui sont associés se sont aggravés depuis 2013. Alors, comment ont réagi les bailleurs de fonds étrangers ?

En 2014, on a signalé que des engagements d'aide totale par le G19 avaient été réduits, mais pour 2015, il semble que l’aide ait continué et même légèrement augmenté par rapport à 2013. Cependant certains donateurs, dont la Norvège, ont décidé de mettre fin à leur contribution au budget central et ciblent plus d'aides dans les projets. Cela peut avoir été une réaction à l’affaire EMATUM. Mais dans l'ensemble, les menaces des donateurs ont été levées. En fait, la Banque mondiale a récemment approuvé un autre investissement important dans la pêche du Mozambique – un prêt de 37 millions pour aider à améliorer la gestion des pêches. Et, en 2014, la Norvège a donné des fonds supplémentaires de près de 30 millions de dollars pour des projets de pêche, principalement mis en œuvre par le gouvernement, y compris mettant l'accent sur l'arrêt de la pêche illégale, pour lequel nous imaginons que la contribution des six patrouilleurs bien armés de EMATUM sera vitale.

Dans le même temps, le Mozambique a réussi à attirer davantage d'investissements pour étendre la pêche commerciale thonière. En août 2015, une compagnie chinoise a annoncé avoir signé un accord pour construire 9 thoniers en Chine, qui seraient utilisés pour pêcher dans la Province de Nampula au Mozambique. Le gouvernement au Mozambique a aussi annoncé progresser vers un nouvel accord pour l'accès d’au moins 15 thoniers japonais. Pendant ce temps, le Mozambique et l'UE négocient un nouvel accord de partenariat de pêche pour le thon.

La Chine a également annoncé 120 millions de dollars d'investissement pour la modernisation du port de Beira. Le directeur de EMATUM décrit cela comme stratégique pour ses affaires, et décrit la Chine comme un marché clé pour leur thon :

"La Chine a un potentiel énorme pour nous... Si la moitié de la population consommait notre thon, il ne faudrait pas exporter vers les autres marchés. Nous pêchons le thon avec seulement 24 navires, mais nous ne devrions pas arrêter là – il y a une énorme opportunité pour la croissance, donc notre capacité peut augmenter beaucoup »

Avec de telles déclarations, il sera important de voir dans quelle mesure EMATUM reste fidèle à ses objectifs d'approvisionnement des mozambicains en thon de haute qualité.

Défis de durabilité

L'attention du public a été essentiellement tournée vers le montage financier qui entoure EMATUM, et très peu de choses ont été dites sur son impact environnemental – un sujet important pour un pays où la biodiversité marine connaît une baisse inquiétante. Il fut un temps où ses crevettes – pêchées surtout par le biais de sociétés mixtes entre des sociétés de Mozambique et des entreprises étrangères – étaient le principal produit d'exportation du pays, mais cela a diminué considérablement au cours des dix dernières années, en raison de l'incapacité de l'Etat à arrêter la surpêche.

L'impact des activités d’EMATUM sur les ressources halieutiques est difficile à prévoir. Les rapports de la CTOI suggèrent que les thons migrant dans les eaux du Mozambique peuvent être pêchés dans des limites durables, mais la situation dépend dans une large mesure de la capacité de contrôler l'effort de pêche dans la région. L'addition de 24 bateaux de pêche commerciale supplémentaires est un élément important. Mais mettre l'accent uniquement sur le thon peut se révéler trompeur. Les palangriers opérant au Mozambique ont ciblé historiquement bien plus de requins et d’espadons que de thons – par exemple, le thon représente seulement 13% des captures des palangriers de l’UE au Mozambique, les requins et espadons composant la majorité des captures restantes. Il est donc fort probable qu’EMATUM fera de même. En fait, Africa Confidential rapporte que les premiers débarquements effectués par EMATUM étaient dominés par les captures de requins, pas de thons.

Des données scientifiques fiables sur le statut de ces espèces de poissons sont limitées, mais de nombreux témoignages (voir ici pour un exemple de graphique) montrent que les populations de requins au large du Mozambique ont été décimées par la surpêche pour approvisionner les marchés étrangers en ailerons de requin. Si EMATUM participe à ce type d’exploitation des requins considérée comme insoutenable, la compagnie aura à affronter les critiques internationales. Mais réguler l’impact environnemental des bateaux d’EMATUM sera un grand défi : les 6 navires de patrouille d’EMATUM contrôleront ils bien les propres bateaux de la compagnie ? Le gouvernement réglementera t’il l'entreprise efficacement, imposant des amendes et des sanctions, étant donné les intérêts directs de l’Etat dans cette compagnie, qui recherche désespérément une viabilité financière?

Quelles leçons à tirer?

Le cas de EMATUM est remarquable, et les coûts pourraient être élevés, qui devront être payés par les citoyens et les partenaires au développement, tout en ouvrant potentiellement un nouveau chapitre dans le déclin de la biodiversité marine dans la région. Nous pourrions voir la saga EMATUM comme un cas isolé, mais il y a des leçons plus larges à en tirer.

Tout d’abord, EMATUM illustre les risques liés aux politiques des Etats africains de développement d’une capacité de pêche nationale, en particulier pour la pêche au thon. Pour de nombreux États africains, la pêche au thon commerciale, capitalistique, ne produira peut être pas des avantages importants pour l'économie au sens large, en particulier lorsque les coûts de gestion responsable des pêches sont pris en compte, et du fait que la main-d'œuvre employée dans cette pêche est relativement restreinte. Peut-être une plus grande opportunité pour les États côtiers consiste à se concentrer davantage sur le côté du traitement des produits, ce qui peut produire plus de possibilités d'emploi. Le directeur des pêches au Mozambique a mis en évidence ces aspects par le biais de la récente déclaration de Maputo, qui contient plusieurs bonnes propositions sur la façon de mieux gérer la pêche hauturière étrangère dans la région pour augmenter la valeur qui revient aux États côtiers. EMATUM va à l’encontre de telles pensées politiques et tout semble indiquer que cette compagnie a été créée avec un minimum de consultation des experts de pêches.

En second lieu, EMATUM nous fournit un exemple inquiétant de l’approche adoptée pour accroître les investissements dans la pêche en Afrique. CAPE a déjà mis en garde sur la financiarisation de la conservation des ressources halieutiques. EMATUM est un exemple frappant de la façon dont les investissements peuvent être contradictoires avec les objectifs de conservation, y compris de la part d’une banque qui a manifesté un intérêt considérable dans le financement de la conservation des océans. Le Crédit Suisse s’est-il soucié un seul instant de l'impact environnemental et sur le développement lorsqu’il a organisé le financement de EMATUM? Le WWF, qui a un partenariat avec le Crédit Suisse et possède un bureau au Mozambique, serait bien placé pour condamner le rôle du Crédit Suisse et d'autres investisseurs dans cette saga.

Enfin, il y a une leçon fondamentale pour les débats sur les politiques de pêche, ainsi que sur le rôle de l’aide au développement. Le cas d’EMATUM est un recul majeur dans un pays qui a reçu le plus d'aide au développement pour la pêche en Afrique et avait montré des progrès en matière de politique de pêche responsable. Cela met en évidence un problème important de l'aide dans le secteur de la pêche – il y a trop d'attention sur des projets technocratiques et de soutien. L’aide à la pêche continue d'exister dans une bulle déconnectée de considérations plus larges en matière d'économie politique, y compris la question de la corruption, qui reste en grande partie hors de l'ordre du jour des discussions entre partenaires donateurs et gouvernements des États côtiers en Afrique. EMATUM devrait servir d'avertissement que les réformes politiques constituent un élément essentiel pour le développement de la pêche. Les stratégies de réforme des politiques de pêche et de l’aide au développement doivent remédier au manque de transparence, de participation et de supervision de la pêche. En d'autres termes, des réformes politiques destinées à améliorer la responsabilité démocratique sont tout aussi nécessaires comme les réformes technocratiques conçues pour améliorer les connaissances scientifiques ou les bénéfices tirés des ressources halieutiques.