Lutte de l’UE contre la pêche INN : une transparence accrue est nécessaire

Ce 5 Juin, la Journée Internationale de lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) est célébrée par l’Union européenne. Si l’UE peut se targuer d’avoir une législation ambitieuse en termes de lutte contre la pêche INN, la transparence dans la mise en œuvre de cette législation doit être améliorée.

 Ainsi, lorsque la Commission européenne notifie un pays tiers qu’il pourrait être considéré comme pays non coopérant dans la lutte contre la pêche INN, la Commission fournit à ce pays un plan d’actions qu’elle estime devoir être mises en place pour éviter ‘le carton rouge’, la notification qui entraîne des sanctions importantes, comme un arrêt des importations par l’UE des produits de la pêche de ce pays.

La procédure de notification est stoppée lorsque l’UE estime que le pays tiers à mis en œuvre les mesures nécessaires. Mais sur quelles mesures prises par le pays tiers l’UE se base t’elle pour arrêter la procédure? Difficile à dire vu que ces éléments restent confidentiels. Dès lors, peut-on être sûr que le pays tiers a mis en œuvre toutes les mesures nécessaires pour lutter efficacement contre la pêche INN? Au regard de ce qui s’est passé en Corée du Sud début 2019, rien n’est moins sûr.

 Le cas de la Corée du Sud

 Le 26 novembre 2013, la Commission européenne notifiait à la Corée qu’elle pourrait être considérée comme pays non coopérant dans la lutte contre la pêche INN. Cette décision[1] décrit de manière exhaustive et minutieuse, les manquements de la Corée à l’égard du règlement INN, y compris des opérations de pêche illicites au large des côtes africaines. Un an et demi plus tard, le 29 avril 2015, le Journal Officiel publie une courte notice d’à peine une page où il est dit que la Commission met fin aux démarches en question car « La République de Corée a pris les mesures nécessaires pour faire cesser les activités de pêche INN en question et prévenir toute activité de ce type, rectifiant tout acte ou omission ayant conduit à la notification de la possibilité d’être recensée en tant que pays non coopérant dans la lutte contre la pêche INN » (JO C 142). La Corée était dorénavant lavée des soupçons de favoriser la pêche INN.

Mais, en février 2019, un groupe d’ONG annonçait que le gouvernement coréen avait failli à ses obligations en matière de lutte contre la pêche INN: “Le gouvernement coréen n’a pas sanctionné deux bateaux qui avaient pêché illégalement dans les eaux de l’Antarctique. Les autorités coréennes ont permis au propriétaire de vendre le poisson capturé illégalement, de haute valeur, sur le marché mondial”[2].

 Est-ce là un signe que la Corée, contrairement à ce qui a été annoncé par l’UE en 2015, n’avait pas mis en œuvre toutes les mesures nécessaires pour lutter contre la pêche INN ?

Notre demande d’accès aux documents

Pour en avoir le cœur net, le 20 février 2019, CAPE a demandé à la Commission de communiquer le plan d’action qu’elle avait proposé à la Corée de mettre en œuvre pour éviter d’être recensée comme pays tiers non coopérant, ainsi que le rapport établi par la DG Mare sur base duquel la Commission a mis fin aux démarches engagées à l’égard de la Corée.

La DG MARE nous a répondu le 13 mars 2019 que les documents demandés contenaient des informations très sensibles qui sont au cœur des relations bilatérales avec la Corée pour lutter contre la pêche INN et que le succès du dialogue formel avec ce pays dépendait de la confidentialité des échanges que la Commission avait avec lui. Par conséquent, ces documents ne pouvaient pas être communiqués. Quant au rapport établi par la DG MARE et qui, selon nous, avait nécessairement servi de base pour prendre la décision de mettre fin aux démarches, la DG MARE nous a tout simplement répondu qu’il n’existait pas !

Cette réponse de la DG Mare n’était pas acceptable. Pour quelles raisons la publication du plan d’action mettrait-elle en péril les relations bilatérales avec la Corée, sauf à vouloir cacher au public des éléments qui comporteraient des contradictions avec la décision de mettre fin aux démarches vis-à-vis de ce pays? Et comment croire que cette décision aurait été adoptée sans qu’aucun rapport d’évaluation n’ait été établi, démontrant que les manquements avaient été adressés ?

 Dès lors, conformément au règlement n° 1049/2001 relatif à l’accès du public aux documents des institutions de l’UE, CAPE a décidé de confirmer notre demande d’informations auprès du Secrétariat Général de la Commission, le 25 mars 2019. 

 Celui-ci nous a répondu le 8 mai 2019, en nous transmettant les documents suivants, reconnaissant de fait que le rejet catégorique opposé par la DG MARE à notre première demande n’était pas fondé.

 1) la lettre adressée le 26 novembre 2013 à la Corée avec le plan d’action joint à cette lettre

2) trois documents, correspondant, selon le Secrétariat-Général, à notre demande relative au rapport qui a servi de base pour prendre la décision de mettre fin aux démarches :

i) la « Note to file » établie le 10 mars 2015 à l’issue d’une mission réalisée par une équipe de la DG MARE en Corée les 24 et 25 février 2015,

ii) la note du 17 mars 2015 de la DG MARE au commissaire chargé de la pêche

iii) la lettre du 21 avril 2015 adressée par le commissaire chargé de la pêche au ministre des océans et des pêches en Corée

 Que nous apprennent les documents fournis?

 De nombreux passages essentiels des documents envoyés sont masqués. Cela nous empêche de connaître le détail des raisons qui ont abouti, pour la Commission, à stopper la procédure de notification engagée par rapport à la Corée en 2013.

Dans la lettre adressée au Ministre des Océans et des Pêches de Corée, on relève seulement que la Corée a révisé le cadre juridique de l’exercice de la pêche en adoptant une loi sur le développement des pêches lointaines, en actualisant le système de gestion des pêches, en renforçant le respect des obligations relatives aux Etats du port, mais sans décrire les éléments concrets menant à cette appréciation.

 Une chose est claire cependant: la position de la Commission manque de cohérence.

En effet, la lettre du 26 novembre 2013 était explicite: toutes les mesures proposée dans le plan d’action devaient être prises, sans exception[3]. Dans la notice publiée au Journal officiel en 2015, annonçant l’arrêt des démarches, il est d’ailleurs indiqué que la Corée “a pris les mesures nécessaires pour faire cesser les activités de pêche INN et en prévenir de nouvelles, et qu’elle a rectifié tout acte ou omission ayant conduit à la notification de la possibilité d’être recensée comme pays non coopérant dans la lutte contre pêche INN”.

Mais alors, pourquoi, dans la réponse du Secrétariat général de la Commission que nous avons reçue le 9 mai 2019, nous est-il répondu que « l’évaluation dans le cadre de la Réglementation (CE) N°1005/2008 est en cours »[4]?

De deux choses l’une : soit le plan d’action a été correctement mis en œuvre, soit il ne l’a pas été dans sa totalité. Puisque l’évaluation est toujours en cours, cela veut dire que la deuxième hypothèse est la plus probable.

Les démarches visant à notifier la Corée comme partie non coopérante dans la lutte contre la pêche INN auraient donc été arrêtées sans que le plan d’action proposé par la Commission soit mis en œuvre dans l’ensemble de ses éléments, contrairement à ce qui était requis.

 Au-delà de cette constatation, il est très regrettable que la Commission refuse de nous communiquer les éléments qui nous auraient permis d’élaborer notre propre appréciation sur la réelle volonté – ou non – de la Corée de lutter contre la pêche INN.

Cette décision n’est pas fondée en droit. Etant donné que la décision d’entreprendre des démarches a fait l’objet d’une décision motivée publiée au Journal officiel, la décision d’y mettre fin doit, en toute logique juridique, faire de la même manière l’objet d’une décision motivée publiée dans le Journal officiel. La simple notice d’information qui a été publiée ne correspond pas à ce qui est requis.

 La Commission justifie son attitude par le fait que la divulgation des informations contenues dans les passages masqués des documents qui nous ont été remis porterait atteinte à la protection de l’intérêt public en ce qui concerne les relations internationales[5]:

 La position de la Commission est assez étonnante.

En effet, alors que la décision d’engager des démarches, telle que publiée au Journal officiel, contient des appréciations très sévères à l’égard de la Corée, en revanche, la publication d’éléments qui sont censés montrer les progrès faits par ce pays pour mettre en œuvre le plan d’action proposé porterait atteinte aux relations que l’UE a avec lui? Cela est plutôt contradictoire.

En ne divulguant pas ces éléments, la Commission agit en réalité comme si les progrès constatés sont en réalité bien moins significatifs que cela a été annoncé officiellement.

Le cas de la Corée du Sud montre combien il est nécessaire que la Commission européenne publie les plans d’action proposés aux états tiers en passe d’être notifiés comme parties non coopérantes, ainsi que la publication des actions prises par ces Etats tiers, en particulier lorsque cela résulte dans l’arrêt de la procédure.

Ceci est essentiel pour garantir l’efficacité de la réglementation de l’UE pour lutter contre la pêche INN, et, lorsque la procédure de notification concerne des activités illégales de pêche lointaine de pays tiers, pour contribuer à protéger les communautés côtières des pays en développement, qui sont souvent les premières victimes de ces activités illégales.


[1] publiée au Journal officiel de l’UE, JO C 346 du 27 novembre 2013 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32013D1127(02)&from=FR

[2] https://ejfoundation.org/news-media/2019/korean-government-allows-illegally-caught-fish-onto-global-seafood-market-1

[3] « As a consequence, the Commission invites the Republic of Korea : 1. to take all necessary measures to implement the actions contained in the action plan. … »

[4] « … the evaluation under Regulation (EC) No 1005/2008 is fully ongoing. » (page 7)

[5] « The EU main interest is to encourage the Republic of Korea (as well as other third countries) to comply with the relevant international obligations in a smooth and peaceful manner without recourse to more onerous international dispute settlement procedures and without any further interference that might aggravate the dispute.

In this context, an atmosphere of trust and confidentiality is a prerequisite for a successful completion of the dialogue with the country concerned in the perspective of inducing them to comply with their conservation and cooperation obligations. The breach of the trust would jeopardise the relations between the EU and the countries concerned. Disclosure of information included in the internal documents and concerning the assessment of the compliance of third countries with their international obligations would compromise the EU objective of resolving this matter with these countries in a cooperative manner and in a climate of mutual trust and in a long standing perspective.

Disclosure of the information relating to internal national reform processes could also be detrimental to legitimate trade flows between the parties and put at stake the credibility of the Republic of Korea as fish supplier at global level. » (cf. p. 6)