Négociation des Accords de Pêche UE-Mauritanie et UE-Sénégal: la pêche artisanale plaide pour une approche concertée

Les 23 et 24 janvier 2019, la Confédération Africaine des Organisations de Pêche artisanale (CAOPA) a organisé à M’Bour (Sénégal) un atelier pour une approche concertée des négociations des accords de pêche en 2019 entre l’UE, le Sénégal et la Mauritanie.

L’atelier a réuni près d’une vingtaine de participants : représentant(e)s des organisations nationales de pêche artisanale de Mauritanie, du Sénégal, ainsi que des professionnels, hommes et femmes de Gambie, Guinée-Bissau et Côte d’Ivoire, qui ont partagé leurs expériences des accords de pêche. L’Institut de recherches IMROP était également représenté, ainsi que les partenaires de CAOPA. Après les deux jours de débats, une série de priorités ont été retenues pour les négociations.

 

PRIORITES POUR LES NEGOCIATIONS

Les participants plaident pour que l’UE, la Mauritanie et le Sénégal envisagent les négociations pour le renouvellement des protocoles d’APPD de façon concertée sur les aspects suivants :

1)   Accès aux ressources

1.1.          Accès aux petits pélagiques

Pour ce qui est des protocoles existants, il est très positif que les flottes de chalutiers pélagiques de l’UE n’aient pas accès aux petits pélagiques au Sénégal, et que leur zone de pêche ait été éloignée des côtes dans le cadre du protocole avec la Mauritanie afin d’empêcher leur accès à la sardinelle.

Si les protocoles devaient être renouvelés en 2019, il est important de conserver ces acquis, qui devraient s’appliquer à toutes les flottes d’origine étrangère.

Cependant, notre plus grande préoccupation concernant les petits pélagiques reste le fait qu’un accès aux sardinelles et chinchards soit alloué aux flottes étrangères, notamment celles de l’UE, de la Russie, de la Turquie, de la Chine (Poly Hondone) en l’absence d’un cadre régional de gestion, alors que les stocks de sardinelles et de chinchards sont considérés comme surexploités.

Comment peut-on identifier un surplus, - base pour la signature d'un accord de partenariat de pêche avec l’UE-, en l’absence de cette gestion régionale? Si des étapes décisives ne sont pas mises en place pour une gestion régionale, nous estimons que ces ressources ne devraient pas faire l’objet d’une discussion sur l’accès des flottes européennes dans le cadre d’un futur protocole avec la Mauritanie.

La première de ces étapes, que l’UE doit soutenir dans le cadre des partenariats, c’est l’amélioration de la recherche sur les ressources de petits pélagiques[1], et le développement, avec des moyens financiers et humains adéquats, d’une collaboration ambitieuse entre les instituts de recherche : cette collaboration devrait inclure le dialogue entre chercheurs et professionnels de la pêche, surtout artisanale, pour prendre en considération les connaissances empiriques des professionnels, mais aussi pour améliorer les données sur l’effort de pêche local. De plus, étant donné l’importance sociale, économique, en termes de sécurité alimentaire de l’exploitation de ces ressources, ces autres aspects devraient également être étudiés.

Ensuite, les négociations avec le Sénégal et la Mauritanie sont également l’occasion de soutenir une concertation entre ces pays pour fixer des limites de captures et se partager ces captures.  En effet, même si des propositions en matière de gestion ont été faites par la CSRP, même si tant le Sénégal que la Mauritanie ont ratifié la Convention sur les Conditions Minimales d’Accès de la CSRP, qui appelle à cette gestion concertée des stocks partagés, rien n’existe concrètement aujourd’hui en la matière[2].

Dans ce cadre, la CAOPA se propose de réunir la Commission mixte des professionnels de la pêche artisanale de Mauritanie et du Sénégal, qui a été mise sur pied en 2008 pour accompagner la mise en œuvre de l’accord de pêche Mauritanie-Sénégal, afin que les professionnels plaident auprès de leurs états respectifs pour une gestion concertée de ces ressources partagées. La CAOPA se propose également de mettre en place une commission mixte de professionnels de la pêche artisanale sénégalaise et gambienne dans le même but.

L’explosion du nombre d’usines de farine de poisson en Mauritanie mais aussi au Sénégal continue de favoriser une demande élevée pour les petits pélagiques, en particulier les sardinelles[3]

La question de la légalité des agréments d’exploitation donné à ces usines se pose tant en Mauritanie qu’au Sénégal.

D’après une organisation de pêcheurs locaux (FLPA), en Mauritanie, une usine ne peut avoir d’agrément que pour transformer en farine les déchets de poisson, ce qui est loin d’être le cas actuellement. Au Sénégal, il semble que des usines en activité n’aient pas réalisé les études d’impacts indispensables à l’obtention de leur agrément.

Etant donné que les accords de partenariat de l’UE veulent se fonder sur la promotion de la bonne gouvernance, il est important pour l’UE d’obtenir une clarification sur ce point

1.2.          Accès au merlu

Le stock de merlus noirs est aujourd’hui considéré par le COPACE comme une ressource partagée entre le Maroc, la Mauritanie, le Sénégal et la Gambie. Les chiffres récents de la FAO indiquent une surexploitation: 17.000 tonnes de captures dans toute la sous-région pour un potentiel de 10.900 tonnes.

En Mauritanie, un problème particulier est que les prises accessoires de merlus réalisées par d’autres bateaux de pêche démersale et pélagique atteignent, voire dépassent les captures ciblées de merlu.

Cette espèce faisant partie des ressources couvertes par les protocoles avec le Sénégal et la Mauritanie (et la Gambie et le Maroc), l’UE doit mettre en place, dans le cadre des négociations, une stratégie pour favoriser une exploitation durable de cette ressource.

Au niveau du Sénégal, les pêcheurs locaux s’étonnent de la qualification de cette pêche sous accord (2 chalutiers espagnols) comme étant « expérimentale », alors que plusieurs chalutiers d’origine espagnole (repavillonnés sénégalais) ont été actifs dans cette pêcherie depuis plusieurs années.

D’autre part, ils s’inquiètent de la compétition possible avec la pêcherie saisonnière de merlu à Cayar.

Au vu des données existantes, il semble peu probable qu’il existe un surplus qui peut être attribué aux bateaux européens.

1.3.          Développement d’une pêche artisanale au thon

Bien que les flottilles artisanales mauritaniennes et sénégalaises ne ciblent pas les thons hauturiers, la pêche artisanale capture une quantité limitée de thons, et les organisations du secteur estiment qu’il serait important de voir les possibilités de développer une pêche thonière artisanale dans les années qui viennent.

En Mauritanie, la pêche artisanale a capturé jusqu’à 1600 tonnes de thons mineurs par an ces dernières années, et au Sénégal, il y a aussi des captures occasionnelles de thon (et plusieurs pirogues à Dakar essaient de se spécialiser pour le thon).

L’UE devrait encourager la réflexion au niveau de la région pour le développement d’une pêcherie thonière artisanale, et encourager le dépôt par la Mauritanie et le Sénégal, au niveau de la CICTA, de plans de développement durable d’une telle pêcherie.

 

2)   Appui sectoriel

Le problème principal, c’est le manque de transparence dans les choix pour l’affectation et dans l’utilisation des fonds de l’appui sectoriel. Les rapports annuels des pays pour l’Union européenne ne sont pas rendus publics, et les actions entreprises avec l’argent de l’appui sectoriel ne sont pas identifiées comme telles. Il faut remédier à ces problèmes si les protocoles d’accords de partenariat sont renouvelés en 2019.

Il n’y a pas non plus de consultation des communautés côtières, même lorsque la pêche artisanale est listée comme bénéficiaire de l’appui sectoriel.

Même si les montants de l’appui sectoriels sont modestes (surtout dans le cas d’un accord essentiellement thonier come le Sénégal), ils peuvent néanmoins permettre de soutenir des actions clés pour le développement du secteur, à l’exemple de ce qui va se faire en Côte d’Ivoire (renforcement d’un système de crédit pour les femmes) ou en Mauritanie (appui pour la construction d’un port artisanal).

 

3)   Constitution de sociétés mixtes

Tant le protocole avec le Sénégal que celui avec la Mauritanie encouragent, le cas échéant, la constitution de sociétés mixtes. Les investissements privés européens sont aussi appelés à jouer un rôle important dans le futur partenariat UE-Afrique[4] .

Or, les négociations de partenariat de pêche avec le Sénégal et la Mauritanie sont l’occasion pour l’UE et ses partenaires d’entamer un dialogue public, incluant leurs secteurs de la pêche respectifs, y compris la pêche artisanale, pour définir un cahier des charges/un cadre réglementaire assurant que les sociétés mixtes contribuent au développement d’une pêche durable. Ce cadre devrait être basé sur un ensemble de principes pour s'assurer que les sociétés mixtes opèrent de façon transparente; n’entrent pas en compétition avec la pêche artisanale locale; sont en ligne avec les objectifs de développement durable de la pêche.

Ce cadre réglementaire devrait s'assurer que les sociétés mixtes dans le secteur de la pêche au Sénégal et en Mauritanie: contribuent au progrès économique, social et à la conservation des écosystèmes; respectent les droits fondamentaux des personnes touchées par ces investissements; encouragent la formation et la création d'emplois, en particulier pour les femmes et des jeunes dans le secteur; ne bénéficient pas de dispenses ou d’exemptions concernant le respect des lois en matière de pêche, d'environnement, de santé, de travail, de fiscalité, etc

De plus, tout futur investissement à travers une société mixte devrait se baser sur une évaluation complète des conditions techniques environnementales, économiques et sociales locales; un bilan des sociétés mixtes existantes doit être fait sur ces aspects, car nombre d’entre elles fonctionnent de façon opaque et ne contribuent pas à une filière pêche durable. 

 

4)   Transparence/Information/Participation

La situation reste insatisfaisante dans les deux pays en ce qui concerne la connaissance de l’effort de pêche global. L’inclusion de l’article sur la transparence dans le dernier protocole avec la Mauritanie est un pas positif, qui devrait être généralisé dans les protocoles avec les autres pays. Cependant, il faut reconnaître qu’encore aujourd’hui, le contenu des divers accords signés par la Mauritanie avec des entités étrangères n’est pas encore publié.

Au niveau de l’UE, de nombreux efforts ont été faits en matière de transparence, avec les textes des protocoles, des comités scientifiques conjoints maintenant disponibles. Une amélioration consisterait à publier les compte-rendus des commissions mixtes, ainsi que les rapports annuels des pays partenaires sur la mise en œuvre de l’appui sectoriel.

En termes de participation, des avancées importantes ont été enregistrées, avec, par exemple, la participation des professionnels de la pêche artisanale mauritanienne aux négociations (cela a aussi été le cas en Côte d’Ivoire). Malheureusement, au Sénégal, les professionnels sont encore tenus à l’écart des négociations.

 

Autres commentaires pour l’accord avec la Mauritanie

 

Un des points positifs les plus importants dans le dernier protocole a été la modification du zonage visant principalement à protéger les fonds de moins de 20 mètres des activités de chalutage et à réduire les interactions potentielles entre flottilles de l'Union européenne et flottilles mauritaniennes de pêche artisanale et côtière. Si le protocole devait être renouvelé en 2019, Il est important de conserver cet acquis, et de faire en sorte que les moyens de surveillance soient suffisants pour une mise en oeuvre efficace de ce zonage.

 

En ce qui concerne le poulpe, le document de Stratégie de Développement pour le secteur de la pêche 2015-2019 de la Mauritanie insistait sur le fait que, ‘malgré un redressement observé récemment, l’état des stocks du poulpe est toujours préoccupant avec des niveaux de surexploitation estimés à 17%’. Dans ce contexte, il est positif qu'il n'y ait pas d'accès direct des flottes européennes à cette ressource si importante pour la pêche artisanale locale. Le fait qu’il n’y ait pas d’accès au poulpe a vraiment donné un coup de fouet à la pêche locale, notamment artisanale (même si les difficultés de la SMCP d’écouler le produit pèsent sur les revenus des pêcheurs).

 

L’embarquement des marins devrait être lié avec une obligation de formation de ces marins (formation en techniques de pêche, mais aussi en sécurité à bord, etc)

 

 


[1] Pour ce qui est du CRODT, nous avons été informés que cet institut de recherches n’a pas reçu les fonds qui lui sont attribués dans le budget de l’Etat du Sénégal depuis 2015. Cette situation n’est pas admissible si l’UE considère que le CRODT est le référent sénégalais en matière de recherche halieutique dans le cadre du partenariat pour une pêche durable avec le Sénégal.

[2] Lors de la réunion des OP à Mbour, il a été proposé de relancer la commission mixte FNP/CONIPAS, active entre 2008 et 2011, pour promouvoir ensemble cette gestion concertée au niveau de leurs gouvernements respectifs.

[3] La décision récente du gouvernement mauritanien de limiter la quantité de sardinelle ronde destinée à la farine à 10.000 tonnes par usine/an (qui sera réduite progressivement dans les années à venir) est loin d’être une mesure suffisante. Sur ce point, voir  https://cape-cffa.squarespace.com/new-blog/2018/10/15/round-sardinella-key-for-food-security-in-west-africa-is-further-declining  

[4] Voir Discours sur l’Etat de l’Union 2018 http://europa.eu/rapid/press-release_IP-18-5702_en.htm