Une des principales barrières à la pêche durable : Le rôle des agents consignataires de pêche en Afrique

Les agents consignataires jouent un rôle crucial dans la facilitation des opérations de la pêche industrielle en Afrique. Tous les navires utilisent au moins un, sinon plusieurs agents. Et dans la plupart des pays, un navire de pêche battant pavillon étranger est légalement tenu d'utiliser un agent local. Dans les accords de pêche de l'UE avec les pays africains, l'utilisation d'un agent consignataire local est également obligatoire pour les opérateurs; c’est une clause dans la plupart des protocoles d'accords. Mais des experts du secteur et des opérateurs de pêche estiment que le rôle de nombreux agents consignataires pose problème – c’est une source de corruption considérable et de pratiques commerciales contraires à l'éthique. 

Si la corruption impliquant des agents consignataires et des autorités se limitait à quelques cas isolés, ce ne serait pas un grand problème. Mais il semble qu’en plusieurs endroits, ce type de corruption est considéré comme un mode de fonctionnement normal ; c’est comme ça que fonctionne la pêche. Nous souhaitons généralement que la prise de décision dans le domaine de la pêche repose sur des considérations relatives à la durabilité et au développement social et économique, y compris pour les politiques qui favorisent les pêches artisanales. Mais ce qui est décrit ici, c’est que pendant des décennies dans certains pays, la prise de décision a été motivée par les intérêts personnels de certains fonctionnaires et agents consignataires, dont la principale source de revenus est l’argent versé par des opérateurs étrangers aux agents consignataires, y compris pour des services surfacturés ou inutiles. Pour cette raison, des experts en matière de pêche estiment que les agents consignataires constituent, selon eux, l'une des menaces principales à la gestion responsable des pêches dans de nombreux pays africains.

Qui est et qu’est-ce qu’un agent consignataire

En Afrique de l'Ouest, l'histoire des agents consignataires de pêcheremonte au début des années 1980. Avec l'extension des eaux territoriales et l'intensification de la pêche industrielle, ce fut une année de croissance considérable du nombre de navires opérant dans les eaux africaines. Avant cette période, la pêche industrielle dans les eaux côtières africaines était dominée par des entreprises publiques de l'ex-Union soviétique, et des navires de pays européens opérant dans le cadre d'accords bilatéraux et privés. Ces accords d'accès avaient tendance à être négociés entre les gouvernements et, dans le cas de l'Union soviétique, impliquaient la mise en place de grandes initiatives de sociétés mixtes, et dont la rumeur disait qu’ils faisaient partie d’accords plus larges, de type militaire.

Ces changements intervenus dans les années 1980 sont arrivés alors que l'ajustement structurel provoquait des désastres, et que plusieurs pays côtiers étaient la proie de conflits civils. Des centaines de navires, dont un nombre croissant provenant d'Asie, opéraient donc dans des pays où les administrations ne fonctionnaient guère, à cause d’un manque de législation, de ressources et de lignes de communication. Il semblerait qu'une femme du Ghana ait été la première personne à y voir une opportunité commerciale. Elle était auparavant employée au Ghana en qualité de Secrétaire Permanente du Ministère de l'Agriculture. Après avoir noué des contacts personnels avec des compagnies de pêche asiatiques, elle a offert ses services pour aider ces entreprises à rencontrer les personnes compétentes dans d'autres pays d'Afrique de l'Ouest et est devenue la facilitatrice pour l’obtention de licences de pêche. Elle a poursuivi en créant une agence de consignataires travaillant dans toute la région, avec des bureaux dans plusieurs pays, dont le Libéria et la Guinée. Aujourd'hui, elle est considérée comme une femme d'affaires extrêmement prospère et est peut-être à l’origine de la vocation de nombreux autres agents inspirés par son succès.

Aujourd'hui, les agents consignataires de pêche peuvent fournir plusieurs services allant de la demande de licences, l’organisation des inspections de navires, le recrutement des équipages, l’organisation du ravitaillement, la réception et la transmission des informations du navire aux autorités, et même l'enlèvement des ordures des navires faisant escale au port. Certaines compagnies d'agents fournissent tous ces services aux navires de pêche, et d’autres sont des agents qui fournissent certains de ces services à une gamme de navires, pas seulement des navires de pêche. Mais il semble plus fréquent en Afrique que les opérateurs de pêche utilisent des agents différents pour différents services, et il y a des agents qui se spécialisent dans l'acquisition de licences de pêche. Même dans le cadre d'accords d'accès bilatéraux, les opérateurs individuels paieront un agent local pour préparer la documentation et récupérer la licence qui est à leur nom. Des opérateurs européens déclarent payer environ 1500 Euros par an aux agents pour ce service, bien que certains soient invités à payer beaucoup plus. Il ne fait aucun doute que les frais payés aux agents sont un coût considérable pour l'industrie, et une activité lucrative pour ces agents.

Les agents consignataires sont habituellement des citoyens locaux, bien qu'il existe des exemples d'étrangers qui travaillent également comme agents. Il y a quelques années, le consul espagnol en Guinée-Bissau était le contact commercial des navires de pêche espagnols, facilitant l’acquisition de licences et offrant des services diplomatiques. Dans certains pays, comme les Seychelles, les agents sont certifiés et reçoivent l’agrément officiel d’exercer. Mais il y a plusieurs pays où le statut juridique des agents est difficile à identifier. En effet, dans de nombreux pays, le secteur semble exister d'une manière relativement informelle. On signale que, par exemple, les navires de pêche néerlandais travaillant en Mauritanie utilisent le même agent local depuis des années, bien qu’il n'y ait pas de contrat formel entre eux et que tout soit fait sur base de la confiance. D'autres représentants de l'industrie confirment que le fait de travailler avec des agents sans contrats a été pratique courante, ce qui rend leurs responsabilités plutôt vagues.

Corruption institutionnalisée?

A première vue, il semblerait que les agents fournissent un service utile à la fois à l'industrie de la pêche et aux autorités locales. L'agent prépare la voie aux navires de pêche travaillant dans des pays réputés difficiles. Comme l'a expliqué un représentant de l'industrie de l’Europe : "travailler sans agent dans des pays comme l'Angola ou la Guinée serait impossible". Et pour les autorités locales, il s’agit d’une personne familière qui sert de contact pour les entreprises étrangères qui peuvent rarement venir au port, et qui ne peuvent pas être contactées facilement ou avec lesquelles il est peut-être difficile de discuter. Pour un grand nombre de navires de pêche étrangers, toutes les transactions avec les autorités de pêche locales sont ainsi réglées par leur agent - non seulement pour le payement des licences, mais aussi pour la transmission de leurs données sur les captures et les activités de pêche.

Mais il existe de sérieuses inquiétudes au sujet de cet arrangement. Un aspect concerne des conflits d'intérêts généralisés. De nombreux agents consignataires de pêche prospères sont soit des anciens employés du département des pêches ou des responsables politiques ou militaires. Il n'est pas non plus rare de rencontrer des agents de pêche qui sont des agents en fonction dans l'autorité de pêche ou le gouvernement. Par, un ancien directeur de la Commission du Thon de l'Océan Indien a été obligé de démissionner lorsqu'on a découvert qu'il avait créé une société d'agents de pêche offrant des services aux bateaux de pêche du thon des Seychelles. Lorsque les informations sur une enquête menée par Interpol dans un incident de piraterie impliquant des navires figurant dans son registre de consignataire avaient été rendues publiques, Il avait transféré la propriété de la société de consignation à son épouse dans le but de dissimuler qu’il était en même temps autorité de pêcheet agent consignataire.

Dans de nombreux pays, il est dit qu'il existe un arrangement de longue date selon lequel les frais payés aux agents de pêche par les propriétaires de navires sont partagés avec certains membres des autorités de pêche. Cela ne se fait pas de manière légale ou transparente, mais représente plutôt des pots-de-vin institutionnalisés. En effet, l'argent versé à certains cadres supérieurs du secteur de la pêche par des agents constituerait un revenu supplémentaire stable pour eux. Un expert au fait de la situation du secteur des pêches de l'Afrique de l'Ouest et qui s’est intéressé au travail des agents de pêche depuis des décennies estime que cela peut se comprendre compte tenu des très bas niveaux de salaire versés aux hauts responsables de l’administration de la pêche; le salaire mensuel que perçoit un directeur des pêches dans un des pays d’Afrique de l'Ouest est de plus ou moins 500 US dollars, d'autres pourraient percevoir encore moins.

Des problèmes persistants de détournement de licences de pêche dans certains pays africains ont été relevés. Il a été signalé dans des pays comme Sao Tomé-et-Principe, la Guinée-Bissau, la Tanzanie et le Mozambique, que dans le passé - et peut-être encore aujourd'hui - certains opérateurs paient les coûts de licence et l'argent des amendes directement sur les comptes personnels de certains hauts fonctionnaires. Cependant, il semble plus courant que les agents jouent un rôle d’intermédiaire dans ce type de détournement de fonds de l'État, et obtiennent également leur part.

Au Libéria, le scandale qui a été très médiatisé concernant des navires de pêche de l’UE et d’Asie pêchant avec des licences frauduleuses en 2014 impliquait également un agent consignataire local, qui était, là encore, un parent d'un haut fonctionnaire du gouvernement. Les personnes impliquées prétendent que le problème serait survenu du fait que l'agent n'a pas versé une part des droits de licence au ministre concerné cette année-là, comme il l'aurait fait pendant plusieurs années auparavant. Le ministre a demandé l'argent, et l'agent a demandé aux propriétaires de navires de payer une deuxième fois, ce qu'ils ont refusé de faire. La réponse du ministre fut de déclarer nulles et non avenues les licences, et d’affirmer qu'elles avaient été émises de façon irrégulière, ce qui n’était pas le cas.

Plus récemment, une autre arnaque a été découverte en Tanzanie, où il a été révélé que des agents travaillant avec des hauts fonctionnaires avaient vendu des licences à des navires étrangers, mais détourné les fonds vers des comptes bancaires privés. Une personne connaissant bien le secteur a déclaré que cette pratique avait été courante pendant des années et avait impliqué de très hauts cadres du ministère des Pêches.

Le point de vue de l’industrie

Il est possible que les propriétaires de navires de pêche ignorent totalement que l'argent versé aux agents consignataires est ensuite détourné vers les comptes bancaires privés de fonctionnaires. Mais cela est peu probable. En effet, une source ayant des contacts étroits avec les flottes de pêche thonièresprises dans le scandale des licences au Libéria a déclaré que l'industrie de la pêche avait été prévenue des implications juridiques si cette situation se présentait - ils payaient des millions d'Euros aux agents qu’ils savaient donner des dessous-de-table aux fonctionnaires. Cela les rendait complices de corruption, ce qui les mettrait en violation des lois de leur pays d'origine sur les paiements de pots-de-vin dans un pays étranger.

En raison de ces types de problèmes, depuis quelques années, les propriétaires de bateaux, du moins de l'UE, ont insisté pour que les paiements s’effectuent au trésor central. Cela a sans doute coupé une source lucrative de revenus pour les fonctionnaires corrompus. Pourtant, certains représentants de l'industrie croient que cela a résulté en des moyens plus novateurs de gagner de l'argent de façon illicite dans le secteur. En effet, certains pensent que les sommes obtenues par les agents consignataires pour d'autres services que l’obtention de licence ont augmenté alors que les paiements de droits de licence étaient effectués directement au trésor central.

Un exemple vient encore du Libéria, où la législation nationale exige maintenant que les navires soient soumis à des inspections annuelles pour obtenir l'autorisation de pêcher, à l’exemple de nombreux autres pays qui suivent des conseils dans le cadre de la lutte contre la pêche INN. Il incombe aux opérateurs de navire de payer les frais des inspecteurs. L'inspection moyenne devrait prendre environ une demi-journée. Mais les opérateurs de navires doivent organiser les inspections par l'intermédiaire de leur agent consignataire local, qui semble gonfler les coûts. Selon une source, les agents ont facturé les honoraires des inspecteurs du gouvernement pour quatre jours par inspection et ont déclaré que les propriétaires de bateaux doivent payer un tarif journalier de 300 Euros pour chaque inspecteur, en plus du payement de leurs vols, hébergement à l’hôtel et restauration. Les opérateurs de navires payeraient aux agents jusqu'à 5000 Euros par inspection.

Récemment, des opérateurs de navires espagnols et français se sont rendu compte qu'ils payaient le même agent, avec les mêmes inspecteurs pour les mêmes jours, de sorte que l'agent doublait au moins son revenu sans fournir la totalité du service requis. Il y a aussi un doute considérable sur le fait que les agents versent le montant total aux inspecteurs. Le point important est que les opérateurs n’ont aucun moyen de le vérifier, vu que les autorités ne rendent pas publiques les structures de coûts des inspections.

Une sphère d’influence croissante?

Au-delà des licences et des inspections, il existe également d'autres sources lucratives de revenus pour les agents et les représentants du gouvernement. Une source provient des règlements extrajudiciaires pour les infractions en matière de pêche. En d'autres termes, les propriétaires de navires accusés de crimes peuvent se retrouver à payer de l'argent à leurs agents pour sortir du pétrin. C'est à la fois une situation très vulnérable à l'extorsion contre les propriétaires de navires, et un moyen facile d'éviter les sanctions.

En 2009, par exemple, les autorités de Guinée-Bissau ont arrêté trois navires ; un pétrolier et deux navires de pêche appartenant à l'Espagne, pour ravitaillement sans autorisation. L'affaire concernant le pétrolier, Virginia G, avait duré pendant plusieurs années, et l'équipage retenu en captivité pendant 14 mois. Les propriétaires du pétrolier ont réfuté l’accusation selon laquelle le ravitaillement en carburant a été effectué dans les eaux territoriales de la Guinée-Bissau. L'affaire a été finalement portée devant le Tribunal international du droit de la mer. Les documents justificatifs de l'affaire présentés par les propriétaires de Virginia G montrent que le capitaine du pétrolier a parlé au propriétaire des navires de pêche le lendemain de l'arrestation. Les deux navires de pêche ont quitté le port ce jour après avoir été arrêtés à côté du pétrolier, et le capitaine du pétrolier a voulu savoir pourquoi. La raison était qu'ils avaient payé à leur agent local, le consul espagnol, 100 000 Euros, qui ont ensuite été transférés sur le compte privé d'un haut responsable de la sécurité.

Un agent prospère est souvent quelqu'un qui travaille en étroite collaboration avec les autorités gouvernementales ; il y a des gens qui croient que cela a donné lieu à des flux d'argent illicite entre agents et hauts fonctionnaires. Cependant, les relations entre les agents et les autorités de pêche ne sont pas toujours amicales. En Mauritanie, une affaire impliquant l'agent de la flotte de pêche hollandaise a été évoquée. Tout le monde savait qu’un haut cadre des pêches, chargé des inspections et des pénalités, empochait des sommes importantes d'argent provenant des pénalités. En fait, l'ampleur de ce détournement de fonds (une source pensait que c'était environ 10 millions d'Euros par an) a fait de lui un des hommes d'affaires les plus riches du pays, un proche allié du président et propriétaire de plusieurs entreprises, y compris dans l’industrie de la pêche. L'agent travaillant avec la flotte de pêche néerlandaise a écrit un article de journal révélant l'ampleur de cette corruption. En représailles, deux navires qui utilisaient l'agent ont été arrêtés sur la base d’une fausse charge, et il a été « recommandé » à la flotte de pêche néerlandaise de remplacer son agent par quelqu'un de proche du pouvoir politique. Un avocat local a alors contacté l'industrie de la pêche néerlandaise pour proposer le nom d'un agent de remplacement, qui veillerait également à ce que les chalutiers hollandais puissent contourner les lois nationales sur les restrictions de zones de pêche - un privilège illégal que d'autres navires d'origine non européenne ont apparemment accepté. Les Néerlandais ont refusé et continuent avec leur ancien agent.

Il y a d'autres rôles d'agents de pêche où l'on peut déceler un abus de pouvoir potentiel. Un domaine d'intérêt concerne le rôle des agents de pêche dans le recrutement de citoyens nationaux pour les équipages à bord des navires étrangers. Tous les navires qui doivent embaucher l'équipage local auront tendance à utiliser un agent pour cela, qui peut ne pas être le même utilisé pour obtenir des licences. Mais cette pratique est également préoccupante en ce sens qu’elle permet, en échange de pots-de-vin, de donner des emplois à des personnes qui ne sont pas bien formées. On constate aussi des abus dans les contrats de travail. Le rôle de ces agents dans les conflits du travail mérite une recherche plus approfondie, car ils peuventêtre des acteurs importants dans l'exploitation des équipages.

Les agents sont également utilisés dans certains pays pour collecter et distribuer des prises accessoires, lorsque des navires de pêche sont obligés de les débarquer. Mais il est difficile de trouver des informations relatives aux frais payés pour cela, et à la manière dont les agents exploitent et distribuent le poisson. Encore une fois, c'est un thème qui souligne l'influence croissante des agents, en l’absence d’une réglementation et une transparence adéquates.

La plus grande incidence?

Les histoires rapportées sur le rôle des agents consignataires dans la pêche en Afrique soulèvent de nombreuses craintes. En effet, un grand nombre de navires de pêche étrangers - peut-être la majorité dans plusieurs pays - obtiennent des licences de pêche par le biais d’agents impliqués dans une corruption systémique. L'industrie de la pêche est évidemment préoccupée par l'extorsion dont elle fait l’objet, et sans aucun doute beaucoup s'inquiètent des risques pour leur réputation. Mais le problème le plus important réside au niveau des implications pour une pêche responsable et durable.

Dans une situation similaire signalée en Mauritanie, un représentant de l'industrie de l'UE a déclaré qu'il n'est pas inhabituel d'être contacté par des agents offrant des licences à des conditions intéressantes, mais illégales. Comme noté plus haut, cela peut être de permettre à des bateaux de ne pas suivre la réglementation nationale, comme par exemple de pêcher dans des zones réservées à des embarcations artisanales ou semi industrielles. Au Gabon, par exemple, un agent a affirmé pouvoir offrir des licences qui autorisaient au navire industriel à utiliser en mer des navires de ravitaillement (‘supply’), bien que cela ait été interdit dans le cadre de l'accord de l'UE avec le pays. D'autres navires - pêchant grâce à des accords privés au Gabon – semblent avoir ce genre de licences fournies par l'agent. Parfois, ces offres proposées par les agents peuvent être des escroqueries, comme celle qui offrait récemment aux compagnies françaises de pêche thonière des licences pour les senneurs aux Maldives, alors que les Maldives ont interdit la technique de la senne. Mais il est clair qu'il existe des incitations pour les agents à fournir au secteur industriel des autorisations pour entreprendre une pêche non durable et dommageable, et aussi pour vendre beaucoup plus de licences que ce qui est durable.

Au Libéria, cette année, la décision du Président d’abroger une loi qui interdisait aux navires industriels de pêcher dans la zone de 6 milles marins de la côte était apparemment promue par l'agent des bateaux de pêche asiatiques ; l'agent était également un proche parent d'un haut fonctionnaire. Une modification de la loi rendra les opérations des bateaux, et donc la vente de licences à ces bateaux de pêche, beaucoup plus faciles et, en fait, l’agent avait déjà fait une promesse de faire modifier la loi, ce qui explique pourquoi ces entreprises asiatiques avaient déjà investi dans des installations terrestres pour transformer le poisson. Heureusement, il semble avoir eu une opposition aux souhaits de l'agent et de ses clients en raison de l'indignation généralisée à la proposition de modification de la règlementation de la pêche.

Lorsque les inspections des navires deviennent un moyen pour les agents et leurs relais au pouvoir de gagner des revenus, il est difficile que les inspecteurs fassent un travail honnête. Et là où les hauts fonctionnaires, sont de mèche avec les agents des navires, nous pouvons nous attendre à ce que ces navires bénéficient d’une certaine clémence quand il s'agit de violer les règles. Nous ne devons pas imaginer que tous les agents du secteur de la pêche en Afrique soient véreux, ni que ces problèmes sont spécifiques à l’Afrique, mais il semblerait que les agents consignataires y opèrent dans un environnement trouble et mal réglementé. Alors que certains opérateurs de navires se plaindront d'être volés, il y en aura d'autres à qui cela profitera.

La prétendue corruption entre agents et cadres supérieurs pourrait être une raison pour laquelle des gouvernements s’opposent aux réformes de la pêche, y compris en matière de transparence. Du moins, c'est le point de vue d'un expert expérimenté en matière de pêche travaillant sur certains des plus grands projets de donateurs du secteur des pêches en Afrique de l'Ouest. Selon cette personne, «si vous voulez comprendre pourquoi l'industrie de la pêche est si mal réglementée, et ce qui entraîne des décisions apparemment mauvaises, y compris la vente de trop nombreuses licences, vous devez comprendre le rôle des agents de pêche et le flux d’argent ». En effet, les informations relatives à ce que les pays africains gagnent de la pêche étrangère ne sont habituellement pas dévoilés. D’où  l'argument selon lequel les compagnies de pêche étrangères payent des droits de licence très bas. Ce que l’on cache est le montant réel payé par les navires à leurs agents consignataires, puis le montant qui va dans les poches des fonctionnaires, plutôt qu’au trésor central. Si on tient compte de cette information, la valeur de la pêche étrangère serait bien différente de ce que l’on pense habituellement. Et bien sûr, il y a une farouche opposition à faire quelque chose à ce sujet. Comme l'a déclaré cette source, « nous avons essayé d'organiser des réunions directement avec l'industrie de la pêche à ce sujet, mais le Ministre refuse de nous permettre de rencontrer l'industrie sans que les agents soient invités ».

Que peut-on faire?

Malheureusement, il y a peu de transparence sur les activités de ces agents de pêche et sur la corruption qui y est liée. Une très grande attention internationale est focalisée sur la pêche industrielle illégale en Afrique, considérés comme « pillant les océans », et les États africains sont souvent décrits comme disposant de peu de ressources et n'ayant aucune chance contre de puissantes compagnies étrangères.

Compte tenu de ce qui est allégué sur le rôle des agents consignataires dans le secteur, cet accent mis uniquement sur la lutte contre la pêche INN peut échouer à mener à une pêche durable. Une étude récente menée par l’Université de Colombie britannique a présenté un chiffre très élevé de la valeur de la pêche INN en Afrique de l'Ouest (deux milliards et demi de dollars !) et a exhorté les États africains à faire plus d’efforts pour capturer les navires de pêche illégaux afin de pouvoir gagner plus en termes d’amendes. En réalité, compte tenu du rôle des agents et la corruption systémique dans de nombreux pays, la pêche illégale peut ne pas constituer la plus grande menace pour les pêches durables et, sans réformes politiques, l'application de la loi contre la pêche INN isolément pourra être continuellement sapée par des intérêts personnels.

Face à cette réalité, certains acteurs insistent sur la transparence et le développement de lignes directrices ou de normes éthiques pour les agents consignataires. Une bonne partie de la corruption impliquant des agents pourrait être beaucoup moins facile si les informations sur les navires ayant des licences, les termes de leurs licences et les détails des paiements étaient rendus publics et accessibles. Là où les agents s’occupent d’autres services,  le coût de ces services devrait être publié par les autorités nationales - ce qui rendra beaucoup plus difficile le vol d’une partie de ces taxes par les agents et les fonctionnaires. Un exemple clair est celui des frais pour le traitement des licences. Un autre est la structure des frais pour les inspections des navires, y compris les taux d’indemnités journalières des inspecteurs.

Une autre idée est qu'il devrait avoir aussi un registre public d'agents. Le fait que, dans certains pays, les opérateurs de navires se tournent vers les autorités locales de pêche pour leur recommander des agents, peut faciliter certaines des relations corrompues entre ces autorités de pêche et les agents.

Des discussions plus poussées sur les normes éthiques pour les agents méritent d’être menées. Un simple point de départ serait de concevoir des règles concernant les conflits d'intérêts et les collusions entre consignataires et autorités, ce qui signifie qu’il est interdit aux fonctionnaires et à leurs familles d’occuper des fonctions d'agents. Cela n'empêcherait pas d'autres personnes qui servent en qualité d'agents qui veulent verser des pots-de-vin aux fonctionnaires, ce qui pourrait ne pas être totalement efficace. Mais il est également indéfendable de permettre à l'épouse ou au frère du ministre des pêches de servir en qualité d'agent privé pour les navires de pêche étrangers, et encore moins le directeur du service des pêches qui le fait lui-même.

D'autres idées pour réformer cette situation résident dans les modifications apportées au sein des autorités nationales de pêche. Ceux qui voient les salaires extrêmement bas versés aux fonctionnaires des pêches, ainsi que les bureaucraties lourdes comme cause principale du problème, souhaitent que les autorités de pêche soient privatisées ou transformées en organisations parapubliques (tel est le cas aux Seychelles), ce qui permettra donc de verser des salaires plus compétitifs, d'embaucher et licencier plus facilement le personnel.

Pourtant, un problème plus fondamental est de savoir si certains des services fournis par les agents sont en fait nécessaires ? Les agents sont devenus incontournables en partie à cause des faiblesses des autorités nationales de pêche. Mais cet état de choses semble être maintenu délibérément pour permettre l'abus de pouvoir.

La question de savoir pourquoi les opérateurs de navires doivent payer un agent pour traiter et retirer un permis de pêche n'est pas claire. L'autorité nationale de délivrance des licences devrait être en mesure de fournir un service électronique de délivrance de licence qui supprimerait le besoin d’un agent consignataire pour obtenir une licence . Par exemple, dans le cas des accords de pêche de l'UE, au lieu d’exiger les propriétaires de navires l’utilisation d’un agent local pour les services, y compris les licences, l'UE pourrait insister pour que les autorités compétentes fournissent ce service dans le cadre de l'accord.

On pourrait en dire autant des autres fonctions des agents - est-il nécessaire que des agents s’occupent d’organiser des inspections? Les autorités nationales pourraient-elles organiser cela et communiquer avec les propriétaires de navires eux-mêmes ? Pourquoi les agents sont-ils utilisés pour collecter des données de captures auprès des navires de pêche ? Si l'argument qui sous-tend l'utilisation des agents repose sur l'idée que le fait de travailler avec des gouvernements opaques et bureaucratiques est trop compliqué et prend du temps pour l'industrie, la réponse consiste à améliorer les services gouvernementaux et non à établir un secteur d'activité lucratif pour des intermédiaires bien connectés, mais finalement irresponsables qui semblent enclin à l'extorsion, à la corruption, aux détournements de fonds et aux conflits d'intérêts.