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Un nouveau rapport de la Fondation Changing Markets souligne la catastrophe provoquée par les usines de farine de poisson en Gambie

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Dimension extérieure de la Politique commune de la pêche : Une étude du Parlement européen propose que l'allocation des ressources donne la priorité à la durabilité

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Comment BP fore dans l'un des plus grands récifs coralliens d’eau profonde du monde

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La Commission retarde encore l'enquête sur les présumées activités illégales par des navires battant pavillon italien

En février 2019, plusieurs ONG ont déposé une plainte demandant à l'UE d'engager une procédure d'infraction contre l'Italie pour non-respect de ses obligations en matière de surveillance. 

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Meilleures pratiques dans les chaînes de valeur du poisson : un guide spécifique pour la pêche artisanale est nécessaire

CAPE et CAOPA commentent le document d'orientation de la FAO sur la responsabilité sociale dans les chaînes de valeur de la pêche et de l'aquaculture lors de la consultation publique

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Nouveau protocole de l'accord de pêche durable entre l'UE et le Sénégal: les organisations de pêche artisanale demandent une stratégie régionale

La CAPE soutient la demande de la CAOPA et APRAPAM pour une approche concertée dans la gestion des stocks partagés comme les petits pélagiques et le merlu

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Lutte de l’UE contre la pêche INN : une transparence accrue est nécessaire

Ce 5 Juin, la Journée Internationale de lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) est célébrée par l’Union européenne. Si l’UE peut se targuer d’avoir une législation ambitieuse en termes de lutte contre la pêche INN, la transparence dans la mise en œuvre de cette législation doit être améliorée.

 Ainsi, lorsque la Commission européenne notifie un pays tiers qu’il pourrait être considéré comme pays non coopérant dans la lutte contre la pêche INN, la Commission fournit à ce pays un plan d’actions qu’elle estime devoir être mises en place pour éviter ‘le carton rouge’, la notification qui entraîne des sanctions importantes, comme un arrêt des importations par l’UE des produits de la pêche de ce pays.

La procédure de notification est stoppée lorsque l’UE estime que le pays tiers à mis en œuvre les mesures nécessaires. Mais sur quelles mesures prises par le pays tiers l’UE se base t’elle pour arrêter la procédure? Difficile à dire vu que ces éléments restent confidentiels. Dès lors, peut-on être sûr que le pays tiers a mis en œuvre toutes les mesures nécessaires pour lutter efficacement contre la pêche INN? Au regard de ce qui s’est passé en Corée du Sud début 2019, rien n’est moins sûr.

 Le cas de la Corée du Sud

 Le 26 novembre 2013, la Commission européenne notifiait à la Corée qu’elle pourrait être considérée comme pays non coopérant dans la lutte contre la pêche INN. Cette décision[1] décrit de manière exhaustive et minutieuse, les manquements de la Corée à l’égard du règlement INN, y compris des opérations de pêche illicites au large des côtes africaines. Un an et demi plus tard, le 29 avril 2015, le Journal Officiel publie une courte notice d’à peine une page où il est dit que la Commission met fin aux démarches en question car « La République de Corée a pris les mesures nécessaires pour faire cesser les activités de pêche INN en question et prévenir toute activité de ce type, rectifiant tout acte ou omission ayant conduit à la notification de la possibilité d’être recensée en tant que pays non coopérant dans la lutte contre la pêche INN » (JO C 142). La Corée était dorénavant lavée des soupçons de favoriser la pêche INN.

Mais, en février 2019, un groupe d’ONG annonçait que le gouvernement coréen avait failli à ses obligations en matière de lutte contre la pêche INN: “Le gouvernement coréen n’a pas sanctionné deux bateaux qui avaient pêché illégalement dans les eaux de l’Antarctique. Les autorités coréennes ont permis au propriétaire de vendre le poisson capturé illégalement, de haute valeur, sur le marché mondial”[2].

 Est-ce là un signe que la Corée, contrairement à ce qui a été annoncé par l’UE en 2015, n’avait pas mis en œuvre toutes les mesures nécessaires pour lutter contre la pêche INN ?

Notre demande d’accès aux documents

Pour en avoir le cœur net, le 20 février 2019, CAPE a demandé à la Commission de communiquer le plan d’action qu’elle avait proposé à la Corée de mettre en œuvre pour éviter d’être recensée comme pays tiers non coopérant, ainsi que le rapport établi par la DG Mare sur base duquel la Commission a mis fin aux démarches engagées à l’égard de la Corée.

La DG MARE nous a répondu le 13 mars 2019 que les documents demandés contenaient des informations très sensibles qui sont au cœur des relations bilatérales avec la Corée pour lutter contre la pêche INN et que le succès du dialogue formel avec ce pays dépendait de la confidentialité des échanges que la Commission avait avec lui. Par conséquent, ces documents ne pouvaient pas être communiqués. Quant au rapport établi par la DG MARE et qui, selon nous, avait nécessairement servi de base pour prendre la décision de mettre fin aux démarches, la DG MARE nous a tout simplement répondu qu’il n’existait pas !

Cette réponse de la DG Mare n’était pas acceptable. Pour quelles raisons la publication du plan d’action mettrait-elle en péril les relations bilatérales avec la Corée, sauf à vouloir cacher au public des éléments qui comporteraient des contradictions avec la décision de mettre fin aux démarches vis-à-vis de ce pays? Et comment croire que cette décision aurait été adoptée sans qu’aucun rapport d’évaluation n’ait été établi, démontrant que les manquements avaient été adressés ?

 Dès lors, conformément au règlement n° 1049/2001 relatif à l’accès du public aux documents des institutions de l’UE, CAPE a décidé de confirmer notre demande d’informations auprès du Secrétariat Général de la Commission, le 25 mars 2019. 

 Celui-ci nous a répondu le 8 mai 2019, en nous transmettant les documents suivants, reconnaissant de fait que le rejet catégorique opposé par la DG MARE à notre première demande n’était pas fondé.

 1) la lettre adressée le 26 novembre 2013 à la Corée avec le plan d’action joint à cette lettre

2) trois documents, correspondant, selon le Secrétariat-Général, à notre demande relative au rapport qui a servi de base pour prendre la décision de mettre fin aux démarches :

i) la « Note to file » établie le 10 mars 2015 à l’issue d’une mission réalisée par une équipe de la DG MARE en Corée les 24 et 25 février 2015,

ii) la note du 17 mars 2015 de la DG MARE au commissaire chargé de la pêche

iii) la lettre du 21 avril 2015 adressée par le commissaire chargé de la pêche au ministre des océans et des pêches en Corée

 Que nous apprennent les documents fournis?

 De nombreux passages essentiels des documents envoyés sont masqués. Cela nous empêche de connaître le détail des raisons qui ont abouti, pour la Commission, à stopper la procédure de notification engagée par rapport à la Corée en 2013.

Dans la lettre adressée au Ministre des Océans et des Pêches de Corée, on relève seulement que la Corée a révisé le cadre juridique de l’exercice de la pêche en adoptant une loi sur le développement des pêches lointaines, en actualisant le système de gestion des pêches, en renforçant le respect des obligations relatives aux Etats du port, mais sans décrire les éléments concrets menant à cette appréciation.

 Une chose est claire cependant: la position de la Commission manque de cohérence.

En effet, la lettre du 26 novembre 2013 était explicite: toutes les mesures proposée dans le plan d’action devaient être prises, sans exception[3]. Dans la notice publiée au Journal officiel en 2015, annonçant l’arrêt des démarches, il est d’ailleurs indiqué que la Corée “a pris les mesures nécessaires pour faire cesser les activités de pêche INN et en prévenir de nouvelles, et qu’elle a rectifié tout acte ou omission ayant conduit à la notification de la possibilité d’être recensée comme pays non coopérant dans la lutte contre pêche INN”.

Mais alors, pourquoi, dans la réponse du Secrétariat général de la Commission que nous avons reçue le 9 mai 2019, nous est-il répondu que « l’évaluation dans le cadre de la Réglementation (CE) N°1005/2008 est en cours »[4]?

De deux choses l’une : soit le plan d’action a été correctement mis en œuvre, soit il ne l’a pas été dans sa totalité. Puisque l’évaluation est toujours en cours, cela veut dire que la deuxième hypothèse est la plus probable.

Les démarches visant à notifier la Corée comme partie non coopérante dans la lutte contre la pêche INN auraient donc été arrêtées sans que le plan d’action proposé par la Commission soit mis en œuvre dans l’ensemble de ses éléments, contrairement à ce qui était requis.

 Au-delà de cette constatation, il est très regrettable que la Commission refuse de nous communiquer les éléments qui nous auraient permis d’élaborer notre propre appréciation sur la réelle volonté – ou non – de la Corée de lutter contre la pêche INN.

Cette décision n’est pas fondée en droit. Etant donné que la décision d’entreprendre des démarches a fait l’objet d’une décision motivée publiée au Journal officiel, la décision d’y mettre fin doit, en toute logique juridique, faire de la même manière l’objet d’une décision motivée publiée dans le Journal officiel. La simple notice d’information qui a été publiée ne correspond pas à ce qui est requis.

 La Commission justifie son attitude par le fait que la divulgation des informations contenues dans les passages masqués des documents qui nous ont été remis porterait atteinte à la protection de l’intérêt public en ce qui concerne les relations internationales[5]:

 La position de la Commission est assez étonnante.

En effet, alors que la décision d’engager des démarches, telle que publiée au Journal officiel, contient des appréciations très sévères à l’égard de la Corée, en revanche, la publication d’éléments qui sont censés montrer les progrès faits par ce pays pour mettre en œuvre le plan d’action proposé porterait atteinte aux relations que l’UE a avec lui? Cela est plutôt contradictoire.

En ne divulguant pas ces éléments, la Commission agit en réalité comme si les progrès constatés sont en réalité bien moins significatifs que cela a été annoncé officiellement.

Le cas de la Corée du Sud montre combien il est nécessaire que la Commission européenne publie les plans d’action proposés aux états tiers en passe d’être notifiés comme parties non coopérantes, ainsi que la publication des actions prises par ces Etats tiers, en particulier lorsque cela résulte dans l’arrêt de la procédure.

Ceci est essentiel pour garantir l’efficacité de la réglementation de l’UE pour lutter contre la pêche INN, et, lorsque la procédure de notification concerne des activités illégales de pêche lointaine de pays tiers, pour contribuer à protéger les communautés côtières des pays en développement, qui sont souvent les premières victimes de ces activités illégales.


[1] publiée au Journal officiel de l’UE, JO C 346 du 27 novembre 2013 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32013D1127(02)&from=FR

[2] https://ejfoundation.org/news-media/2019/korean-government-allows-illegally-caught-fish-onto-global-seafood-market-1

[3] « As a consequence, the Commission invites the Republic of Korea : 1. to take all necessary measures to implement the actions contained in the action plan. … »

[4] « … the evaluation under Regulation (EC) No 1005/2008 is fully ongoing. » (page 7)

[5] « The EU main interest is to encourage the Republic of Korea (as well as other third countries) to comply with the relevant international obligations in a smooth and peaceful manner without recourse to more onerous international dispute settlement procedures and without any further interference that might aggravate the dispute.

In this context, an atmosphere of trust and confidentiality is a prerequisite for a successful completion of the dialogue with the country concerned in the perspective of inducing them to comply with their conservation and cooperation obligations. The breach of the trust would jeopardise the relations between the EU and the countries concerned. Disclosure of information included in the internal documents and concerning the assessment of the compliance of third countries with their international obligations would compromise the EU objective of resolving this matter with these countries in a cooperative manner and in a climate of mutual trust and in a long standing perspective.

Disclosure of the information relating to internal national reform processes could also be detrimental to legitimate trade flows between the parties and put at stake the credibility of the Republic of Korea as fish supplier at global level. » (cf. p. 6)

La crise climatique dans les pêcheries africaines: l'UE doit mettre fin aux investissements dans les énergies fossiles

Avec une croissance alarmante des investissements dans le pétrole et le gaz offshore en Afrique, il est temps que l'UE accepte de réformer son partenariat énergétique Afrique-UE et s'engage à mettre fin à tout financement public des combustibles fossiles en Afrique.

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Notre nouveau rapport fournit une évaluation critique du programme de croissance bleue et expose les prémices d’une solution de remplacement, fondée sur le concept des «biens communs bleus».

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Négociation des Accords de Pêche UE-Mauritanie et UE-Sénégal: la pêche artisanale plaide pour une approche concertée

Les 23 et 24 janvier 2019, la Confédération Africaine des Organisations de Pêche artisanale (CAOPA) a organisé à M’Bour (Sénégal) un atelier pour une approche concertée des négociations des accords de pêche en 2019 entre l’UE, le Sénégal et la Mauritanie.

L’atelier a réuni près d’une vingtaine de participants : représentant(e)s des organisations nationales de pêche artisanale de Mauritanie, du Sénégal, ainsi que des professionnels, hommes et femmes de Gambie, Guinée-Bissau et Côte d’Ivoire, qui ont partagé leurs expériences des accords de pêche. L’Institut de recherches IMROP était également représenté, ainsi que les partenaires de CAOPA. Après les deux jours de débats, une série de priorités ont été retenues pour les négociations.

 

PRIORITES POUR LES NEGOCIATIONS

Les participants plaident pour que l’UE, la Mauritanie et le Sénégal envisagent les négociations pour le renouvellement des protocoles d’APPD de façon concertée sur les aspects suivants :

1)   Accès aux ressources

1.1.          Accès aux petits pélagiques

Pour ce qui est des protocoles existants, il est très positif que les flottes de chalutiers pélagiques de l’UE n’aient pas accès aux petits pélagiques au Sénégal, et que leur zone de pêche ait été éloignée des côtes dans le cadre du protocole avec la Mauritanie afin d’empêcher leur accès à la sardinelle.

Si les protocoles devaient être renouvelés en 2019, il est important de conserver ces acquis, qui devraient s’appliquer à toutes les flottes d’origine étrangère.

Cependant, notre plus grande préoccupation concernant les petits pélagiques reste le fait qu’un accès aux sardinelles et chinchards soit alloué aux flottes étrangères, notamment celles de l’UE, de la Russie, de la Turquie, de la Chine (Poly Hondone) en l’absence d’un cadre régional de gestion, alors que les stocks de sardinelles et de chinchards sont considérés comme surexploités.

Comment peut-on identifier un surplus, - base pour la signature d'un accord de partenariat de pêche avec l’UE-, en l’absence de cette gestion régionale? Si des étapes décisives ne sont pas mises en place pour une gestion régionale, nous estimons que ces ressources ne devraient pas faire l’objet d’une discussion sur l’accès des flottes européennes dans le cadre d’un futur protocole avec la Mauritanie.

La première de ces étapes, que l’UE doit soutenir dans le cadre des partenariats, c’est l’amélioration de la recherche sur les ressources de petits pélagiques[1], et le développement, avec des moyens financiers et humains adéquats, d’une collaboration ambitieuse entre les instituts de recherche : cette collaboration devrait inclure le dialogue entre chercheurs et professionnels de la pêche, surtout artisanale, pour prendre en considération les connaissances empiriques des professionnels, mais aussi pour améliorer les données sur l’effort de pêche local. De plus, étant donné l’importance sociale, économique, en termes de sécurité alimentaire de l’exploitation de ces ressources, ces autres aspects devraient également être étudiés.

Ensuite, les négociations avec le Sénégal et la Mauritanie sont également l’occasion de soutenir une concertation entre ces pays pour fixer des limites de captures et se partager ces captures.  En effet, même si des propositions en matière de gestion ont été faites par la CSRP, même si tant le Sénégal que la Mauritanie ont ratifié la Convention sur les Conditions Minimales d’Accès de la CSRP, qui appelle à cette gestion concertée des stocks partagés, rien n’existe concrètement aujourd’hui en la matière[2].

Dans ce cadre, la CAOPA se propose de réunir la Commission mixte des professionnels de la pêche artisanale de Mauritanie et du Sénégal, qui a été mise sur pied en 2008 pour accompagner la mise en œuvre de l’accord de pêche Mauritanie-Sénégal, afin que les professionnels plaident auprès de leurs états respectifs pour une gestion concertée de ces ressources partagées. La CAOPA se propose également de mettre en place une commission mixte de professionnels de la pêche artisanale sénégalaise et gambienne dans le même but.

L’explosion du nombre d’usines de farine de poisson en Mauritanie mais aussi au Sénégal continue de favoriser une demande élevée pour les petits pélagiques, en particulier les sardinelles[3]

La question de la légalité des agréments d’exploitation donné à ces usines se pose tant en Mauritanie qu’au Sénégal.

D’après une organisation de pêcheurs locaux (FLPA), en Mauritanie, une usine ne peut avoir d’agrément que pour transformer en farine les déchets de poisson, ce qui est loin d’être le cas actuellement. Au Sénégal, il semble que des usines en activité n’aient pas réalisé les études d’impacts indispensables à l’obtention de leur agrément.

Etant donné que les accords de partenariat de l’UE veulent se fonder sur la promotion de la bonne gouvernance, il est important pour l’UE d’obtenir une clarification sur ce point

1.2.          Accès au merlu

Le stock de merlus noirs est aujourd’hui considéré par le COPACE comme une ressource partagée entre le Maroc, la Mauritanie, le Sénégal et la Gambie. Les chiffres récents de la FAO indiquent une surexploitation: 17.000 tonnes de captures dans toute la sous-région pour un potentiel de 10.900 tonnes.

En Mauritanie, un problème particulier est que les prises accessoires de merlus réalisées par d’autres bateaux de pêche démersale et pélagique atteignent, voire dépassent les captures ciblées de merlu.

Cette espèce faisant partie des ressources couvertes par les protocoles avec le Sénégal et la Mauritanie (et la Gambie et le Maroc), l’UE doit mettre en place, dans le cadre des négociations, une stratégie pour favoriser une exploitation durable de cette ressource.

Au niveau du Sénégal, les pêcheurs locaux s’étonnent de la qualification de cette pêche sous accord (2 chalutiers espagnols) comme étant « expérimentale », alors que plusieurs chalutiers d’origine espagnole (repavillonnés sénégalais) ont été actifs dans cette pêcherie depuis plusieurs années.

D’autre part, ils s’inquiètent de la compétition possible avec la pêcherie saisonnière de merlu à Cayar.

Au vu des données existantes, il semble peu probable qu’il existe un surplus qui peut être attribué aux bateaux européens.

1.3.          Développement d’une pêche artisanale au thon

Bien que les flottilles artisanales mauritaniennes et sénégalaises ne ciblent pas les thons hauturiers, la pêche artisanale capture une quantité limitée de thons, et les organisations du secteur estiment qu’il serait important de voir les possibilités de développer une pêche thonière artisanale dans les années qui viennent.

En Mauritanie, la pêche artisanale a capturé jusqu’à 1600 tonnes de thons mineurs par an ces dernières années, et au Sénégal, il y a aussi des captures occasionnelles de thon (et plusieurs pirogues à Dakar essaient de se spécialiser pour le thon).

L’UE devrait encourager la réflexion au niveau de la région pour le développement d’une pêcherie thonière artisanale, et encourager le dépôt par la Mauritanie et le Sénégal, au niveau de la CICTA, de plans de développement durable d’une telle pêcherie.

 

2)   Appui sectoriel

Le problème principal, c’est le manque de transparence dans les choix pour l’affectation et dans l’utilisation des fonds de l’appui sectoriel. Les rapports annuels des pays pour l’Union européenne ne sont pas rendus publics, et les actions entreprises avec l’argent de l’appui sectoriel ne sont pas identifiées comme telles. Il faut remédier à ces problèmes si les protocoles d’accords de partenariat sont renouvelés en 2019.

Il n’y a pas non plus de consultation des communautés côtières, même lorsque la pêche artisanale est listée comme bénéficiaire de l’appui sectoriel.

Même si les montants de l’appui sectoriels sont modestes (surtout dans le cas d’un accord essentiellement thonier come le Sénégal), ils peuvent néanmoins permettre de soutenir des actions clés pour le développement du secteur, à l’exemple de ce qui va se faire en Côte d’Ivoire (renforcement d’un système de crédit pour les femmes) ou en Mauritanie (appui pour la construction d’un port artisanal).

 

3)   Constitution de sociétés mixtes

Tant le protocole avec le Sénégal que celui avec la Mauritanie encouragent, le cas échéant, la constitution de sociétés mixtes. Les investissements privés européens sont aussi appelés à jouer un rôle important dans le futur partenariat UE-Afrique[4] .

Or, les négociations de partenariat de pêche avec le Sénégal et la Mauritanie sont l’occasion pour l’UE et ses partenaires d’entamer un dialogue public, incluant leurs secteurs de la pêche respectifs, y compris la pêche artisanale, pour définir un cahier des charges/un cadre réglementaire assurant que les sociétés mixtes contribuent au développement d’une pêche durable. Ce cadre devrait être basé sur un ensemble de principes pour s'assurer que les sociétés mixtes opèrent de façon transparente; n’entrent pas en compétition avec la pêche artisanale locale; sont en ligne avec les objectifs de développement durable de la pêche.

Ce cadre réglementaire devrait s'assurer que les sociétés mixtes dans le secteur de la pêche au Sénégal et en Mauritanie: contribuent au progrès économique, social et à la conservation des écosystèmes; respectent les droits fondamentaux des personnes touchées par ces investissements; encouragent la formation et la création d'emplois, en particulier pour les femmes et des jeunes dans le secteur; ne bénéficient pas de dispenses ou d’exemptions concernant le respect des lois en matière de pêche, d'environnement, de santé, de travail, de fiscalité, etc

De plus, tout futur investissement à travers une société mixte devrait se baser sur une évaluation complète des conditions techniques environnementales, économiques et sociales locales; un bilan des sociétés mixtes existantes doit être fait sur ces aspects, car nombre d’entre elles fonctionnent de façon opaque et ne contribuent pas à une filière pêche durable. 

 

4)   Transparence/Information/Participation

La situation reste insatisfaisante dans les deux pays en ce qui concerne la connaissance de l’effort de pêche global. L’inclusion de l’article sur la transparence dans le dernier protocole avec la Mauritanie est un pas positif, qui devrait être généralisé dans les protocoles avec les autres pays. Cependant, il faut reconnaître qu’encore aujourd’hui, le contenu des divers accords signés par la Mauritanie avec des entités étrangères n’est pas encore publié.

Au niveau de l’UE, de nombreux efforts ont été faits en matière de transparence, avec les textes des protocoles, des comités scientifiques conjoints maintenant disponibles. Une amélioration consisterait à publier les compte-rendus des commissions mixtes, ainsi que les rapports annuels des pays partenaires sur la mise en œuvre de l’appui sectoriel.

En termes de participation, des avancées importantes ont été enregistrées, avec, par exemple, la participation des professionnels de la pêche artisanale mauritanienne aux négociations (cela a aussi été le cas en Côte d’Ivoire). Malheureusement, au Sénégal, les professionnels sont encore tenus à l’écart des négociations.

 

Autres commentaires pour l’accord avec la Mauritanie

 

Un des points positifs les plus importants dans le dernier protocole a été la modification du zonage visant principalement à protéger les fonds de moins de 20 mètres des activités de chalutage et à réduire les interactions potentielles entre flottilles de l'Union européenne et flottilles mauritaniennes de pêche artisanale et côtière. Si le protocole devait être renouvelé en 2019, Il est important de conserver cet acquis, et de faire en sorte que les moyens de surveillance soient suffisants pour une mise en oeuvre efficace de ce zonage.

 

En ce qui concerne le poulpe, le document de Stratégie de Développement pour le secteur de la pêche 2015-2019 de la Mauritanie insistait sur le fait que, ‘malgré un redressement observé récemment, l’état des stocks du poulpe est toujours préoccupant avec des niveaux de surexploitation estimés à 17%’. Dans ce contexte, il est positif qu'il n'y ait pas d'accès direct des flottes européennes à cette ressource si importante pour la pêche artisanale locale. Le fait qu’il n’y ait pas d’accès au poulpe a vraiment donné un coup de fouet à la pêche locale, notamment artisanale (même si les difficultés de la SMCP d’écouler le produit pèsent sur les revenus des pêcheurs).

 

L’embarquement des marins devrait être lié avec une obligation de formation de ces marins (formation en techniques de pêche, mais aussi en sécurité à bord, etc)

 

 


[1] Pour ce qui est du CRODT, nous avons été informés que cet institut de recherches n’a pas reçu les fonds qui lui sont attribués dans le budget de l’Etat du Sénégal depuis 2015. Cette situation n’est pas admissible si l’UE considère que le CRODT est le référent sénégalais en matière de recherche halieutique dans le cadre du partenariat pour une pêche durable avec le Sénégal.

[2] Lors de la réunion des OP à Mbour, il a été proposé de relancer la commission mixte FNP/CONIPAS, active entre 2008 et 2011, pour promouvoir ensemble cette gestion concertée au niveau de leurs gouvernements respectifs.

[3] La décision récente du gouvernement mauritanien de limiter la quantité de sardinelle ronde destinée à la farine à 10.000 tonnes par usine/an (qui sera réduite progressivement dans les années à venir) est loin d’être une mesure suffisante. Sur ce point, voir  https://cape-cffa.squarespace.com/new-blog/2018/10/15/round-sardinella-key-for-food-security-in-west-africa-is-further-declining  

[4] Voir Discours sur l’Etat de l’Union 2018 http://europa.eu/rapid/press-release_IP-18-5702_en.htm

La pêche artisanale africaine et des ONG portent plainte auprès de l'UE contre l'Italie qui ferme les yeux sur les activités illégales de ses chalutiers en Afrique de l'Ouest

La Coalition pour des Accords de Pêche Equitables (CAPE), la Confédération Africaine des Organisations Professionnelles de Pêche artisanale (CAOPA), le Partenariat Régional pour la Conservation Côtière et Marine (PRCM), Danish Living Seas et Bloom ont conjointement déposé une plainte auprès de l'UE, demandant à la Commission européenne d'engager une procédure d'infraction à l'encontre de l'Italie. Ils font valoir que les autorités italiennes de la pêche n'ont pas respecté leurs obligations, en vertu de la politique commune de la pêche (PCP), de contrôler et sanctionner les activités illégales de chalutiers italiens dans les eaux du Sierra Leone. Ces navires ont effectué des incursions dans la zone côtière réservée à la pêche artisanale, capturant des espèces qu’ils n’étaient pas autorisés à capturer et transbordant sans autorisation.

Ces navires italiens ont des antécédents d’activités illicites dans la région, documentés par Greenpeace, Océana et CAPE : capture de requins et infraction au règlement sur les nageoires attachées, incursions illégales dans les eaux de pays voisins de l’Afrique de l’Ouest, pêche avec un engin de pêche prohibé en Gambie.

Gaoussou Gueye, président de la CAOPA, déclare: « Lorsqu’elle se rend dans nos pays, l’UE parle toujours de l’importance de la lutte contre la pêche illégale. L’UE soutient que les flottes de pêche européennes pêchent légalement et de manière durable. Néanmoins, certains navires européens pêchent d’une façon qui est loin d'être durable, voire carrément illégale, comme ce que font ces chalutiers italiens depuis des années en Afrique de l'Ouest. Si l'UE veut rester crédible et établir une relation de confiance avec les pays Africains, alors elle ne devrait pas accepter un tel comportement de la part de certains navires de pêche d’un de ses Etats Membres. Ces chalutiers italiens doivent être surveillés et dûment sanctionnés s’ils ne respectent pas les lois de nos pays ou celles de la Politique Commune de la Pêche européenne ».

Ces chalutiers italiens, appartenant à deux sociétés siciliennes, n'ont jamais été soumis à aucun contrôle de la part de l’Italie, leur État du pavillon, et encore moins sanctionnés par cette dernière pour leurs activités illégales. En décembre 2016, une procédure d'infraction a été ouverte par la Commission européenne à l'encontre de l'Italie pour certaines de ces activités illégales en Gambie et en Guinée Bissau mais, à ce jour, - plus de deux ans plus tard -, cette procédure d'infraction est au point mort.

Alors que l'Union européenne défend la pêche durable et prétend mener la lutte contre la pêche INN au niveau mondial, il est inacceptable qu’elle laisse certains navires battant pavillon d’un de ses États membres mener des activités INN dans les eaux de pays africains en toute impunité.

L'UE doit agir maintenant.

Pour plus d'informations, vous pouvez contacter

Secrétariat CAPE

cffa.cape@gmail.com

«La sardinelle ronde, essentielle pour la sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest, continue à décliner»

par Ad Corten, Coordinateur de la coopération entre les Pays-Bas et la Mauritanie dans la recherche sur la pêche.

Des données limitées montrent déjà une nouvelle baisse de l'abondance de la sardinelle

La sardinelle ronde est la plus importante espèce de petits pélagiques pour les flottes nationales au Sénégal et en Mauritanie. Étant donné l’importance du stock pour la création d’emplois et la sécurité alimentaire et les graves menaces qui pèsent sur lui, il est étonnant que les deux principaux pays qui en pratiquent la pêche (la Mauritanie et le Sénégal) aient jusqu’à présent négligé de collecter suffisamment de données scientifiques pour faire l'évaluation des stocks. L'échantillonnage des captures artisanales en Mauritanie a été très faible en 2016 et 2017, malgré les fortes recommandations du groupe de travail de la FAO sur les petits poissons pélagiques en Afrique du Nord-Ouest. Pour le Sénégal, peu d'informations sont disponibles sur le niveau réel d'échantillonnage.

Bien que l'on ne dispose actuellement que de données limitées sur la sardinelle ronde, toutes ces données laissent présager une nouvelle baisse du stock. Les prises de sardinelles rondes en Mauritanie sont passées de 292 000 tonnes en 2016 à 172 000 tonnes en 2017; une baisse de 41%. Mais ces chiffres ont peut-être été affectés dans une certaine mesure par des déclarations erronées. En raison de la nouvelle réglementation concernant la quantité maximale de sardinelles rondes pouvant être utilisées pour la farine de poisson (10 000 t / an / usine), certaines usines de fabrication de farine de poisson ont probablement faussement déclaré une partie des débarquements de sardinelles en bonga. En effet, les captures de bonga déclarées en 2017 ont augmenté d'environ 40 000 t , et il est probable que cette augmentation ait en réalité consisté en sardinelles rondes. Cependant, même si nous tenons compte de ces erreurs de déclaration, les captures de sardinelles rondes en 2017 ont quand même chuté de 80 000 tonnes par rapport à 2016…

Pour le Sénégal, par contre, les captures de sardinelles rondes semblaient être restées stables en 2017 par rapport à 2016, environ 190 000 tonnes. Toutefois, ces chiffres n'incluent pas les captures utilisées pour la farine de poisson. Par conséquent, les débarquements réels de sardinelles rondes au Sénégal en 2017 pourraient avoir été supérieurs à ceux de 2016. Il convient toutefois de noter que, selon les organisations de pêcheurs, les sardinelles rondes étaient très rares dans les eaux au nord de Dakar pendant la saison 2017-2018. Les fortes captures de sardinelles rondes en 2017 ont vraisemblablement été effectuées au sud de Dakar et devaient consister principalement en de jeunes poissons.

En Mauritanie, les captures par unité d'effort de pêche (CPUE) des pirogues et des senneurs côtiers ont considérablement chuté entre 2016 et 2017. La CPUE des chalutiers de type russe en Mauritanie a également accusé une forte baisse en 2017. Une CPUE en baisse est un indice fort que le déclin des captures de sardinelles rondes en 2017 est dû à une baisse de l'abondance du poisson et non à une réduction de l'effort de pêche.

Une étude acoustique réalisée par le bateau de recherche norvégien Dr Fridtjof Nansen en mai-juillet 2017 dans la zone allant du Maroc au Sénégal a produit l'estimation du stock de sardinelles rondes la plus basse du nord-ouest de l'Afrique depuis le début de ces études en 1995. En résumé, on peut conclure que toutes les informations disponibles font état d'une baisse substantielle de l'abondance de sardinelles rondes en 2017.

L'effet de l'industrie de la farine de poisson

Lors d'une réunion avec des représentants des organisations de pêcheurs sénégalais CONIPAS, FENAGIE et APRAPAM en janvier 2018, toutes les organisations ont exprimé leurs inquiétudes par rapport à la diminution des captures de sardinelles rondes, en particulier dans la zone située au nord de Dakar (la «Grande Côte»). Selon ces organisations de pêcheurs, de nombreux pêcheurs ont quitté l'industrie en raison des faibles captures. En fait, les pêcheries en Mauritanie et au Sénégal exploitent différentes composantes du stock de sardinelles rondes. On sait que la pêche sénégalaise au sud de Dakar exploite principalement les poissons les plus jeunes, alors que la pêche en Mauritanie et dans la partie nord du Sénégal dépend des poissons adultes qui effectuent la migration saisonnière du Sénégal vers la Mauritanie et le Maroc. Un épuisement de la composante adulte du stock aura donc un impact plus fort sur les captures en Mauritanie et dans le nord du Sénégal que sur les captures dans le sud du Sénégal.

Les données recueillies en Mauritanie au cours des 19 dernières années indiquent que la mortalité par pêche a augmenté progressivement. Entre 1999 et 2013, cela était dû à l'exploitation de la sardinelle par des chalutiers étrangers en Mauritanie et probablement aussi à une augmentation progressive des efforts de la flotte artisanale sénégalaise. Après 2012, la place des chalutiers étrangers en Mauritanie a été reprise par l'industrie de la farine de poisson. Le développement de cette industrie en Mauritanie a été bien documenté. Plus récemment, une industrie de la farine de poisson s'est également développée au Sénégal et en Gambie. Pour ces pays, peu ou pas d'informations sont disponibles sur les quantités de poisson utilisées pour la farine de poisson, ni sur la composition en espèces de ces captures. Très probablement, la majeure partie des captures utilisées pour la farine de poisson consistent en sardinelle (ronde et plate). Cela a été aussi affirmé par une représentante des femmes transformatrices sénégalaises engagées dans l’industrie du fumage de la sardinelle, qui a expliqué que leur activité était menacée en raison de la concurrence des usines de farine de poisson qui ont acheté toutes les sardinelles.

Alors que l'effort des flottes artisanales des années précédentes était limité par la demande du marché de la consommation humaine, cette restriction n'existe plus pour le moment. Les usines de farine de poisson peuvent absorber de grandes quantités de poisson, ce qui incite les pêcheurs artisanaux à augmenter leur effort de pêche. Les usines de farine de poisson mauritaniennes ont même introduit une toute nouvelle flotte de senneurs turcs efficaces pour leur fournir du poisson. Les pêcheurs sénégalais de Casamance débarquent maintenant des prises dans des usines de fabrication de farine de poisson en Gambie. Parfois, ces débarquements sont si importants que même les usines de farine de poisson ne peuvent pas les absorber. En conséquence, des quantités considérables de sardinelles sont déversées en mer ou à terre.

En conclusion, les données limitées disponibles montrent que le stock de sardinelles rondes du nord-ouest de l’Afrique a encore été réduit ces dernières années par une augmentation de l’effort de pêche. La principale cause de cet effort accru est le développement d’une industrie de la farine de poisson dans la région. Ce développement a accru les possibilités de débouchés pour les flottes artisanales et a même amené une toute nouvelle flotte en Mauritanie pour capturer le poisson destiné aux usines de fabrication de farine de poisson.

Les groupes d’âge plus âgés de la population de sardinelles rondes sont épuisés et la pêche dépend maintenant largement des poissons les plus jeunes. Les flottes qui exploitent la partie adulte de la population, comme celles du nord du Sénégal et de la Mauritanie, sont les plus durement touchées par l’absence de poissons plus âgés. La surexploitation du stock constitue une menace sérieuse pour l'emploi de plusieurs milliers de pêcheurs et de femmes fumeuses de poisson au Sénégal, ainsi que pour la sécurité alimentaire de millions de personnes en Afrique de l'Ouest.

L'évaluation du stock est sérieusement entravée par le manque d'échantillonnage en Mauritanie et par les mauvaises données fournies par le Sénégal au groupe de travail de la FAO. Compte tenu de l'importance sociale et économique de la sardinelle pour la Mauritanie et le Sénégal, il est absolument essentiel d'investir de manière appropriée dans la recherche sur les petits pélagiques, en particulier la sardinelle, dans les deux pays, et dans la coopération entre les pays, afin d'obtenir le meilleur données scientifiques possibles.


Madagascar approuve un accord de pêche de 10 ans avec un consortium chinois

Madagascar approuve un accord de pêche de 10 ans avec un consortium chinois

Début septembre, Hery Rajaonarimampianina, président de Madagascar, a assisté au Sommet de Beijing du Forum sur la coopération Chine-Afrique. Il a été annoncé lors de cette visite que les deux pays avaient finalisé un accord d'investissement de dix ans conclu entre l'Agence malgache pour le Développement économique et la Promotion des Entreprises et le consortium d'entreprises chinois Taihe Century Investments Developments Corporation. C'est un accord qui entre dans le cadre de l'initiative de l'économie bleue de Madagascar.

Les détails publiés de l'accord d'investissement restent limités. Selon des sources malgaches, le président a négocié l'accord sans consultation de l'administration, du parlement ou de la société civile, et les principaux partenaires de développement du pays, notamment la Banque mondiale et l'UE, n'étaient pas non plus au courant. Pourtant, ce que nous savons à ce jour suggère que l'accord d'investissement pourrait être problématique pour le pays, en particulier pour le secteur de la pêche artisanale.

UNE ÉCONOMIE BLEUE DURABLE?

Selon un communiqué de presse, l'accord de 10 ans s'accompagne d'une promesse d'investissement de la société Taihe pouvant atteindre 2,7 milliards USD. On ne sait pas exactement comment cet argent sera utilisé, bien qu'il soit décrit que les fonds iront à la construction d'infrastructures de pêche, au soutien de la gestion de la pêche et à la lutte contre la pêche INN. Une partie de l'investissement ira également à un projet de reboisement du bambou. En contrepartie, le consortium chinois sera autorisé à déployer jusqu'à 330 navires dans les pêcheries côtières. Le communiqué de presse affirme de manière audacieuse que l’accord verra à terme la création de 10 000 nouveaux emplois.

Un représentant d'un secteur de la pêche artisanale souligne que: «l'État est en train de dépouiller les pêcheurs côtiers de leur raison de vivre». Non seulement il est préoccupé par le nombre de bateaux, mais il souligne également que les 3 600 emplois promis à court terme ne représentent que 3% du nombre de pêcheurs artisanaux qui vivent de ces ressources halieutiques et qui éprouvent déjà de grandes difficultés à joindre les deux bouts. “Amener plusieurs centaines de navires entraînerait la disparition des 100 000 petits pêcheurs de l’île et de leurs familles! Cela va créer du chômage, de l’insécurité et un risque accru de conflits entre les communautés. Dépendant du type de bateaux qui viendraient, il faut craindre une dégradation des habitats des poissons, et une surexploitation. En effet, nous ne disposons que d’un ou deux bateaux garde côtes opérationnels”. Il craint également que cet accord ne profite qu’à une poignée de personnes, la corruption mettant en péril l’avenir de communautés de pêcheurs entières.

La signature de cet accord intervient également au moment où le pays se rapproche des élections présidentielles, en novembre. L'accord peut être une tentative de montrer au pays que le président, qui est candidat à sa réélection, apporte des investissements étrangers indispensables. Madagascar reste l'un des pays les plus pauvres du monde.

Pourtant, la nouvelle de l'accord a déjà suscité des protestations parmi les communautés de pêcheurs. On estime à environ 100 000 le nombre de personnes pratiquant la pêche artisanale dans le pays et la plupart des stocks de poissons ont été lourdement exploités pendant des années, notamment des crustacés et des poissons démersaux de haute valeur, également ciblés par des chalutiers semi-industriels et industriels étrangers. En effet, selon un examen des pêcheries menées par Smartfish en 2014, presque toutes les pêcheries commerciales ont été pleinement exploitées ou sont surexploitées. Des conflits entre les pêcheries artisanales locales et les chalutiers appartenant à des étrangers (et les fermes de crevettes) ont été signalés depuis de nombreuses années.

La question de savoir si les entreprises chinoises amèneront le plein quota de nouveaux bateaux reste incertaine, et personne ne sait avec certitude quels types de navires seront impliqués et quelles espèces seront ciblées. Néanmoins, un accord-cadre autorisant 330 navires représente un apport considérable à la capacité de pêche globale dans le secteur de la pêche.

Il est également peu probable que les 2,7 milliards USD se matérialisent intégralement. Des engagements similaires ont été pris lorsque la Mauritanie a consenti un investissement de 100 millions USD de la société d’État chinoise Poly HonDone en 2011. Ce contrat a été négocié par le président sans consultation, et l’accord d’investissement n’a été publié que par une fuite dans la presse. Bien que la société ait apporté son quota complet de 100 navires en Mauritanie, il n’existe pas de preuves que cet accord a créé de nouveaux emplois pour les locaux ou des investissements massifs dans les pêcheries locales. En effet, les informations sur les activités de la société chinoise restent étroitement surveillées par les autorités mauritaniennes, qui ont également accordé des dérogations pour que l'entreprise exporte du poisson sans la surveillance habituelle du gouvernement. C'est un exemple que ceux qui protestent contre le nouvel accord à Madagascar devraient examiner attentivement.

IMPLICATIONS POUR LES PARTENAIRES DE DÉVELOPPEMENT ET L'UE

Pour les partenaires au développement, qui ont fourni à Madagascar des millions au fil des ans pour améliorer la gestion de la pêche, l'annonce doit être profondément préoccupante. Des événements similaires ont eu lieu dans d'autres pays. Outre la Mauritanie, il y a quelques années, le président du Mozambique a conclu un investissement secret d'un milliard de dollars dans le secteur de la pêche au thon, ce qui a conduit ses partenaires au développement à suspendre temporairement l'aide au pays.

Pour l'UE, la situation à Madagascar est extrêmement sensible. L'aide au développement et les accords commerciaux ont été suspendus en 2009 en raison de la destitution inconstitutionnelle du président élu démocratiquement. Les sanctions ont été levées en 2014 et l'UE a par la suite engagé plus de 500 millions d'euros dans ce pays jusqu'en 2020, ainsi que des programmes de développement de la pêche, notamment Smartfish.

Parallèlement, la Commission européenne entame actuellement des négociations en vue du renouvellement de son accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable avec Madagascar. Le protocole d'accord précédent, couvrant la période 2014-2018, valait plus de 6 millions d'euros, dont près de la moitié était destinée à améliorer la gestion des pêches. Cependant, la finalisation d'un nouveau protocole devra être fondée sur la transparence totale du gouvernement malgache sur ses accords de pêche existants avec d'autres pays et entreprises étrangers.

Il est donc primordial que le gouvernement de Madagascar réponde aux appels à publier tous les détails de ce nouvel accord d'investissement, et que le Parlement, la société civile et les partenaires au développement aient la possibilité d'examiner cet accord avant de pouvoir progresser plus loin. Sans cet engagement, l'idée que les dirigeants du pays appuient une «économie bleue» durable doit être considérée comme douteuse.

Éviter la malédiction de la croissance bleue: un fonds Blue Commons?

La Banque mondiale et le Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies ont récemment publié un rapport sur le potentiel de l’économie bleue. À l’instar d’autres rapports et initiatives sur la croissance bleue, l’auteur du rapport a combiné son optimisme avec le potentiel de croissance des secteurs des océans et des zones côtières, tout en mettant en garde contre la possibilité que cette croissance ne soit pas durable. Le rapport décrit un certain nombre de secteurs clés de l’économie bleue, tels que la pêche, la biotechnologie marine, le tourisme côtier, le transport maritime et l’exploitation minière offshore et côtière. Conforme au point de vue actuel, le rapport a mis l’accent sur les mécanismes fondés sur le marché et sur les investisseurs privés pour aider à financer la transition vers une économie bleue durable dans les petits États insulaires en développement.

Il existe de nombreuses questions critiques concernant les visions existantes pour l'expansion de l'économie bleue. Dans notre article sur l’idée du «fonds commun», nous considérons l’une des lacunes dans les visions de l’économie bleue: comment les avantages économiques en sont-ils distribués? Il est clair qu'une partie de l'espoir attaché à la croissance bleue est son potentiel de développement, qui repose sur deux hypothèses. Premièrement, cela créera des emplois plus nombreux et de meilleure qualité dans les pays en développement côtiers et les petits États insulaires. Deuxièmement, la croissance bleue peut générer plus d’argent pour les gouvernements, ce qui leur permettra de dépenser davantage pour leurs citoyens. Ainsi, la Banque mondiale et d’autres encouragent les gouvernements clients à emprunter auprès d’investisseurs privés pour aider à financer la transition.

La question de l'utilisation de ces revenus est généralement négligée dans les rapports sur «l'économie bleue durable». Cependant, comme le suggère la littérature sur la «malédiction des ressources», les revenus des gouvernements provenant de la vente ou de la location de ressources naturelles ont souvent causé des problèmes majeurs et durables. Les pays qui dépendent largement de la richesse en ressources se caractérisent souvent par des niveaux d’inégalité, de corruption et de conflit civil supérieurs à la moyenne. Bon nombre des études de cas déprimantes illustrant la malédiction des ressources proviennent d'Afrique et des petits États insulaires. La croissance bleue pourrait-elle suivre les mêmes tendances inquiétantes?

L'IDÉE DU FONDS COMMUNES

La malédiction des ressources reste une idée contestée. Mais il est indéniable que dans de nombreux pays, les autorités ont un bilan désastreux en ce qui concerne l’utilisation des ressources naturelles pour des bénéfices durables, en particulier pour les plus marginalisés ou les plus démunis. En règle générale, les pires exemples proviennent de pays qui dépendent des revenus des mines et du pétrole. Mais ces problèmes peuvent se poser pour d’autres secteurs de l’économie bleue. Des recherches antérieures n'ont pas réussi à démontrer comment les millions de dollars reçus par certains gouvernements pour accroître l'accès de la pêche étrangère aux eaux intérieures et le commerce international du poisson ont en fait amélioré la vie de la plupart des citoyens. La façon dont les gouvernements gèrent les revenus publics tirés des «actifs bleus en bonne santé» devient donc essentielle pour toute vision de l’économie bleue.

Dans notre rapport, nous avons avancé l'idée - basée sur un mouvement international croissant - qu'une manière intéressante pour les gouvernements de gérer les loyers des ressources est d'éviter de les dépenser. Au lieu de cela, ce flux de revenus peut être utilisé comme une somme d’argent pour les investissements, les dividendes de cet investissement étant distribués de manière égale à chaque citoyen via un transfert monétaire inconditionnel permanent, mensuel ou annuel. Le concept est connu sous plusieurs titres et nous l'appelons ici «fonds communs de placement bleus». Les arguments en faveur de ces fonds ne sont pas uniquement basés sur des considérations économiques - l’idée du fonds émet un message fort sur les droits communs ou partagés que les personnes devraient avoir par rapport à la nature.

Les origines de l'idée du fonds commun

L'idée de créer un fonds permanent et de distribuer les revenus de ce fonds à tous les citoyens peut sembler radicale. Pourtant, la proposition de base a été faite par de nombreuses personnes, notamment des économistes de la Banque mondiale.

Thomas Paine, un militant politique britannique du XVIIIe siècle, qui a vécu aux États-Unis et en France, a été la première personne à développer ce concept. Paine a parlé ouvertement de nombreux sujets, y compris le colonialisme et l’esclavage, et il est considéré comme l’un des principaux intellectuels à avoir mené à la révolution américaine et à la naissance des droits humains internationaux. Vers la fin de sa vie, il se concentra sur les droits de propriété, consterné par la perte constante de terres communes et par la richesse énorme dont jouissaient les paysans privés. Il a proposé des prélèvements substantiels sur la propriété privée des terres, y compris un impôt important sur les successions. Il a recommandé de protéger les revenus qui en résultent contre l'ingérence politique. Il a donc envisagé un fonds national qui répartirait les revenus provenant des prélèvements fonciers entre les citoyens, en versant une pension mensuelle aux plus de 55 ans et un paiement unique tout le monde a 21 ans. Selon ses calculs, le Fonds pourrait apporter une contribution substantielle à la réduction des inégalités.

Paine a vu cela comme un «revenu minimum garanti», ce qui signifie que la richesse de «biens naturels», qui a été décernée par Dieu à tout le monde, devrait garantir que tous les citoyens aient suffisamment d'argent pour vivre décemment. Les paiements du Fonds n'étaient pas des actes de charité; ils représentaient les droits des gens. Aujourd'hui, le titre le plus connu est «revenu de base».

Les idées de Paine ont été relancées près de 80 ans plus tard, lorsque l’État américain d’Alaska a accepté de créer un fonds permanent basé sur les revenus tirés du pétrole. Depuis lors, 50% des intérêts du fonds sont versés à chaque citoyen alaskien à titre de contrôle annuel.

PRINCIPES D'UN FONDS BLEU COMMONS

L'idée d'un fonds bleu commun est déjà en partie opérationnelle. Des fonds souverains existent déjà dans de nombreux pays et la plupart ont été créés avec des paiements exceptionnels provenant des secteurs des ressources naturelles. Aux côtés du fonds de l'Alaska, le fonds pétrolier norvégien est probablement considéré comme le plus impressionnant. Dans les années 80, le parlement norvégien a décidé de créer un fonds indépendant, géré par un conseil d'administration. Le fonds investit à la fois dans des actifs nationaux et étrangers. Seuls les revenus de ce fonds sont alors mis à la disposition du gouvernement. La création du fonds a été une décision difficile, le gouvernement ayant perdu des revenus substantiels, en partie compensés par l’augmentation des niveaux de fiscalité directe. Mais au fil des ans, les actifs du fonds ont dépassé le billion de dollars. Pour cette raison, les Norvégiens sont parmi les personnes les plus riches de la planète. Les îles Shetlands ont fait quelque chose de similaire avec beaucoup de succès.

Aujourd'hui, il existe plus de 60 fonds souverains nationaux ou infranationaux, dont la majorité sont basés sur l'exploitation minière et le pétrole. En Afrique, des pays tels que la Mauritanie, le Botswana, le Ghana, le Nigéria, la Guinée équatoriale, Sao Tomé-et-Principe et l’Angola ont mis en place leurs variantes. Dans certains de ces pays, ces fonds utilisent déjà les revenus de l’économie bleue - principalement du pétrole et du gaz offshore. Pourtant, la gestion de ces fonds est controversée et certains ont été des échecs catastrophiques; manque de transparence et est très vulnérable à l'ingérence politique et à la corruption.

Comme nous le décrivons dans notre document, un fonds commun lié à l’économie bleue doit reposer sur plusieurs principes de base:

  • Il doit être basé sur l'idéal de propriété commune de toutes les ressources naturelles. La tendance dans de nombreux endroits est de vendre et de privatiser autant de nature que possible, afin de générer des bénéfices à court terme. Il y a un risque que cela caractérise la croissance bleue dans les pays en développement et les petits États insulaires, si ceux-ci augmentent leur dépendance vis-à-vis des investisseurs étrangers et suivent des «solutions» basées sur le marché.

  • Il doit s'appuyer sur l'idéal de «l'équité intergénérationnelle». Le soutien d'un grand nombre de personnes à un fonds commun repose sur l'objection selon laquelle une génération peut tirer profit de l'épuisement du capital naturel, privant ainsi les générations futures des mêmes possibilités. Le concept d'économie bleue durable doit expliquer comment cela sera évité. Le fonds commun fait partie de la solution, car il permet d'économiser les revenus des ressources à perpétuité, comme c'est le cas pour le fonds pétrolier norvégien. De nombreux fonds souverains n’ont pas suivi ce principe et ont donc été épuisés. En effet, certains ont servi de garantie pour accroître la dette de leur pays, notamment en Angola.

  • Il doit être indépendant. De nombreux problèmes avec les fonds souverains sont que les gouvernements ont trop facilement accès à l’argent. Bien que le fonds de l'Alaska soit le principal exemple d'un fonds commun basé sur des paiements en espèces universels, il s'agit également d'une étude de cas sur la manière dont ces fonds peuvent être utilisés abusivement; Les récents gouverneurs ont imposé des réductions d'impôts favorables aux entreprises, ce qui signifie que le budget de l'État dépend de plus en plus du fonds permanent. Sans débat public, les règles relatives à la répartition des intérêts du fonds entre le budget du gouvernement et le paiement universel ont également été assouplies. La part laissée aux citoyens de l'Alaska a diminué à moins d'un quart de ce qu'elle aurait pu être.

  • Les investissements et les intérêts du fonds doivent être transparents. Encore une fois, la Norvège est un exemple brillant. Des niveaux élevés de transparence ont assuré un débat public sur la manière dont les fonds pétroliers sont investis. Pour cette raison, le parlement norvégien a accepté de demander au conseil du fonds pétrolier de désinvestir dans des projets de charbon, ainsi que dans des entreprises forestières qui ne respectent pas les normes éthiques et écologiques. D'autres gestionnaires de fonds souverains existent dans un état de confidentialité, ce qui constitue un anathème pour le concept de fonds commun.

Les prélèvements pour un fonds commun?

L'idée d'un fonds commun doit être développée davantage. Un problème clé réside dans les redevances versées au fonds. Les paiements de redevances et les accords de partage des bénéfices sont les sources de revenus habituelles des fonds souverains basés sur les industries extractives - pétrole et mines. Pour de nombreux États côtiers et petits États insulaires, ces sources peuvent être appropriées. Il existe un argument distinct quant à savoir si les gouvernements devraient permettre la prospection de ces ressources, mais si nous admettons que les mines, le pétrole et le gaz continueront de faire partie de l’économie bleue, la création du fonds commun pourrait être la meilleure solution.

Au-delà de ces industries extractives lucratives, les prélèvements provenant de l’économie bleue pourraient provenir de toute exploitation commerciale des ressources océaniques et côtières. Cela inclurait la pêche, par exemple. Selon une idée de fonds commun, ce qui est considéré comme le paiement d’accès, qui est presque toujours payé au gouvernement, serait redirigé vers le fonds commun. Une redevance distincte serait payable pour les coûts de gestion du gouvernement.

Un fonds commun peut également inclure des prélèvements sur la pollution, selon l’idéal du «pollueur payeur». Plus précisément, une proposition de fonds commun vise à inclure les revenus provenant d'une «taxe sur le carbone». Cela peut coexister avec les paiements proposés pour le «stockage du carbone bleu», comme de nombreuses organisations (telles que la Banque mondiale et la FAO), mais une taxe sur le carbone est plus progressive car elle cible directement les entreprises produisant des émissions de carbone plus élevées. Il est plus simple d’administrer, étant donné que l’estimation du carbone stocké dans les habitats côtiers et océaniques est extrêmement complexe et coûteuse.

Bien entendu, un fonds commun pourrait évoluer au-delà de ces prélèvements; un pourcentage du droit d'entrée dans les parcs nationaux marins pourrait constituer un autre prélèvement, de même qu'une taxe de séjour. Le point essentiel, comme l’a envisagé Thomas Paine, est que nous devons reconnaître une propriété commune de la nature à toutes les personnes, présentes et futures, et qu’il est donc juste que le capital provenant de l’exploitation privée ou de l’utilisation de ces ressources partagées soit partagé équitablement. ainsi que. Sinon, notre capital naturel est le plus susceptible d'être une source de richesse privée croissante et inégale.

L'esprit AKWAABA - le rôle des femmes dans les pêcheries artisanales en Côte d'Ivoire

Alexandre Rodriguez, Secrétaire Exécutif du Conseil Consultatif pour les Pêches lointaines de l’UE (CCPL) nous partage ses réflexions suite à sa visite aux femmes transformatrices d’Abidjan.

Abidjan, le 28 août 2018

Cette semaine, j’ai eu l’occasion de me rendre en Côte d’Ivoire sur invitation de l’une de nos organisations partenaires en Afrique, la Conférence ministérielle sur la coopération halieutique entre les états africains riverains de l’Océan Atlantique (ATLAFCO-COMHAFAT). Ces deux jours et demi ont été aussi intenses que productifs, car nous sommes parvenus à un accord sur le plan d’action pour les états africains riverains de l’Atlantique en termes de pêcheries durables pour 2019 et 2020.

J’ai parlé avec M. Gaoussou Gueye,  Président de la Confédération Africaine des Organisations Professionnelles de la Pêche Artisanale (CAOPA), également présent à cette rencontre, de la possibilité de rencontrer notre collègue commune, Micheline Dion,  Coordinatrice des Programmes Femmes de la CAOPA, sur son lieu de travail afin de voir « l’action en direct, sur le terrain ».

J’ai eu une chance immense car le Président de la CAOPA est non seulement un être humain au grand cœur mais aussi un professionnel respecté et très connu pour son travail au sein des communautés halieutiques de l’Afrique Occidentale. Il ne lui a donc pas été très difficile de contacter Micheline et d’arranger une courte visite au port pour me permettre de découvrir le travail des femmes de la coopérative des transformateurs qu’elle dirige.

Nous avons pris un taxi local pour nous rendre à Locodjro Miami, un tranquille quartier périphérique à 12 km de Plateau. Nous sommes arrivés sur un petit quai niché au cœur d’un superbe paysage, les hauts gratte-ciels et les thoniers-senneurs de la pêche industrielle étrangère amarrés dans le port d’Abidjan se découpant à l’horizon, de l’autre côté de la baie.

À notre descente du taxi, nous avons été accueillis par le grand sourire et la chaleureuse bienvenue de Micheline et ses collègues, qui nous ont souhaité la traditionnelle « bonne arrivée ». J’ai immédiatement été envahi par cette subtile sensation de chaleureuse hospitalité qui habite l’esprit Akwaaba, un mot qui vient du Twi, la langue des Ashantis (peuple du voisin Ghana), et a le même sens dans le dialecte ivoirien.

Micheline est l’une des fondatrices et principales artisanes de la création de la Coopérative des transformatrices de Locodjro, qui a vu le jour avec le but d’améliorer les recettes et les conditions de travail de la communauté locale vivant de la transformation du poisson ; en particulier le thon tropical mais aussi d’autres espèces comme la langoustine.

Le président et la coordinatrice  semblaient connaître tout le monde et discutaient joyeusement avec tous les travailleurs que nous croisions, écoutant attentivement chacune de leurs inquiétudes et chacun de leurs espoirs. Grâce à d’ingénieuses questions, ils parvinrent habilement à me faire participer à la conversation. Me sentant ainsi intégré à la communauté, j’ai moi aussi pu commencer à poser mes propres questions à propos des conditions de travail quotidiennes.

L’activité était relativement calme à notre arrivée, car la plupart des pirogues qui pêchent le thon étaient sorties en mer. Elles partent toutes tôt le matin et reviennent au crépuscule. J’ai quand même pu voir la pirogue du président de la FENACOP-CI restée amarrée ce jour-là. À la question de savoir quelle quantité de poisson ils prennent habituellement avec les pirogues, on m’a répondu que cela dépendait des jours mais que cela pouvait aller de 200 kilos à une tonne par jour.

Micheline m’a expliqué que le travail dépend énormément de la disponibilité de matière première, à savoir le thon. Dans l’ensemble, elle estime que la coopérative travaille environ de 2 à 3 mois sur l’année. Côté postes de travail, la Coopérative emploie actuellement 902 pêcheurs, 305 transformatrices, 173 découpeurs et 283 chargeurs, principalement des habitants de la région d’Abidjan. D'après Micheline, « chaque élément de la chaîne de valeur est important et joue un rôle clé du fonctionnement ». Cela comprend aussi plusieurs bénévoles qui ont proposé d’aider à différentes tâches comme le nettoyage des installations ou la comptabilité de base.

Jusque-là, j’avais été très impressionné par ce que je voyais et par la clairvoyance et les explications de Micheline par rapport au fonctionnement de la Coopérative. C’est pourquoi je lui ai demandé de me donner une idée de la chaîne de valeurs pour m’aider à mieux comprendre le cycle économique complet. Elle m’a patiemment expliqué que le travail se découpe en cinq étapes essentielles :

  1. Débarquement : Les prises fraîchement pêchées chaque jour sont débarquées ou transportées sur le PDA, le point de débarquement, au petit embarcadère.

  2. Triage : Les prises sont triées, séparées et étiquetées dans une zone séparée, puis allouées à chacun des pêcheurs, de leurs femmes et de leurs familles pour la vente à la criée. Les femmes sont également présentes à la criée, dans un espace réservé d’où elles supervisent l’ensemble du processus.

  3. Conservation : Le meilleur poisson est placé dans une chambre réfrigérée pour être vendu aux restaurants et marchés locaux. Le reste du thon est conservé dans du sel et de la glace. Ainsi placé dans des containers en bois remplis de glaçons et recouverts de sel, le poisson peut être conservé à l’air libre pendant 2 à 3 jours car une croûte se forme au-dessus.

  4. Découpage : C’est à ce stade que le thon frais est normalement découpé en trois morceaux, séparés dans différents seaux. La tête est tranchée et donnée aux femmes. La queue et le tronc/la longe sont placés dans d’autres cuves.

  5. Transformation : J’ai été impressionné de voir les vieux fourneaux en fer, allumés au charbon pour faire le poisson fumé.


Four Poisson Fumée.jpg

Plusieurs services auxiliaires sont aussi en cours de développement, comme la salle de soins, les vestiaires, une cantine pour les travailleurs et une salle polyvalente, une garderie et une salle de stockage.

Micheline m’a expliqué que des comptables enregistrent toutes les recettes et les dépenses et s’occupent de la tenue des comptes. Sans oublier la coordination de tous les approvisionnements nécessaires, dont 25 000 sacs de sel que la Coopérative achète à un tarif plus compétitif que les pêcheurs individuels grâce à son pouvoir de négociation concerté.

La réflexion personnelle que je tire de cette visite est que toutes les bases d’une organisation professionnelle sont en place. Mais l'activité se heurte à deux grands obstacles : le manque de ressources financières pour la maintenance des installations et les améliorations requises pour conformité aux normes sanitaires de conservation et vente du poisson ; et l’approvisionnement discontinu qui ne permet d’assurer ni les emplois, ni un revenu économique régulier. Cette initiative constitue un exemple de comment apporter une valeur ajoutée aux activités halieutiques en créant une économie collaborative qui aide à améliorer les conditions de vie et à retenir la population locale grâce à des emplois décents.

Pour résoudre ces difficultés, on peut envisager diverses actions :

  • Embaucher des professeurs et assistants pour la garderie : cela permettrait aux femmes qui viennent avec leurs bébés de mieux travailler sans devoir les porter sur leur dos, et tout en ayant la tranquillité de savoir que leurs enfants sont bien,  dans un cadre sûr. Cette initiative servirait aussi à préparer l’entrée des jeunes enfants en primaire et éviterait l’exposition des plus petits aux fumées et produits chimiques employés dans le fumage du poisson, aux infections et aux maladies découlant de systèmes d’évacuation des déchets de poisson déficients.

  • Bien qu’ayant réussi à signer un accord avec des opérateurs thoniers espagnols privés d’OPAGAC, qui débarquent une partie de leurs captures pour approvisionnement régulier lorsqu’ils accostent ou se ravitaillent au port d’Abidjan, la Coopérative rencontre des difficultés et se heurte à des restrictions du fait de problèmes internes avec les administrations locales et les agents privés du commerce halieutique au port d’Abidjan. Il est urgent de mettre immédiatement en place un système permettant aux autorités ivoiriennes de garantir que l’approvisionnement direct soit mis à disposition de ces femmes gratuitement, sans blocus administratifs ou de facto.

  • Les techniques et les conditions employées pour conserver le poisson sont pour le moins extrêmement précaires, les cuves placées à l’air libre sont très vieilles et ne ferment pas. Le poisson est plongé dans la glace dans ces cuves en bois ou en vieux plastique, ce qui n’est pas bon pour la chaîne du froid. L’emploi de meilleurs fours (FTT) devrait se généraliser.

  • Les hangars ne disposent d’aucun réseau de drainage des eaux ou d’égout pour évaluer les huiles et les eaux usées suite au traitement du poisson dans la zone de transformation. La zone de découpage a dû être installée à l’extérieur du fait du manque d’espace et de maintenance malgré les fonds apportés par le gouvernement marocain. Des investissements adéquats devraient être consacrés à l’amélioration de ces infrastructures.

Toutes les lacunes soulignées pourraient être comblées par la bonne volonté politique et administrative, et par le soutien de bailleurs de fonds. Les ressources adéquates et le soutien continu d’une organisation locale, nationale ou internationale pertinente restent à fournir, usant par exemple des fonds disponibles liés au soutien sectoriel prévus dans les APPD ou projets de développement à la coopération de l’UE ou sponsorisés par des organisations internationales comme la Banque Mondiale ou la Banque Africaine de Développement.


J’aimerais conclure cet article par une citation du Pape François, extraite de son Encyclique de 2015 Laudato Si, qui parle directement des Objectifs de développement durable de l’ONU et s’adresse non seulement aux chrétiens mais aussi à toutes les religions et à tous les peuples du monde : Une « économie éthique doit servir tous les peuples sans exclusion et accorder à toute personne dignité, opportunité et ressources de base ».

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Obligation Bleue...Sauver Vos Poissons Ou Conduire Les Océans à la Faillite?

Pour sauver les océans et réformer les pêches non durables, il nous faut l'aide d''investisseurs privés – et ce à très grande échelle. C'est une idée dont beaucoup d'organisations internationales de conservation et de banques d'investissements ont fait la promotion, dont les choix du Crédit Suisse, qui accueille maintenant une conférence annuelle sur "la finance de conservation" depuis ses bureaux de New York.

Beaucoup de rapports ont été rédigés sur la possibilité pour des marchés de capitaux privés, dans le cadre de leurs affaires, de financer la conservation des océans et la réforme des pêches. Les arguments sont très simples : les gouvernements n'ont pas les ressources nécessaires pour financer la conservation, et les sources traditionnelles de financements additionnels  (par des donateurs ou des philanthropes) sont complètement inadéquates. La conservation et les réformes de la pêche devraient donc être plus ouvertes aux investisseurs privés- qui ont énormément d'argent. Investir dans la conservation et les réformes de la pêche est lucratif- les pêcheries durables accroissent la richesse potentielle des mers, et elles peuvent donc assurer aux investisseurs un bon retour sur investissement.

Il existe de nombreuses propositions pour déterminer comment attirer des millions de dollars pour la conservation des océans venus d'investisseurs privés. L'une d'elles est pour les gouvernements et les grandes entreprises d'émettre des obligations bleues. C'est en réalité une stratégie bien établie – La Banque Mondiale et la Banque Européenne d'Investissement ont commencé à émettre des "obligations vertes" en 2007/2008. 

Celles-ci lèvent des fonds de marchés financiers privés qui sont ensuite redistribués pour des projets et activités écologiques spécifiques. Le marché de l'obligation verte a remarquablement bien fonctionné : l'année dernière, les gouvernements, les banques multilatérales de développement et les grandes entreprises ont levé 130 milliards de dollars US d'obligations vertes- presque deux fois plus qu'en 2016.

Cette année, le concept « d'obligation bleue » est finalement devenu une réalité. Les Seychelles ont annoncé leur intention d'émettre la première obligation bleue au monde, avec l'aide de la Banque Mondiale et celle de la Branche Environnementale Globale des Nations Unies. L'obligation bleue des Seychelles sera probablement assez modeste – 15 à 20 millions de dollars US. Mais l'important c'est que les Seychelles sont utilisées comme une "preuve de la viabilité du concept". L'espoir est que d'autres états côtiers ou constitués de petites îles en voie de développement suivront son exemple. En effet, l'année dernière, les Fidji ont émis la première obligation verte nationale pour un petit état insulaire en voie de développement, et le Nigeria a aussi émis sa première obligation verte. NatureVest, une organisation basée aux Etats Unis mise en place par JP Morgan et The Nature Conservancy, avec pour but de lever des capitaux privés pour la conservation – pense qu'en 10 ans ils auront vendu un milliard de dollars US d'obligations bleues.

Les dangers du marché des obligations bleues?

Lever des fonds sur les marchés internationaux de capitaux pourrait finalement assurer l’aboutissement de la promesse des "trois gagnants" : bon pour l'environnement, bon pour les communautés les plus pauvres, et bon pour les investisseurs. Mais ce modèle est-il reproductible sans risques? Tant d'organisations soutiennent la finance de conservation en général, et spécifiquement le concept d'obligation verte ou bleue. Beaucoup de rapports décrivent combien celles-ci sont vitales si nous devons sauver la planète. Pourtant presque aucun d'entre eux ne considère ce qui pourrait mal tourner. Dans une publication de CAPE sur les obligations bleues, nous indiquions les raisons pour lesquelles le marché des obligations bleues n'est pas attractif pour les petits pêcheurs, et pourquoi les prétentions des obligations bleues sont à mettre en doute. 

Le crédit suisse et la première obligation thon

Le rapport comprend une étude de cas sur le Mozambique. Le Mozambique a levé 850 millions $US pour financer le lancement de son entreprise nationale de pêche thonière, considérés comme les premières "obligations thon" au monde. A première vue, ça n'a rien à voir avec des obligations bleues. Cependant, tout comme une obligation bleue, l'émetteur a prétendu que l'argent serait dépensé pour une pêche durable et que les fonds auraient un impact extrêmement positif sur l'économie nationale. Cette obligation a été financée et arrangée par le Crédit Suisse, en collaboration avec d'autres banques européennes et russes, dont certaines soutiennent aussi la finance de conservation et les obligations vertes. 

En fait, en 2013, - quand le Crédit Suisse finalisait l'arrangement pour les obligations thon du Mozambique, la banque travaillait avec le WWF et d'autres organisations de conservation sur des initiatives comme "50 en 10" et le Partenariat Mondial pour les Océans. C'est une banque qui était – et qui est toujours – au premier plan d'une campagne globale de levée de fonds éthiques pour sauver l'océan. 

Les obligations thon ont bel et bien conduit le Mozambique à la faillite. Elles ont aussi occasionné des millions de dollars de frais au bénéfice du Crédit Suisse et d'autres banques, entreprises de comptabilité et avocats. Les obligations thon ont été émises en secret et ont mené à toute une série de problèmes de corruption de haut niveau et des conflits d'intérêt. Les prévisions sur les obligations – envoyées aux investisseurs mais restées confidentielles, étaient trompeuses et elles ont massivement surévalué le résultat attendu. L'entreprise de pêche au thon mozambicaine et les navires coûteux qu'elle a achetés à la France ne génèrent pas assez de revenus pour rembourser les investisseurs ou payer ses travailleurs. Le Mozambique s'est révélé incapable de rembourser, et il s'efforce maintenant d'obtenir une caution du FMI. Chose étrange, le cas du Mozambique ne semble pas être discuté aux conférences annuelles du Crédit Suisse à New York, quand les réseaux de banquiers et d'organisations de conservation se rassemblent pour planifier la promotion des obligations bleues et d'autres instruments financiers innovateurs.

Le Mozambique est un exemple extrême des risques des "obligations souveraines" - par lesquelles les gouvernements lèvent des fonds sur les marchés internationaux de capitaux. Mais le Mozambique n'est pas le seul exemple. Ces dix dernières années, de plus en plus de gouvernements africains ont décidé de lever du cash sur les marchés obligataires. 

Avant 2006, seule l'Afrique du Sud l'avait fait. Mais rien que l'année dernière, des gouvernements africains ont accumulé 40 milliards $US en dettes obligataires ; ce qui signifie que les obligations sont devenues presque aussi importantes pour les gouvernements africains que l'aide au développement. Les Seychelles, le Ghana, la République Démocratique du Congo et le Mozambique ont été les premiers pays à faire défaut sur ces dettes, mais la préoccupation grandit du fait que d'autres vont suivre. 

Alors pourquoi devrions-nous nous préoccuper d'une croissance du marché des obligations bleues ? Notre rapport soulève les problèmes suivants :

Les pays peuvent facilement lever trop de fonds avec les obligations – ce qui mène à une dette impossible à rembourser.

C'est un risque qui est accru là où les évaluations des retombées économiques potentielles manquent de crédibilité. C'est un aspect qui caractérise la pêche, il existe maintenant de nombreux rapports qui prétendent que la richesse des océans est massivement sous-évaluée, et si les pays en voie de développement pouvaient imposer une meilleure gestion et s'occuper de la pêche illégale (et vendre des crédits carbone bleus) – alors les gouvernements pourraient gagner des millions de dollars de taxes supplémentaires et d'impôts. Le problème, cependant, est que ces projections sur l'énorme richesse potentielle des océans ont souvent été fondées sur des statistiques douteuses, et elles s'appuient sur un fantasme, selon lequel les gouvernements africains peuvent développer facilement leur « économie bleue » pour en faire une vache à lait durable qui financera ensuite leur développement en faveur des pauvres et de l'environnement.

De cette façon, des rapports exagérés et simplistes sur la richesse potentielle des océans pourraient facilement être utilisés dans les projets envoyés aux investisseurs, qui finiraient par croire que le gouvernement est dans une bonne position pour gagner assez d'argent pour payer ses dettes, quand il ne l'est clairement pas. En fait, décider quelle somme d'argent lever en obligations n'est pas toujours fondé sur les retombées économiques probables pour l'émetteur des obligations. Au Mozambique, le Crédit Suisse a originellement levé 500 millions $US pour l'entreprise de pêche au thon. Mais ils ont découvert qu'il y avait une forte demande parmi les investisseurs, alors 350 millions $US d'obligations supplémentaires ont été émis. L'affaire est bien pire que ça, le Crédit Suisse a fini par émettre 2 milliards $US en obligations pour le Mozambique, ce qui incluait la levée de fonds pour deux autres entreprises créées pour assurer la surveillance et le contrôle de la ZEE du pays. Aucune information n'était disponible pour convaincre les investisseurs que 2 milliards $US n'étaient pas un investissement viable , bien qu'étant donné que le gouvernement du Mozambique avait garanti les prêts, les investisseurs n'étaient probablement pas trop inquiets. 

Surévaluer les obligations signifie que le pays pourrait faire défaut sur le remboursement de sa dette, ce qui le conduit à être forcé à restructurer sa dette (comme c'est le cas au Ghana et au Mozambique), ce qui tend à menacer la fourniture de services pour les pauvres. Autrement -  et c'est une possibilité plus probable pour les obligations éthiques – le gouvernement fait confiance à d'autres sources de revenus pour compenser le manque à gagner. En Afrique, la plus grande source de devises étrangères à la disposition des gouvernements est de loin l'exportation de matières premières, comme le pétrole, le gaz et les ressources minières, ou le poisson. Les obligations bleues, comme avec les obligations vertes, pourraient ne pas être une dette très soutenable, du fait qu’il existe une pression pour promouvoir d'autres industries polluantes en compensation.  

Ce risque des obligations pourrait sembler similaire à d'autres formes d'emprunts d'état, comme les prêts à des conditions de faveur des banques de développement. Cependant, les obligations sont bien plus chères pour les pays en voie de développement -  ils ont des paiements de taux d'intérêt bien plus élevés, et aussi des frais bien plus hauts au bénéfice des patrons des banques. Malheureusement, la tendance à encourager les pays en voie de développement à lever plus d'argent sur les marchés de capitaux privés, une politique encouragée par tant d'agences d'aide souvent sous le prétexte « d'associer les finances privées et publiques », pourrait entraîner une réduction des prêts à des conditions de faveur et des aides.

Les obligations sont exposées à la corruption et à la fraude

La facilité avec laquelle les gouvernements peuvent lever trop d'argent par les obligations les rend vulnérables à la corruption. Ceci est aussi facilité par le manque de transparence qui semble être une caractéristique des obligations. Là encore, le Mozambique est peut-être le meilleur exemple, mais il y en a eu d'autres. La Tanzanie a levé 600 millions $US en 2013 en émettant une obligation souveraine. Pourtant, des investigations ont prouvé que la principale banque impliquée, la Standard Bank, a eu des collusions avec les autorités tanzaniennes pour augmenter les frais de banque liés à l'obligation, cet argent a ensuite été utilisé pour payer un pot de vin pour que le contrat lui soit accordé. 

Les obligations nationales ne sont normalement pas utilisées pour financer un projet spécifique, mais sont plutôt des sommes d'argent qui sont distribuées pour une sélection de projets fondée sur des critères d'éligibilité. Beaucoup de discrétion entoure l'usage des fonds. Les conflits d'intérêts et les ristournes sont donc des risques inhérents. En théorie, les obligations éthiques pourraient être émises avec des critères de responsabilité et de transparence plus élevés que les autres types d'obligations. En effet, les critères volontaires sur les obligations vertes mettent l'accent sur l'assurance que la façon dont les obligations ont été utilisées est dûment rapportée. Mais généralement les émetteurs d'obligations sont supposés le rapporter eux même, et il n'y a aucune obligation d'audit extérieur. 

La possibilité que les directeurs de banques et les gouvernements abusent des obligations bleues pour un gain personnel devrait être considérée comme un risque pour le marché émergent des obligations bleues. Le fait que le Crédit Suisse et d'autres banques européennes aient été convaincues de corruption liée aux obligations est une preuve supplémentaire. Pourtant ceci n'est mentionné dans aucun des outils de promotion pour la finance de conservation. Ce qui contraste avec les fonds fournis par les donateurs et les banques multilatérales, car ceux-ci ont tenté d'introduire des procédures et des gardes fous anti-corruption. Les marchés financiers privés sont bien plus relâchés sur cette question. C'est aussi vrai concernant les droits humains. Les donateurs et les banques multilatérales ont généralement des moyens d'exprimer leurs griefs et des mécanismes de protection sociale et environnementale. Ils peuvent ne pas très bien fonctionner dans certains cas, mais il n'existe pas de cadre de cette sorte pour les obligations, qu'elles soient éthiques ou non. 

Aligner la conservation des océans sur la "maximisation du profit". 

Un objectif explicite de la finance de conservation est de s'assurer que les investissements dans la conservation sont profitables. Pour les obligations bleues, les choix pour l'usage de l'argent sont donc susceptibles d'être influencés par la maximisation des profits. C'est inquiétant pour les groupes qui dépendent des océans mais qui ne génèrent pas beaucoup d'argent, comme les pêcheurs de subsistance ou les petits pêcheurs. Généralement les campagnes de promotion de la finance de conservation nous disent que les bénéfices de ces investissements seront bien partagés, et qu'ils auront un impact favorable sur les pauvres. Cela semble peu probable. 

Un problème fondamental posé par le fait de s’appuyer sur des marchés de capitaux privés pour financer la conservation est que la seule mesure de succès est l'argent. Les valeurs non-monétaires ne se traduisent pas bien dans des instruments financiers. La politique qui encourage les gouvernements des pays en voie de développement à lever des fonds sur des marchés de capitaux privés a été fortement critiquée car elle encourage la privatisation de biens publics et promeut les intérêts des multinationales, aux dépens des économies et des entreprises locales.   

Le spectre du "Blue washing"

Une des principales critiques des obligations vertes est qu’elles ne sont pas toujours très vertes. On ne sait pas encore très bien ce qu’est le bleu des obligations bleues mais on devrait s’assurer qu’il inclut la soutenabilité environnementale.

Les gouvernements et les grandes entreprises peuvent appeler leurs obligations comme bon leur semble. Cependant, les normes volontaires et les labels ont été partie intégrante de la croissance du marché des obligations vertes. Les critères sont vagues et encouragent les émetteurs d'obligations à payer une évaluation par des tiers qui démontrerait la «  couleur verte »  de la proposition. La vraie définition de « vert » reste ouverte à interprétation.

Quatre entreprises internationales ont cerné le marché en fournissant ces évaluations. C'est un système faible – les entreprises qui fournissent les évaluations et les labels ont un réel intérêt à fournir des évaluations favorables – comme cela mènera à plus d'affaires et à un meilleur niveau du marché. 

Un des dilemmes clés sur ces évaluations est de favoriser « l'effet de rebond ». Voici un exemple simple : un plan pour réduire la consommation d'énergie des transports permet des économies. Cependant, des transports moins chers signifient que les gens voyagent plus, ce qui signifie que l'impact net de l'investissement n'a pas réussi à réduire la consommation d'énergie et l’émission de carbone.

On pense que ces effets de rebond sur les projets financés par des obligations vertes sont communs, mais il se peut qu'il faille du temps pour les mesurer et les détecter. Les évaluations des obligations vertes par des tiers soulèvent souvent ces problèmes, mais ce n'est pas considéré comme suffisant pour donner à une obligation une évaluation négative. Nous avons donc des obligations vertes considérées comme telles par des tiers pour des compagnies pétrolières. 

Une faiblesse plus profonde du marché des obligations vertes est que l'accent est mis sur l'usage des fonds. Un risque majeur est que des gouvernements émettent des obligations vertes, mais qu'ils continuent à investir dans d'autres industries polluantes et à les promouvoir. Les évaluations des obligations vertes ne considèrent pas "la cohérence de la politique" , ce qui veut dire qu'un pays comme le Nigéria peut émettre une obligation verte tout en continuant à dépendre lourdement de l'exportation d'hydrocarbures. 

Le même problème se manifeste avec les investisseurs et les banques. Des institutions comme le Crédit Suisse ou JP Morgan font la promotion des obligations vertes avec enthousiasme, mais elles ont des investissements bien plus importants dans des obligations sales. La même chose s'est vérifiée pour le Groupe de la Banque Mondiale, qui a fait la promotion du marché des obligations vertes tout en générant plus de fonds pour l'installation de nouvelles centrales à charbon. 

Contrairement à d'autres types de financement, les obligations vertes manquent aussi de discipline. L'argent est fourni d'abord pour des investissements verts, mais il n'existe pas de moyen de rendre l'argent si l'impact de l'investissement s'est révélé décevant, même s'il y avait intérêt à attendre la fin des évaluations du projet, ce qui ne semble pas du tout être une caractéristique des obligations vertes.  

Un dilemme : s'occuper des risques du marché des obligations bleues

Les organisations qui s'inquiètent de ces risques présentés par la finance de conservation et la croissance des obligations bleues sont confrontées à un dilemme. Une approche pragmatique serait de mettre l'accent sur la limitation des risques, y compris en faisant campagne pour des directives volontaires plus fortes, des engagements de la part des banques à être transparentes, et pour que des garde-fous sociaux et environnementaux soient mis en place par les gouvernements et les institutions financières. Les organisations de la société civile pourraient aussi décider d'investir du temps et des ressources dans le contrôle des obligations bleues et pour mettre en place leur propres évaluations indépendantes.  

Mais limiter les risques sera chronophage et pourrait être un échec. En effet, la logique derrière le capital de conservation est douteuse. L'argument principal mis en avant, que les marchés financiers privés vont sauver la planète, n'est pas convaincant. 

Le "fossé du financement" est idéologique. L'incapacité des gouvernements à assurer que les écosystèmes marins soient utilisés de façon durable n'est pas simplement due à un manque de ressources et d'argent ; les principales causes presque partout sont de nature politique. Nous ne devrions pas imaginer que peut-être les gouvernements vont devenir des gardiens responsables des écosystèmes marins en s'assurant simplement qu'ils ont accès à plus d'argent par des instruments générateurs de dette.  En effet, étant donné ce que nous savons sur les marchés de la dette internationale en Afrique, leur faire davantage confiance va très probablement mener à un fossé financier grandissant pour les gouvernements africains. 

Les estimations du fossé financier pour la conservation sont aussi une manipulation. Il existe beaucoup de façons différentes de réussir des changements pour soutenir la pêche et la conservation marine durable, comme donner la priorité aux pêcheries à petite échelle durable plutôt que les autres grandes entreprises de pêche industrielle. Si le financement est un problème, alors d'autres sources de fonds plus durables devraient être encouragées, comme lever des impôts sur les industries polluantes, ou réduire les dépenses gouvernementales dans d'autres secteurs, comme l'armée. 

Mais il n'y a pas de raison de croire que la seule source de financement qui reste pour l'océan vient des marchés capitaux privés. Il y a aussi une bonne raison de croire que suivre ce chemin va fournir des bénéfices disproportionnés pour les secteurs les plus riches de la société. 

Enfin la finance de conservation requiert une foi aveugle dans le conte de fées que notre seule façon de garantir des écosystèmes marins durables est de faire de gros bénéfices dans ce processus, pour toujours. Le mouvement vers un usage durable des écosystèmes marins va aussi nécessiter des choix difficiles pour réduire la croissance et limiter la consommation. Malheureusement, il existe une possibilité distincte que la poussée pour augmenter le financement privé est occasionnée par une coalition d'organisations qui ont tous de gros intérêts ; les investisseurs qui cherchent à montrer leurs références sociales et environnementales, les ONG qui cherchent à accroître leur propre financement, les banques qui facturent des frais lucratifs, et les gouvernements à la recherche d'argent supplémentaire à court terme.

La stratégie de croissance bleue de la Commission Européenne est-elle un modèle pour l’Afrique ?

La croissance bleue est devenue une idée importante pour réformer la gouvernance des océans. La stratégie de croissance bleue de la Commission Européenne a été développée depuis 2011 et est présentée comme une source d'inspiration pour le soutien de l'UE à l'Afrique - pour libérer le vaste potentiel de richesse des mers. Cependant, cette vision reste peu attrayante pour les pêcheurs artisanaux et n'est pas alignée sur les Directives Volontaires pour la pêche durable à petite échelle. Une des principales raisons est que la définition de l'économie bleue utilisée par la CE a perdu son objectif de transformation, étant remplacée par quelque chose qui place la croissance et les profits au premier plan de la prise de décision.

Ce document fournit une évaluation critique de la stratégie de croissance bleue de l'UE. Il fait partie d'un projet conjoint entre CAPE, la Société Suédoise pour la Conservation de la Nature, Pain Pour le Monde et le CAOPA is Confédération Africaine des Organisations Professionnelles de Pêche artisanale qui examine comment les Directives volontaires peuvent être utilisées pour garantir que les politiques de pêche respectent et promeuvent la pêche artisanale durable