Les communautés de pêche artisanale du Liberia préoccupées par la décision du Gouvernement en faveur des chalutiers

Le 9 juin, prenant la parole au site de débarquement du poisson de West Point, un canton de Monrovia, capitale du Liberia, Jerry Blamo, Secrétaire Général de l’Association des Pêcheurs Artisans du Liberia (LAFA) a appelé le Gouvernement à revoir son décret No. 84, qui propose de réduire la Zone Exclusive de Pêche (IEZ) du pays de six à trois milles nautiques. Les représentants du secteur de la pêche artisanale des neuf régions côtières du Liberia se sont réunis à West Point pour écouter la déclaration de LAFA. Ils craignent tous que la réduction de la Zone Exclusive Côtière, réservée actuellement au secteur de la pêche artisanale, permette aux chalutiers industriels un plus grand accès aux eaux côtières du Liberia : "Nous sommes préoccupés du genre de bateaux qui viendront pêcher dans les eaux libériennes, en raison des expériences fâcheuses vécues avec les chalutiers asiatiques", souligne Jerry Blamo.  


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Il y a approximativement 33 000 personnes employées dans le secteur de la pêche à petite échelle, composé des sous-secteurs artisanal et semi-industriel. Le sous-secteur de la pêche artisanale emploie actuellement plus de 2000 anciens combattants de la guerre civile libérienne dans toutes les neuf régions côtières et de nombreuses épouses de combattants de guerre décédés sont également employées dans ce secteur.

Le sous-secteur artisanal comprend 3 000 pirogues (allant jusqu’à 7 m de long) utilisant des pagaies ou des voiles, avec jusqu’à trois personnes à bord et exploitées par des libériens. Le sous-secteur semi-industriel est composé d’environ 500 plus grandes pirogues (jusqu’à 15 mètres de long), utilisant un petit moteur de 40cv, employant jusqu’à 15 personnes à bord. Les pêcheurs artisans utilisent principalement des hameçons, de longues lignes, des filets maillants, ciblant des espèces comme les barracudas, les maigres tandis que les canots utilisent des filets à anneau et à senne coulissante pour capturer les petits poissons pélagiques et aussi des requins. 

Depuis 2010, les dispositions de la règlementation relative à la pêche incluent une Zone Exclusive Côtière (IEZ) de six milles marins qui protège les activités de la pêche à petite échelle. Cette zone est réservée seulement à l’usage des "activités de la pêche de subsistance, artisanale et semi-industrielle". 

Cette règlementation de 2010 a été adoptée après de nombreuses rencontres consultatives avec les acteurs, avec le soutien du Programme Régional des Pêches en Afrique de l’Ouest (PRAO) financé par la Banque mondiale. Un document de la Banque mondiale de 2016 décrit comment la zone des 6 miles a conduit à une réduction de la pêche industrielle: 

Au Libéria, l'accès des bateaux industriels à la zone de six milles a été interdit, ce qui permet aux pêcheurs artisans de pêcher en toute sécurité dans cette zone. Depuis 2011, les communautés de pêche artisanales libériennes ont connu un changement positif dans l’abondance et la taille des poissons. Le volume total de poissons capturés a plus que doublés par rapport aux niveaux de 2009, tel qu'indiqué par le programme scientifique communautaire et la collecte de données sur l'évaluation des stocks de poissons du PRAO ... Au cours de la mission de la Banque mondiale de janvier 2016, les communautés de pêche locales (à Robertsport) ont expressément exprimé la nécessité de continuer à soutenir ces efforts qui ont diminué les incidents avec les chalutiers et augmenté leurs revenus tirés de la pêche.

Cependant, ce succès a été terni par les plaintes, presque quotidiennes, des pêcheurs artisans concernant des incursions de chalutiers industriels étrangers qui pêchent illégalement dans la Zone Exclusive Côtière (IEZ) de 6 milles. En 2012, le BNF (Bureau des Pêches Nationales) a géré le cas de 38 navires étrangers accusés de pêcher illégalement dans les eaux libériennes. 31 de ces dossiers ont été clos, après payement d’amendes au gouvernement libérien à hauteur de 6,2 million US$ entre 2011 et 2013. Mais les pêcheurs artisanaux se plaignent encore presque quotidiennement. Début 2017, plusieurs bateaux pêchant illégalement ont encore été arrêtés, battant pavillon nigérian, chinois et ghanéen, appartenant à des chinois, hollandais et espagnols.

Le décret N° 84

Le 22 avril 2017, la Présidente du Libéria Ellen Johnson Sirleaf a pris le décret N° 84 relatif à la gestion des Ressources de pêche du Libéria. Le décret souligne que « les ressources de pêche de la République du Libéria ont été sous-utilisées depuis plus d’une décennie et le Gouvernement du Libéria a l’intention de promouvoir l’investissement dans ce secteur pour garantir le développement durable et l’utilisation de cette ressource naturelle ». Le Gouvernement a insisté sur le fait que ce développement des opérations de pêche aidera la balance de paiement du pays et la situation des opérations de change, étant donné que le pays importe environ 50 000 tonnes de poissons par an. 

La moitié de la population libérienne vit le long de la côte, avec 80% de libériens qui dépendent directement de la pêche pour les protéines animales. Toutefois, les libériens consomment une moyenne modeste de 5kg de poisson par habitant par an, tandis que la moyenne des autres pays côtiers d’Afrique subsaharienne est de 17 kg. 

En vertu du décret, il est accordé à la Liberia Maritime Authority (LMA - Autorité Maritime du Libéria)  "la pleine autorité de contrôle, de surveillance et fiscale du Bureau des Pêcheries Nationales et des ressources de pêche du Libéria en attendant la promulgation de la loi sur les Pêches Nationales".  Le décret a chargé la LMA de s’assurer que des dispositions sont prises y compris la réduction de la Zone Côtière Exclusive (IEZ) de six milles nautiques à trois milles nautiques, « pour s’assurer que la pêche industrielle et semi-industrielle puisse reprendre et redevenir viable ». D’autres mesures sont notamment le fait que les navires de pêche d’un tonnage brut inférieur à 500 tonnes sont exempts de frais portuaires; les conditions d’obtention de permis de pêche et le régime fiscal seront également révisés pour faciliter les activités de pêche industrielle. Le Gouvernement a par ailleurs insisté sur le fait que les navires de pêche devront débarquer leurs captures au Libéria, afin que le marché local reçoive davantage de poisson et réduise ainsi les importations de poisson de la Sierra Leone et d’autres pays. 

En 2017, seulement deux chalutiers de pêche démersale, d’origine coréenne, étaient autorisés à pêcher dans la ZEE du Libéria. Jusqu’à ce qu’il signe un accord de pêche du thon avec l’UE, le Libéria n’avait pas d’accord de pêche bilatéral avec un pays tiers, et n’avait pas d’accord privé avec des sociétés individuelles. Il n’existe aucune société mixte avec des compagnies de pêche étrangères, ni de sociétés libériennes disposant d’accords d’affrètement pour les bateaux de pêche étrangers. Cependant, il existe un intérêt considérable pour les navires industriels étrangers d’opérer dans la zone côtière de 6 milles, où leur accès est actuellement interdit, ce qui explique des niveaux élevés de pêche illégale. Le décret, en leur permettant d'accéder à la zone entre 3 et 6 milles, encouragera de nombreux navires souhaitant faire du chalutage dans la zone côtière à acheter une licence.

Réactions au décret

Ce décret a causé de vives inquiétudes au niveau des communautés de pêche. En réponse, LAFA a envoyé une lettre aux Présidents de la Chambre des représentants et du Sénat pour leur expliquer que ce décret « va créer de sérieuses difficultés aux pêcheurs artisans qui travaillent d’arrache-pied mais sont dans la pauvreté ». Les membres de la Chambre des Représentants ont voté unanimement pour que la lettre soit transmise à la Présidence et qu’ils rencontrent la Présidente, à cause de la gravité de la plainte.

L’Union Européenne a également réagi. Dans une lettre adressée à la Présidente Ellen Johnson Sirleaf, l’UE a exprimé sa préoccupation sur les implications du décret 84. Par l’intermédiaire de son Ambassadeur au Libéria, l’UE dit croire que les mesures introduites ne conduiront pas à des investissements durables. Elle a noté que le décret 84 conduira à un épuisement accéléré des stocks de poisson actuels, ce qui entrainera une réduction des opportunités économiques du secteur et l’accroissement de l’insécurité alimentaire. Dans la lettre, l’UE a fait une référence spécifique au paragraphe 2.b du décret qui parle de la réduction de la Zone Côtière Exclusive (IEZ) de 6 milles à 3 milles, ainsi qu’au paragraphe 2.c qui stipule que les ressources de pêche à capturer ne doivent pas excéder 100 000 tonnes par an. Selon l’UE, les mesures ne semblent pas être basées sur le principe de précaution du code de conduite de la FAO pour une pêche responsable.

L'UE termine en soulignant son dialogue continu avec la Banque mondiale concernant ce décret. En effet, les impacts de mesures comme la réduction de la zone IEZ risquent de nuire au travail accompli par le gouvernement du Libéria avec le soutien de la Banque mondiale.

LAFA, avec le soutien de la CAOPA, - la Confédération Africaine des Organisations Professionnelles de la Pêche Artisanale dont elle est membre-, a également pris l’initiative de rencontrer les décideurs libériens, y compris l’Autorité Maritime du Libéria (LMA) et le Bureau National des Pêches (BNF). Le BNF a confirmé que le gouvernement n’a pas encore mis en œuvre le décret; et que la mise en œuvre débuterait par un an d’essai. Le Commissaire de la LMA a exprimé sa disponibilité à rencontrer la LAFA pour échanger sur les mesures stratégiques à examiner, avant la mise en œuvre, pour éviter les conflits entre chalutiers et pêcheurs artisans, et pour prévenir et empêcher la pêche INN et la surpêche.

Cela est quelque peu rassurant pour LAFA, mais les hommes et les femmes des communautés de pêche artisanale promettent de surveiller de près la situation et de continuer leurs actions envers les décideurs libériens, particulièrement dans le contexte des élections générales d’octobre.

Pour Jerry Blamo, s’adressant à ses collègues à West Point, le décret passe quelque peu à côté de la question, étant donné qu’il ne prend pas en compte le potentiel qu’à le secteur artisan, - que ce soit les petites pirogues ou les plus grandes pirogues semi industrielles- d’apporter plus de poisson aux populations, s’il bénéficie d’un appui adapté:  "L’amélioration des infrastructures de base, comme les équipements sanitaires, de manutention du poisson, les aires de transformation et de stockage des produits transformés artisanalement doivent être une priorité du gouvernement, plutôt que la réduction des droits d’accès des pêcheurs artisans." 


Relations de pêche entre l’UE et le Libéria

Depuis la fin de 2015, l’Union Européenne et la République du Libéria ont un Accord de Partenariat de Pêche Durable (APPD) de 5 ans dans le secteur de la Pêche permettant au bateaux de pêche thoniers de l’UE de pêcher dans la ZEE du Libéria. En retour, l’UE paye au Libéria une compensation annuelle de 650 000 euros, dont 50% sont affectés au soutien de la politique de pêche du Libéria, y compris le renforcement de sa capacité de suivi, contrôle et surveillance de ses pêcheries. 

La pêche INN est une préoccupation majeure dans les relations de pêche entre l’UE et le Libéria: le 23 mai 2017, le Libéria était pré-identifié comme pays tiers ne coopérant pas, selon la réglementation de l’UE, à la lutte contre la pêche illégale, non reportée et non réglementée (INN). La raison donnée par la Commission européenne est que «Le Libéria a le deuxième plus grand registre de transport maritime au monde, qui inclut plus de 100 bateaux de transport de pêche immatriculés sous son pavillon. Les autorités nationales en charge de la pêche n’ont pas l’information ou les moyens de contrôler cette flotte. Ce manque de contrôle a été confirmé par l’inscription d’un de ces bateaux libériens sur la ‘liste noire’ internationale en octobre dernier. Le Libéria a pris des mesures de réforme y compris la révision de ses lois en matière de pêche, mais des progrès tangibles n’ont pas suivi. La Commission espère que la pré-identification va améliorer la sensibilisation politique sur ce sujet et encourager le pays à mettre en œuvre les réformes nécessaires dans la gouvernance des pêches ».

L’Association des Pêcheurs Artisans du Libéria

L’Association des Pêcheurs Artisans du Libéria (LAFA) a été créée en décembre 2009 comme organisation faitière de toutes les associations de pêche représentant les intérêts des communautés de pêche des neuf (9) régions côtières du Libéria avec plus de trente-trois mille (33 000) pêcheurs et un total de cent quatorze (114) communautés de pêche le long de la côte libérienne. Les activités de la LAFA couvrent un éventail de domaines tels que la pêche, la transformation et la conservation, et la commercialisation du poisson.

Pour plus d’informations, vous pouvez contacter LAFA: : liberiaartisanalfishermen@yahoo.com