Depuis 2010, le Sénégal est très sollicité par des chalutiers pélagiques russes pour avoir accès aux petits pélagiques sénégalais. Ces chalutiers sont autorisés à pêcher au Maroc, en Mauritanie et en Guinée Bissau mais pas dans la ZEE du Sénégal.
Devant les réticences des autorités sénégalaises à négocier un accord de pêche avec la Fédération de Russie, les armateurs russes ont trouvé l’alternative: faire affréter leurs bateaux par des sociétés privées, qui, par l’intermédiaire d’un co-signataire local, ont signé des protocoles leur accordant des droits de pêche.
Ces protocole d’accord entre le Sénégal et des sociétés privées étrangères ne sont pas conformes à la législation en vigueur au Sénégal, qui stipule que les navires de pêche battant pavillon étranger sont autorisés à opérer dans les eaux sous juridiction sénégalaise soit dans le cadre d'un accord de pêche liant le Sénégal à l'Etat du pavillon ou à l'organisation qui représente cet Etat, soit lorsqu'ils sont affrétés par des personnes de nationalité sénégalaise.
En d’autres termes, la loi n’autorise pas la signature de protocoles entre le Sénégal et des sociétés privées, comme ce qui a été fait avec les chalutiers russes. De plus, aucun de ces protocoles n’a été ratifié par l’Assemblée nationale, promulgué par le Président de la République, encore moins publié au journal officiel de la République du Sénégal.
En toute illégalité, le ministre de l’Economie maritime en fonction en 2010 a donc octroyé des avantages outranciers aux chalutiers pélagiques russes: ces navires ont notamment été dispensés d’embarquer des marins sénégalais; dispensés aussi du paiement des redevances dues au titre des licences de pêche. Le manque à gagner pour l’Etat à cet égard, pour les 29 chalutiers impliqués, était de près de 9 millions de francs CFA sur base de licences annuelles.
De plus, alors que l’heure est à la lutte contre la pêche INN, des navires surpris en action de pêche dans une zone interdite ou ayant camouflé leurs marquages pour se rendre non indentifiables, ont vu leurs amendes annulées par le Ministre, alors que les délits commis sont parmi les plus graves.
Telle était la situation au moment de l’élection d’un nouveau président de la République, le 25 mars 2012. Se conformant à un engagement pris pendant la campagne électorale, celui-ci a fait annuler toutes licences délivrées sur base illégale aux chalutiers pélagiques étrangers.
Mais pour ce qui est du nouveau ministre chargé de la pêche, il n’a jamais manifesté la volonté de mettre un terme aux activités des bateaux russes dans les eaux sénégalaise. Déjà, fin avril 2012, il précisait que des autorisations de pêche continueraient à être accordées mais en tenant compte des ressources et des intérêts de l’Etat: ‘Avec les experts, nous allons étudier le nombre d’autorisations de pêche à octroyer ».
Le sujet s’est aussi invité au Conseil des Ministre de Décembre 2012, au cours duquel le président de la République ‘a décidé de prolonger le repos biologique sur nos espaces maritimes, en gelant l’octroi de licences de pêche à des armateurs étrangers, pour une durée d’au moins un an.
En Juin 2013, à l’issue d’un conseil interministériel sur la pêche, la recommandation suivante fut adoptée: « Maintenir l’arrêt des autorisations de pêche aux chalutiers pélagiques jusqu’à ce qu’une évaluation de cette opération soit réalisée. Cette évaluation devra notamment cerner les impacts de cette opération au plan biologique et budgétaire, sur les administrations et le climat social dans le secteur de la pêche’.
Une question se pose : une opération illégale est-elle à évaluer’?
Actuellement, la saison de pêche des petits pélagiques a commencé. Pour contrer les difficultés à obtenir des licences, le représentant au Sénégal de l’Agence Fédérale de Russie pour la Pêche, a rappelé sur le plateau d’une télévision locale, que la partie russe ‘était dans l’attente des résultats de l’évaluation annoncée à l’occasion du Conseil interministériel sur la pêche tenu le 18 juin 2013’.
Une autre question se pose : pour des ressources partagées comme les petits pélagiques, que vaut une évaluation concernant le Sénégal seul, dès lors que des évaluations concernant toute la zone d’évolution de ces ressources partagées sont disponibles grâce au groupe de travail FAO/COPACE qui depuis plus de 12 ans suit l’évolution du stock de petits poissons pélagiques ?
Nous devons rester vigilants en souhaitant que le nouveau ministre nommé en septembre dernier tienne compte des recommandations de ce groupe de travail FAO/COPACE, composé des plus éminents biologistes des pêches des pays côtiers et des pays qui pêchent le long de la côte nord-ouest africaine. Ce groupe de travail ne cesse de rappeler et recommander que les ressources pélagiques côtières sont surexploitées et que l’effort de pêche doit être réduit d’au moins 50%.
Il n’y a pas de ‘surplus’ qui peut être cédé et les russes doivent être gentiment mais fermement invités à aller pêcher ailleurs.
Dr Sogui DIOUF
Vétérinaire
soguidiouf@gmail.com